Tour de vis à l’horizon pour protéger les jeunes du vapotage
Mars 2021 - No 149
Le directeur national de santé publique du Québec poursuit son travail visant à prévenir le vapotage chez les jeunes, malgré les contraintes dues à la COVID-19. Son rapport déposé en décembre recommande sept mesures qui aideraient à diminuer l’attrait des adolescents envers les pods, mods et autres cigarettes électroniques.
Ce sont des objets connectés, au design moderne, au goût fruité ou sucré qui libèrent une bonne dose de nicotine. Que les produits de vapotage attirent autant les adolescents n’est guère étonnant. Consommer de la nicotine à leur âge n’est toutefois pas sans risques : dans leur cerveau en développement, cette drogue altère durablement les connexions synaptiques, ce qui peut nuire à leur mémoire et à leur concentration, voire favoriser l’usage d’autres drogues. Or, au Québec, depuis 2013, la prévalence du vapotage, du dosage ou du juuling a grimpé de 17 points de pourcentage chez les élèves du secondaire, alors que leur taux de tabagisme a diminué d’à peine 3 points, selon l’Institut de la statistique du Québec. Rappelons aussi qu’aucun produit de vapotage n’a été homologué par Santé Canada, et qu’on ignore donc leur efficacité réelle en fait de cessation tabagique. En somme, il est urgent d’agir.
En décembre 2020, le directeur national de santé publique (DNSP) a publié un rapport qui comprend sept recommandations visant à mieux encadrer le vapotage. L’objectif consiste à dissuader les jeunes de faire l’essai de ces produits dans le but de protéger leur santé et celle de la population en général. Les groupes de santé pressent le gouvernement de passer aux actes, sans prêter l’oreille aux objections de l’industrie qui, comme d’habitude, cherche à freiner la mise en place de mesures efficaces sur la foi de données bancales.
Un groupe d’experts multidisciplinaire
Le rapport du DNSP se fonde sur les travaux d’un groupe spécial d’intervention, composé de cliniciens, d’organismes liés à la lutte contre le tabac, d’experts en santé publique et de fonctionnaires du ministère de la Famille, du ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport et du Secrétariat à la jeunesse. Les sept recommandations touchent aux saveurs des produits de vapotage, à leur taux de nicotine, à leur accessibilité géographique et économique ainsi qu’à leurs caractéristiques physiques.
Recommandation 1 : Interdire les produits de vapotage comportant une saveur autre que celle du tabac
Alors que le Québec interdit les saveurs dans les produits du tabac combustibles depuis 2016, il permet encore la vente de produits de vapotage aromatisés offerts en milliers de saveurs. Or, « de nombreuses études démontrent que les saveurs sont la principale raison qui incite les jeunes et les adultes à s’initier au vapotage », note le rapport du DNSP. En outre, alors que le marketing de ces saveurs laisse croire à leur innocuité, elles renferment des dizaines, voire des centaines de composés chimiques dont on ignore souvent s’ils peuvent être inhalés sans danger ou quelles répercussions a leur usage combiné sur la santé.
Recommandation 2 : Limiter à 20 mg/ml la concentration maximale de nicotine dans les produits de vapotage et restreindre la capacité de leurs réservoirs ainsi que le volume des bouteilles de liquides à vapoter.
Cette recommandation vise en priorité les produits à capsule des grands fabricants comme Juul Labs ou British American Tobacco. Ces produits sont apparus sur le marché immédiatement après que le Canada ait légalisé les produits de vapotage contenant de la nicotine, en 2018. Ces cigarettes électroniques à base de sels de nicotine sont élégantes, faciles à utiliser et vendues dans les grandes chaînes de dépanneurs. De plus, la concentration nicotinique de certaines d’entre elles approche du seuil de toxicité défini par Santé Canada, soit 66 mg/ml. Aujourd’hui, de nombreux autres produits de vapotage vendus dans les magasins spécialisés renferment également de fortes doses de nicotine.
Souvent citée en exemple, l’Union européenne limite à 20 mg/ml la concentration en nicotine de ces produits. Cinq autres pays, ainsi que la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, font de même. Enfin, Santé Canada s’apprête à adopter une mesure semblable.
Imperial Tobacco Canada prétend qu’un apport de 20 mg/ml ne suffira pas aux fumeurs. Pourtant, plusieurs chercheurs concluant à l’efficacité du vapotage pour cesser de fumer n’utilisent pas de produits avec des concentrations de nicotine supérieures à 20 mg/ml.
Recommandation 3 : Instaurer un permis de vente pour les produits de vapotage et, par souci de cohérence, pour les produits du tabac.
L’instauration de permis de vente présente plusieurs avantages, notamment de permettre une surveillance plus étroite et plus systématique des points de vente. Cette mesure entraîne aussi une meilleure connaissance du réseau des points de vente. Elle permet d’en contrôler plus facilement le nombre ou la densité, par exemple, dans les environs des établissements scolaires. Mentionnons que la réduction graduelle des points de vente des produits du tabac et des produits de vapotage est déjà en vigueur à San Francisco.
Recommandation 4 : Diminuer la densité des points de vente des produits de vapotage à proximité des établissements d’enseignement.
Au Québec, les produits de vapotage seraient disponibles dans quelque 8 300 dépanneurs et magasins spécialisés. Près de la moitié (49 %) des établissements d’enseignement collégial se situent à un kilomètre ou moins d’un point de vente spécialisé. Ce fait n’est pas anodin puisque les recherches semblent indiquer une association entre, d’une part, la densité des points de vente et, d’autre part, un usage accru du tabac combustible et une probabilité moindre de cesser de fumer. « Il est plausible de croire que les mêmes tendances s’observent pour les produits de vapotage », note le rapport du DNSP.
Recommandation 5 : Adopter une taxe provinciale spécifique sur les produits de vapotage
Pour l’Organisation mondiale de la Santé, taxer les produits du tabac est « la méthode la plus puissante et la plus rentable » pour diminuer leur consommation. Il tombe sous le sens qu’augmenter le prix d’un produit en réduit l’usage. Or, au Québec, la taxe spécifique sur les produits du tabac n’a pas augmenté depuis 2014, tandis que les produits de vapotage ne sont soumis qu’aux habituelles taxes de vente. La province impose pourtant une taxe spécifique à d’autres produits ayant des effets indésirables sur la santé, comme le cannabis et l’alcool.
Même le Royaume-Uni, qui soutient l’usage des produits de vapotage aux fins de cessation tabagique, prélève une taxe spécifique de ces dispositifs. Celle-ci s’élève à 20 % si le dispositif est vendu comme produit de consommation, mais seulement à 5 % s’il est vendu comme produit pharmaceutique (ce qui n’est le cas d’aucun produit de vapotage pour l’instant).
Recommandation 6 : Limiter les caractéristiques des produits de vapotage
En théorie, les vapes, mods, pods et autres produits de vapotage se destinent à des fumeurs souhaitant se libérer du tabac. Néanmoins, on trouve sur le marché de plus en plus de modèles variés « avec des formes, des couleurs, des accessoires personnalisables ou des fonctions qui s’apparentent à d’autres objets courants, tels que des clés USB, des montres, des colliers [ou] des haut-parleurs », note le rapport du DNSP, qui préconise que ces dispositifs ne ressemblent pas à d’autres objets usuels. L’objectif, là encore, est de réduire l’attrait que ces appareils exercent sur les jeunes qui, dans leur quête d’identité et d’appartenance à un groupe, sont particulièrement sensibles à l’allure des produits qu’ils consomment.
Recommandation 7 : Encadrer de façon stricte les nouveaux produits nicotiniques
En théorie, les produits qui contiennent de la nicotine doivent obtenir une autorisation de Santé Canada avant d’être vendus légalement. Les produits de vapotage ont reçu une exemption lors de l’adoption de la Loi sur le tabac et les produits du vapotage parce qu’ils sont considérés comme une option moins nocive pour les adultes qui fument. Cela dit, à l’heure actuelle, de nombreux autres produits nicotiniques commencent à apparaître sur le marché, comme les poches de nicotine, sans avoir été autorisés par Santé Canada. Le Québec pourrait donc établir son propre cadre réglementaire afin de mieux les contrôler.
Agir, vite!
La forte hausse du vapotage chez les jeunes et la faible utilisation de ces dispositifs chez les fumeurs plus âgés démontre l’inadéquation des règlements actuels. La situation « requiert une prise de mesures imminente de la part des autorités », conclut le rapport du DNSP. Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, s’est engagé en fin décembre à agir « rapidement », en précisant que « les recommandations concernant les arômes et saveurs, ainsi que la limite maximale de nicotine [l’]interpellent particulièrement ». Néanmoins, le ministre n’a pas indiqué quelles actions précises il poserait, ni à quel moment il agira. Comme l’écrit si bien la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, « le temps des consultations, des réflexions et des analyses est révolu ». Il est temps de passer à l’action!
Anick Labelle
Correction : Une version précédente de cet article rapportait erronément que 30 % des jeunes consomment de la nicotine en vapotant ou en fumant du tabac combustible. En réalité, 23 % d’entre eux consomment de la nicotine, dont 7 % qui vapotent et fument.