Aider les fumeurs hospitalisés à écraser

Une hospitalisation représente une occasion idéale pour cesser de fumer. De plus en plus d’hôpitaux le réalisent et aident leurs patients à se libérer du tabac.

Se libérer d’une dépendance au tabac n’est pas facile. Parfois, la maladie devient la « petite raison de plus » dont le fumeur a besoin pour écraser. Surtout si sa santé exige un séjour à l’hôpital. En effet, qu’importe sa maladie, il y a de bonnes chances que le tabac y ait contribué. L’hôpital favorise aussi l’arrêt tabagique pour des raisons pratico-pratiques : pour en griller une, le fumeur doit s’éloigner à neuf mètres de la porte la plus proche ou s’enfermer dans l’un des rares fumoirs qui existent encore. Enfin, on y est entouré de professionnels de la santé qui, a priori, connaissent bien les dangers du tabac.

En trois minutes ou moins, le médecin ou l’infirmière peuvent présenter au fumeur les différentes aides à la cessation et lui en proposer une.

Bref, une hospitalisation est le moment idéal pour réfléchir à sa dépendance à la nicotine. Depuis une dizaine d’années, des centres hospitaliers du Québec mettent donc en place des programmes qui soutiennent l’arrêt tabagique de leurs patients. Parmi les 20 à 30 hôpitaux qui ont fait le saut, mentionnons, dans la région de Québec, l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie et l’Hôtel-Dieu de Lévis et, à Montréal, l’Institut de cardiologie, l’Hôpital général juif et l’Hôpital général du Lakeshore. Il existe des programmes semblables à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval, et l’Hôpital de Saint- Georges, dans la région de Chaudière- Appalaches, entre autres.

Les professionnels de la santé de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec utilisent une tablette numérique lors de leurs interventions en cessation tabagique.
Les professionnels de la santé de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec utilisent une tablette numérique lors de leurs interventions en cessation tabagique.
Un gain pour les hôpitaux

Les hôpitaux doivent investir temps et argent pour aider leurs patients à se libérer du tabac, mais ils ont tout à y gagner. « Moins de fumeurs, à long terme, ça équivaut à moins d’hospitalisations et à des séjours hospitaliers moins longs », résume Kerri-Anne Mullen, directrice de réseau au Modèle d’Ottawa pour l’abandon du tabac, un programme destiné spécifiquement aux personnes hospitalisées. En effet, le temps de convalescence des fumeurs est plus long tandis que, selon une étude du Groupe d’analyse (un cabinet de consultation en économie), le tabac est responsable de près du tiers des journées d’hospitalisation.

Cela dit, les hôpitaux n’ont pas l’obligation formelle de traiter le tabagisme de leurs patients : le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) n’a émis aucune directive à ce sujet. Résultat : le moteur derrière l’implantation de ces programmes sont souvent des médecins au fait des ravages du tabac. La Direction de santé publique de Montréal est aussi présente dans ce dossier, par la voie de projets pilotes et du Réseau québécois des établissements promoteurs de santé (RQEPS).

En fin de compte, les centres hospitaliers qui veulent se lancer disposent de soutien et d’outils. Parmi les principaux, mentionnons les lignes directrices du Réseau d’action canadien pour l’avancement, la dissémination et l’adoption de pratiques en matière de traitement du tabagisme (CAN-ADAPTT), le guide du RQEPS et le Modèle d’Ottawa, un programme développé par l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa.

Des programmes d’usage facile

La plupart des outils qui existent ont été développés dans les années 2000. Bien qu’ils aient chacun leurs particularités, ils partagent plusieurs principes. Par exemple, ils recommandent tous de vérifier le statut tabagique des patients et de le noter à leur dossier. Ils conseillent aussi de féliciter ceux qui ne fument pas et de proposer à ceux qui fument une rencontre avec un professionnel de la santé. Cette rencontre dure généralement de quelques minutes à un quart d’heure. En trois minutes ou moins, le médecin ou l’infirmière peuvent présenter au fumeur les différentes aides à la cessation et lui en proposer une.

Si ces professionnels ont un peu plus de temps, ils peuvent questionner le patient sur les raisons qui le poussent à fumer et à vouloir arrêter. En gros, il s’agit de mieux comprendre la dépendance du patient afin de le conseiller le plus adéquatement possible. « Par exemple, avec un fumeur qui a déjà arrêté, mais qui a repris, on dédramatise d’abord les rechutes », explique Céline Bastien, infirmière clinicienne spécialisée en arrêt tabagique au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de l’Ouest-de-l’Île, auquel est rattaché l’Hôpital général du Lakeshore.

On le sait : le tabac nuit à la santé. Le message a beau être connu, il passe mieux lorsqu’on est couché dans un lit d’hôpital.
On le sait : le tabac nuit à la santé. Le message a beau être connu, il passe mieux lorsqu’on est couché dans un lit d’hôpital.
Toutes sortes de fumeurs

« Il y a toutes sortes de fumeurs et toutes sortes de raisons pour arrêter », renchérit Joseph Erban, conseiller du programme de cessation tabagique à l’Hôpital général juif. on peut vouloir écraser pour protéger sa santé, celle de ses proches, renflouer son portefeuille ou se débarrasser de l’odeur du tabac. Même un patient qui ne veut pas arrêter de fumer peut profiter d’une rencontre sur la cessation tabagique. Le professionnel de la santé le questionne alors sur les avantages et les inconvénients qu’il voit à son tabagisme et le laisse constater ses propres contradictions. « Le séjour à l’hôpital devient alors une occasion d’essayer des choses, comme les TRN (thérapies de remplacement de la nicotine), et de mieux connaître les ressources qui existent », explique Véronique Therrien, intervenante en tabagisme à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec.

La plupart des programmes en cessation tabagique destinés aux milieux hospitaliers prévoient aussi un suivi téléphonique avec les patients trois ou six mois après leur départ de l’hôpital. « C’est une étape essentielle, dit Sonya Mathieu, infirmière et agente de promotion en saines habitudes de vie au CSSS de Beauce, auquel est rattaché l’Hôpital de Saint-Georges. Pendant son hospitalisation, un fumeur sera peut-être déterminé à arrêter, mais de retour chez lui, dans ses habitudes, il sera davantage tenté de recommencer à fumer. »

Résultats éloquents

Dans l’ensemble, ces programmes obtiennent d’excellents résultats. Bien que les séjours en centre hospitalier ne durent que quelques jours, en moyenne, cela suffit pour amorcer une prise de conscience. « Si tous les employés de l’hôpital tiennent le même discours sur l’usage du tabac, celui-ci finit par passer, même s’il ne dure que quelques minutes », dit Céline Bastien. Avec le Modèle d’Ottawa, par exemple, le taux de cessation à six mois des personnes hospitalisées passe de 18 % à 29 %, rapporte une étude de Robert Reid et son équipe parue dans Nicotine & tobacco Research. La cerise sur le sundae? Ces interventions sont bon marché. « Elles coûtent seulement 80 à 100 dollars par patient, incluant une rencontre d’environ 30 minutes avec une spécialiste en cessation, une TRN et un suivi téléphonique », calcule Kerri-Anne Mullen. Comparativement au coût d’une nouvelle hospitalisation, c’est très peu.

Cela dit, mettre ces outils en place demande un minimum de ressources! Par exemple, certains hôpitaux ont ajouté une question sur le tabagisme dans leur formulaire d’admission tandis que d’autres ont préimprimé des ordonnances afin que les médecins prescrivent plus facilement des TRN. Tout cela coûte quelque chose. Par ailleurs, « former le personnel est essentiel, insiste Véronique Therrien. Il y a beaucoup de mythes sur la cessation tabagique, même dans le milieu de la santé : par exemple, que fumer est une ″habitude″ ou qu’il est dangereux de fumer en portant un timbre. » Mais, pour surmonter ces difficultés, les hôpitaux peuvent recourir aux outils qui existent.

Et ainsi, réduire peu à peu le tabagisme de la province, le temps de séjour des patients, les nouvelles hospitalisations et… les coûts du système de santé.

Anick Labelle