Des centres réputés efficaces, mais méconnus – même au Ministère!
Octobre 2012 - No 94
Centres d’abandon du tabagisme (CAT)
Dix ans après leur création, les centres d’abandon du tabagisme (CAT) conservent une bonne part de mystère : alors qu’ils accaparent une grosse portion des budgets dévolus à la lutte contre le tabac, personne ne sait réellement combien ils coûtent, qui les utilise ou à quel point ils contribuent à réduire le taux de tabagisme du Québec.
Ces mystères devraient néanmoins s’éclaircir partiellement au cours des prochains mois puisque le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) finance plusieurs études sur l’impact du Plan québécois de lutte contre le tabagisme, échu depuis 2010. Ces études, dont certaines portent sur les CAT, alimenteront les réflexions d’un comité qui devrait rendre un premier rapport cet automne.
Pour l’instant, on sait relativement peu de choses sur les CAT. Il en existe environ 135 au Québec. La plupart sont rattachés à un Centre de santé et de services sociaux (CSSS) et animés par une infirmière clinicienne à mi-temps. En gros, ils offrent gratuitement à tout fumeur du soutien, des conseils et des aides pharmacologiques pour qu’il arrive à abandonner le tabac.
Des résultats différents d’un CAT à l’autre
Après vérification, il s’avère que l’impact des CAT sur le tabagisme diffère grandement d’un CSSS à l’autre. Le CAT du CSSS de Trois-Rivières, par exemple, a accueilli 200 fumeurs en 2005, et 900 entre mars 2011 et mars 2012, ce qui représente une augmentation de 350 %! Encore mieux : 6 à 8 mois après avoir visité ce centre, 60 % des fumeurs avaient abandonné le tabac. La situation au CAT du CSSS de Cartierville-Bordeaux-Saint-Laurent est bien différente : le nombre d’usagers stagne à environ 60 depuis 2006-2007 et on ignore combien d’entre eux ont définitivement écrasé après leur visite.
Les scores enregistrés par le CAT de Trois-Rivières ne sont pas dus au hasard : ils tiennent aux liens tissés avec quelque 75 professionnels de la santé de la région. « Je vais à la rencontre des médecins spécialistes, des pharmaciens et des omnipraticiens pour leur rappeler notre existence et leur demander de me référer leurs patients fumeurs », explique Hélène Turcotte, l’infirmière clinicienne qui s’occupe du centre. Concrètement, elle suggère aux médecins et aux pharmaciens de demander à leurs patients adeptes du tabac si le CAT peut les contacter. « Cela nous permet d’appeler le patient plutôt que d’attendre qu’il nous appelle », dit Mme Turcotte. L’infirmière fait aussi un suivi serré des références qu’elle reçoit. « Quand je vois qu’un médecin m’en envoie moins, je le relance! », dit-elle.
Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé, le confirme : « Le fait de promouvoir les CAT auprès des professionnels de la santé et d’effectuer un suivi serré auprès d’eux contribue au succès de ce service. » Malheureusement, cela demande des efforts constants. Ainsi, le CAT de Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent « ne reçoit pas beaucoup de monde, dit Louise de Villers, qui en a eu la charge de 2003 à 2010, peut-être parce que les professionnels de la santé ne nous réfèrent pas leurs patients ». Certes, elle aussi a approché les médecins et les pharmaciens du quartier mais « il semble que cette sensibilisation soit toujours à refaire », dit-elle.
Un réseau peu utilisé, mais réputé efficace
À l’instar du CSSS de Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent, le MSSS ignore combien de fumeurs, parmi ceux qui visitent un CAT, abandonnent effectivement le tabac. « Ces données [ne sont] pas compilées », indique Yovan Fillion, du Service de la promotion des saines habitudes de vie au MSSS. Bref, le MSSS ne sait pas à quel point les CAT remplissent leur mandat. Le MSSS ne sait pas plus quelle somme les CAT ont accaparée sur les quelque 5,7 millions $ qui ont été versés aux directions de santé publique pour lutter contre le tabac en 2011-2012. Le Ministère sait seulement que c’est « la majeure partie » de ce budget.
Cela dit, le contribuable en aurait pour son argent. En effet, les rares données qui existent sur les CAT suggèrent que ces derniers aident réellement les fumeurs à écraser. Selon deux études anglaises, ils pourraient jusqu’à doubler les chances d’arrêter de fumer, rapporte l’Institut national de santé publique au Québec (INSPQ) dans un rapport sur la connaissance des interventions en arrêt tabagique publié en 2007. Dans un sondage de l’INSPQ mené en 2006 auprès de fumeurs ou d’ex-fumeurs, on apprend que près de 65 % des utilisateurs des CAT avaient trouvé ce service très utile, contre moins de 40 % pour ceux qui avaient utilisé la Ligne J’arrête.
Malheureusement, malgré leur apparente efficacité, les CAT sont gravement sous-utilisés. En 2010-2011, selon les données du MSSS, à peine 7500 fumeurs en ont profité, soit 0,5 % des 1,5 million de fumeurs du Québec. Ce faible taux d’utilisation, que l’INSPQ estime plutôt à 2 %, serait toutefois « semblable à ce que l’on retrouve ailleurs au Canada et dans le monde », note l’organisme dans une évaluation préliminaire des CAT parue en 2009.
Données à venir
Les études à venir sur les CAT devraient aider à y voir plus clair. Parmi elles, mentionnons l’étude menée par Annie Montreuil, conseillère scientifique à l’INSPQ, et portant sur les utilisateurs des CAT dans 14 régions du Québec. « L’objectif est de mieux connaître les usagers des CAT, afin que les services s’arriment mieux à leurs besoins », dit-elle. Dans son Portrait de la clientèle des centres d’abandon du tabagisme, à paraître d’ici fin 2012, Mme Montreuil examine notamment le nombre de cigarettes fumées chaque jour par ceux qui visitent un CAT, les méthodes qu’ils ont utilisées pour arrêter, la présence de fumeurs dans leur entourage, la fréquence de leurs activités physiques et leurs problèmes de santé.
Une autre étude sur les CAT à paraître d’ici la fin de l’année est celle d’Ann Royer, responsable de l’évaluation pour l’Équipe habitudes de vie/maladies chroniques à l’Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale. Cette recherche vise notamment à « décrire les activités offertes dans chacun des CAT de la région [ ], dresser le profil [de leurs] utilisateurs [et] [ ] les raisons de la non-utilisation des services offerts ». Ses résultats préliminaires montrent que les CAT restent sous-utilisés pour une variété de raisons, dont une « méconnaissance de ces services de la part des fumeurs, des médecins et des autres professionnels de la santé, [un] [ ] manque de promotion locale et régionale [ ] et [un] manque de concertation entre les différents programmes des CSSS. »
Un service méconnu
Que les CAT soient méconnus n’étonnera guère les spécialistes : en 2006, déjà, le sondage mené par l’INSPQ révélait qu’un fumeur ou récent ex-fumeur sur deux ne connaissait pas ce service. En comparaison, environ 20 % d’entre eux seulement ne connaissaient pas la Ligne téléphonique j’Arrête.
Règle générale, les aides à la cessation tabagique les mieux connues sont celles de nature pharmaceutique, comme les gommes ou les patchs. « Les compagnies pharmaceutiques ont un plus gros budget publicitaire que les CAT! », explique Mario Bujold. Par contre, selon l’INSPQ, « rien ne garantit que, s’ils étaient mieux connus, les CAT seraient plus utilisés ». En effet, près d’un fumeur sur trois n’a pas fait appel à un CAT, car il doutait de la pertinence de l’aide que celui-ci lui apporterait, montre l’étude préliminaire des CAT réalisée par l’INSPQ. En d’autres mots, bien des fumeurs croient qu’ils pourront se débarrasser de leur addiction seuls, sans soutien, alors que le tabac engendre une dépendance similaire à celle des drogues dures. Cette idée est confirmée par un autre sondage, plus informel, mené auprès de 80 fumeurs dans la région du Saguenay-Lac-St-Jean : deux personnes sur trois ne ressentaient « aucunement ou faiblement le besoin d’aide pour abandonner le tabac ». Même parmi ceux qui estimaient avoir besoin d’aide, seulement la moitié croyait que des services professionnels répondraient à leurs besoins.
« Le défi des CAT est de convaincre les fumeurs qu’ils ont tout avantage à recourir au counselling, conclut M. Bujold. Les aides pharmacologiques traitent la dépendance physique, mais le counselling traite la dépendance psychologique. » Un autre beau sujet de réflexion pour le comité chargé de revoir le Plan québécois de lutte contre le tabagisme. Et pour le MSSS.
Anick Perreault-Labelle