Imperial Tobacco tente de redorer son image

Comment une compagnie de tabac doit agir au 21e siècle pour satisfaire les attentes sociétales? Telle est la question qu’Imperial Tobacco Canada (ITC) a récemment posée à plusieurs décideurs politiques, chercheurs, organismes de santé et commerçants.

Dans le cadre d’un programme intitulé « Parlons-en », elle souhaite utiliser les conseils de ces différents intervenants pour produire un « bilan social » censé lui permettre de « prendre des décisions plus avisées ». Toutefois, les groupes antitabac québécois et canadiens voient plutôt dans cette initiative une habile stratégie de relations publiques destinée à redorer son image.

« Un échantillon représentatif de nos dépositaires d’enjeux sera invité à rencontrer des experts de l’entreprise pour discuter ouvertement de leurs opinions et de leurs préoccupations sur certains enjeux et sur le rôle qu’Imperial Tobacco Canada devrait jouer quant à leur résolution », peut-on lire dans un communiqué daté du 13 octobre. Néanmoins, même s’il sera possible de « discuter ouvertement », seuls les enjeux présélectionnés par la compagnie seront abordés. Les échanges porteront donc essentiellement sur : l’accès des jeunes au tabac, la réduction des risques liés à l’usage du tabac et le commerce illicite.

« Un rendement financier supérieur n’est plus le seul facteur pour mesurer la réussite en affaires, assure ITC. En tant que chef de file des manufacturiers de produits du tabac, nous désirons donner l’exemple en faisant de la responsabilité une partie intégrante de notre stratégie et de la structure de notre gouvernance. » Toutefois, dans le fascicule remis à certains « dépositaires d’enjeux », qui ont décliné l’invitation du fabricant, on peut lire : « Notre fonction prioritaire est de créer de la valeur financière à long terme pour notre actionnaire. »

Lors d’un discours prononcé à la mi-octobre, devant le Club économique de Toronto, le président et chef de la direction d’Imperial Tobacco, Benjamin Kemball, a décrit les grandes lignes de son nouveau programme, en plus de critiquer la lutte antitabac. Outré que les cigarettiers soient écartés du processus d’élaboration et d’implantation des politiques de réduction du tabagisme, il a prétendu que le concept de « dénormalisation » avait un impact négatif, non pas sur son industrie, mais plutôt sur les fumeurs…

Faisant totalement abstraction de la dépendance et de l’existence des thérapies de remplacement de la nicotine (qui fournissent la drogue que les fumeurs recherchent, sans présenter les dangers de la cigarette), M. Kemball a déclaré que son entreprise ne fait que répondre « à une demande pour un produit légal pour lequel il n’existe pas de version sans risque ».

Selon un sondage commandité par ITC, 84 % des Canadiens souhaiteraient que les gouvernements et les « dépositaires d’enjeux» travaillent de concert avec l’industrie du tabac. Par contre, les opinions sont plus partagées lorsque vient le moment de déterminer si les compagnies de tabac peuvent être socialement responsables : 47 % n’y croient pas tandis que 46 % pensent que c’est possible.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, qui considère « Parlons-en » comme « un artifice de relations publiques », a conseillé à ses 700 membres de ne pas y participer. Son coordonnateur, Louis Gauvin, n’est cependant pas étonné qu’Imperial Tobacco Canada sente le besoin de légitimer son entreprise, vu les nombreux procès dans lesquels elle est impliquée et la constante diminution du tabagisme.

« L’industrie du tabac n’a plus aucune crédibilité, expose-t-il, et ça nuit énormément au bon fonctionnement de ses affaires. » Citant un article paru dans La Presse du 26 octobre, il révèle que la croissance moyenne de l’industrie, qui n’avait chuté que de 0,7 % au cours de l’année 2004-2005, devrait connaître un déclin de 15 % en 2006-2007.

Selon lui, les enjeux ciblés par ITC ne seraient pas étrangers à ses intérêts financiers. « Il a été démontré que sa campagne Opération carte d’identité n’incite pas les jeunes à moins fumer, bien au contraire, soutient M. Gauvin. De plus, une régression de la contrebande entraînerait probablement un retour des fumeurs vers ses produits. »

Au niveau national, la Coalition canadienne pour l’action sur le tabac a remis à ses membres un document renfermant des prémisses qu’Imperial Tobacco aurait dû considérer pour être prise au sérieux. On peut notamment y lire que : « Les produits de l’industrie du tabac sont responsables de la mort prématurée de 45 000 Canadiens annuellement, et qu’elle n’a jamais reconnu sa responsabilité pour cela. »

Le groupe déplore que la compagnie fasse toujours référence aux « adultes qui choisissent de fumer », en refusant d’avouer que son produit cause une forte dépendance et que la plupart des fumeurs ont débuté avant l’âge de 18 ans. Il rappelle également qu’au cours des dernières années, ITC s’est opposée à la plupart des moyens jugés efficaces de réduire le tabagisme, contestant même la validité de la Loi sur le tabac fédérale devant les tribunaux.

Cesser de financer les groupes de façade qui défendent ses intérêts, appuyer les hausses de taxes et la Convention-cadre pour la lutte antitabac, mettre un terme à sa politique de destruction de documents, suspendre l’approvisionnement des détaillants qui acceptent de vendre des cigarettes aux mineurs font partie des avenues qui pourraient permettre à Imperial Tobacco de convaincre les groupes de santé de sa bonne foi.

Les risques, selon ITC

« L’environnement canadien pose deux principaux risques pour Imperial Tobacco Canada, peut-on lire dans un document interne de la compagnie*, daté de 2000.

Le premier réside dans les interventions gouvernementales et comprend des mesures comme les hausses de taxes, le contrôle des prix, les modifications du produit, la réglementation des emballages, et les restrictions sur la publicité et la distribution du produit. Le second est la « démonisation » de l’industrie et la « dénormalisation » de l’usage du tabac qui se reflètent par les actions des groupes de lobby antitabac et par la stratégie fédérale de réduction du tabagisme, ainsi que leur impact sur notre image corporative. »

Pour atteindre ses objectifs à court et à long terme, la stratégie corporative de l’entreprise prévoyait entre autres « normaliser » ses relations avec les gouvernements. Pour ce faire, elle avait établi quatre objectifs : concentrer ses programmes sur les risques pour la santé et la vente aux mineurs, regagner sa crédibilité auprès des « dépositaires d’enjeux », renverser ou éliminer la « démonisation » de l’industrie et rester à l’affût des différentes initiatives antitabac.

Parmi les campagnes déjà amorcées à l’époque où le document interne a été rédigé, ITC énumérait entre autres : l’Opération carte d’identité, sa politique de philanthropie, son engagement dans la communauté de même que les conférences données par son président et directeur général.

Au Royaume-Uni

En 2001, une stratégie similaire à « Parlons-en » a été utilisée au Royaume-Uni par la société-mère d’ITC, British American Tobacco. Là aussi, la multinationale a consulté plusieurs intervenants afin de produire un rapport sur ses impacts sociaux et environnementaux. En réaction à cette campagne, le groupe londonien Action on Smoking and Health (ASH) a produit un bilan d’une quarantaine de pages intitulé British American Tobacco – The other report to the society.

« Le problème avec BAT n’est pas seulement qu’elle fabrique un produit hautement toxique qui engendre une forte dépendance. Nous jugeons la compagnie sur ses agissements, ses pratiques commerciales, ses orientations et sa sincérité. La conclusion que nous en tirons est que l’irresponsabilité de BAT repose non seulement sur son produit mortel, mais également sur ses stratégies d’affaires », y indiquait ASH.

Josée Hamelin

* Imperial Tobacco Canada Limited, Company Plan 2001-2002, including outlook 2001-2003