Eric LeGresley quitte l’Association pour les droits des non-fumeurs
Novembre 1998 - No 23
Le Canada perd une autre figure de proue de la lutte antitabac au profit de l’Organisation mondiale de la santé : Eric LeGresley, avocat au bureau d’Ottawa de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), rejoint l’ancien fonctionnaire fédéral Neil Collishaw à Genève.
Me LeGresley occupe ses nouvelles fonctions depuis le 19 octobre, et arrive à l’OMS au moment où le contrôle du tabac est devenu une préoccupation centrale de l’organisme mondial. L’ancienne première ministre de Norvège, Gro Harlem Brundtland, occupe depuis quelques mois le poste de directrice générale de l’OMS et a promis de faire de la lutte au tabagisme une des grandes priorités de son mandat.
Pour Me LeGresley, qui a étudié le droit international à Londres avant de revenir au Canada, ce nouveau poste lui permet de se replonger dans sa spécialité. Il travaillera sur l’élaboration d’une nouvelle convention internationale sur le contrôle du tabac, projet dont le principe a été accepté par l’Assemblée mondiale de la santé il y a plus de trois ans mais sur lequel il reste beaucoup de travail à faire. La convention servira en fait surtout de cadre pour la négociation de protocoles sur des questions transfrontalières précises; une des priorités sera sans doute la contrebande de cigarettes.
Après près de quatre ans au bureau de l’ADNF, Me LeGresley tire un bilan étonnamment pessimiste des efforts canadiens pour combattre le tabagisme : les organismes de santé ont marqué peu de points durant cette période, dit-il. Il faut bien préciser qu’il a commencé son travail à l’ADNF à un des moments les plus pénibles pour les groupes antitabac, c’est-à-dire peu après la baisse des taxes de 1994.
Embauché au départ pour travailler sur la question des emballages banalisés et des marques de commerce, il était en poste en septembre 1995, lorsque la Cour suprême a invalidé la Loi réglementant les produits du tabac. Cet arrêt, perçu comme une grande défaite par les organismes de santé, était loin d’être aussi catastrophique qu’on le disait, affirme Me LeGresley; le Plan directeur de la ministre de la Santé de l’époque, Diane Marleau, montrait bien qu’il était encore possible d’adopter des mesures sévères.
C’est par la suite que les choses ont commencé à se détériorer, selon Me LeGresley. En décembre 1996, au moment du dépôt du projet de loi C-71 du ministre Dingwall, son association n’a eu que quelques heures pour décider si elle appuyait le projet, jugé plutôt timide par plusieurs observateurs. Me LeGresley dit qu’il aurait préféré que l’ADNF s’y oppose publiquement et réclame d’autres mesures, comme les emballages neutres ou des modifications à la composition chimique des cigarettes, plutôt que de se laisser entraîner dans le débat sur les commandites. « Le défaut ne se situe pas sur le plan des commandites; c’est le produit lui-même qui est défectueux », résume-t-il.
Malgré quelques moments difficiles au cours du débat entourant les commandites, il est clair que les organismes de santé peuvent compter à plus long terme sur l’appui de la population, dit Me LeGresley. « Le tabac a affecté chaque famille au pays. » Cet appui ne débouche pas forcément sur du militantisme, comme c’est le cas pour le mouvement écologiste, mais l’opposition aux stratégies de marketing de l’industrie est forte. « Il n’y a personne qui veut que des cigarettes soient vendues aux mineurs », dit-il à titre d’exemple.
De plus, les organismes de santé devront apprendre à profiter des divisions au sein de l’industrie du tabac pour faire avancer la cause : cette industrie est loin d’être aussi monolithique qu’elle en a l’air, et elle commet régulièrement des impairs. Les cigarettiers « ont tendance à croire qu’ils n’ont qu’à sortir assez d’argent pour régler chaque débat », dit-il.
Au cours des semaines précédant l’adoption de la loi C-71, l’industrie a fait venir une auto de course sur la Colline parlementaire, et a même fait appel à un ensemble de jazz Dixieland. « Ce n’est pas avec de la musique Dixieland qu’on peut faire changer d’avis les députés », croit Me LeGresley.
Francis Thompson