‎1 G$ de Philip Morris International pour un monde sans fumée

La Fondation pour un monde sans ‎fumée a été lancée en septembre ‎‎2017, à New York.‎
La Fondation pour un monde sans fumée, présentée comme un organisme indépendant, recevra 1 G$ de Philip Morris International (PMI). Les groupes de santé sont outrés.

Est-il possible que le plus grand cigarettier au monde investisse de manière désintéressée dans la lutte contre le tabagisme? C’est ce que soutient la Fondation for a Smoke-Free World  (Fondation pour un monde sans fumée). L’organisme nouvellement créé se dit indépendant même s’il recevra du fabricant de Marlboro 1 G$ sur une période de 12 ans. Coup d’œil sur cette initiative et, surtout, sur les pièges potentiels qu’elle présente.

Indépendante et transparente?

Sur papier, la Fondation pour un monde sans fumée est juridiquement indépendante et s’engage à la transparence. Elle bénéficie d’un atout de taille : son fondateur est le Dr Derek Yach, un ancien directeur de l’Organisation mondiale de la Santé, où il gérait les dossiers des maladies non transmissibles et de la santé mentale. Concrètement, sa fondation s’est fixé deux grands objectifs : collaborer avec d’autres organisations sans but lucratif, militantes ou gouvernementales pour faire avancer la science et la technologie de la cessation tabagique et celle de la réduction des risques, et faciliter la recherche et le dialogue sur la réduction globale du tabagisme ainsi que sur son impact sur l’agriculture et l’économie. Dans The Lancet, Derek Yach précise que « la fondation va aussi surveiller et rapporter de manière indépendante et objective les actions de l’industrie, incluant celles qui font obstacle aux efforts d’implantation de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT). » (notre traduction)

Pour l’instant, la Fondation est uniquement financée par Philip Morris International, qui mène par ailleurs de nombreuses actions pour un monde plus enfumé.

Le problème? Son financement est assuré pour l’instant uniquement par PMI, qui mène par ailleurs de nombreuses actions pour un monde plus enfumé. En effet, au cours des dernières années, PMI ou ses filiales ont contesté devant les tribunaux de nombreuses mesures de lutte contre le tabagisme, dont l’emballage neutre et l’interdiction des déclinaisons de marque. De plus, une enquête de Reuters a dévoilé récemment les efforts menés en catimini par le cigarettier pour affaiblir la CCLAT, un traité qu’il qualifiait récemment de train devenu fou (« regulatory runaway train »). Mentionnons également que le rapport annuel de 2016 de l’entreprise liste, parmi les risques auxquels fait face l’industrie, les « obligations réglementaires visant à réduire ou à prévenir l’usage des produits du tabac » (notre traduction) . Enfin, le milliard de dollars que PMI s’est engagé à verser sur 12 ans à la Fondation pour un monde sans fumée ne représente pas plus de 1 % de ses bénéfices nets de 2016 . En somme, PMI n’engage pas de fonds substantiels dans cette aventure. Si les objectifs de cette fondation paraissent légitimes sur papier, il est donc difficile de ne pas y voir un coup de marketing et de désinformation de la part du cigarettier.

Le centre opérationnel de Philip ‎Morris ‎International, à Lausanne.‎
Une réaction unanimement négative

Du côté des groupes de santé, les réactions n’ont pas tardé et aucune n’a été positive. Pour eux, il y a une contradiction fondamentale entre la lutte contre le tabagisme et la recherche de profits inhérente aux entreprises. Selon leur analyse, la fondation fondée par Derek Yach est une version modernisée des centres de recherche créés par des cigarettiers dans les années 1950 et aujourd’hui discrédités, voire interdits. Selon l’analyse de Neil Collishaw, directeur de la recherche chez Médecins pour un Canada sans fumée et pionnier de la lutte antitabac au pays, le financement de cette fondation par PMI viserait avant tout à redorer la réputation de l’entreprise et à mettre en valeur ses produits sans combustion. Elle viserait aussi à augmenter l’influence du cigarettier dans les milieux scientifiques et journalistiques afin de créer de fausses controverses visant à assouplir ou retarder des mesures de lutte contre le tabagisme. À l’annonce de la création de cette fondation, les groupes canadiens et québécois ont appelé le gouvernement fédéral à rétablir les budgets dédiés à la lutte contre le tabagisme et à refiler la facture à l’industrie. « Ottawa devrait appliquer le principe du pollueur-payeur à la santé publique en imposant une redevance réglementaire aux fabricants de tabac, explique Flory Doucas, codirectrice et porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Cela obligerait les cigarettiers à internaliser certains des coûts qu’ils imposent à l’État tout en libérant le gouvernement de certaines dépenses. »

La vigilance est de mise. En effet, la création de cette fondation s’inscrit dans une tendance plus large qui voit le retour des cigarettiers dans l’espace public. Par des conférences devant des cercles de réflexion (think tanks) ou des associations patronales et des lettres dans les journaux, les cigarettiers se présentent de plus en plus souvent comme des partenaires de la santé publique. Leur passé demande un minimum de prudence.

Anick Labelle