« Riches » et « veloutées » succèdent aux « douces » et « légères »

Vers quels produits se dirigeront les fumeurs lorsque les expressions « douces » et « légères » auront disparu des paquets de cigarettes? Vraisemblablement les mêmes, si l’on se fie à un document de JTI-Macdonald dont Info-tabac a obtenu copie. Seuls les qualificatifs qui accompagnent le nom des marques changeront, ce qui rendra à peu près caduque le règlement interdisant les appellations trompeuses que Santé Canada prévoit bientôt déposer.

Destiné aux propriétaires et employés de dépanneurs, le Guide de dénomination de marque de JTI-Macdonald – qui compte une quarantaine de pages et est abondamment illustré – a été produit pour s’assurer que ces derniers fourniront une information correcte et adéquate aux consommateurs.

Dans son préambule, signé par le vice-président des ventes et du marketing, Nelson Medeiros, on apprend que la « plus ancienne compagnie de tabac au Canada » a déjà commencé à remplacer les cigarettes « douces » ou « légères » par des produits portant de nouveaux descripteurs.

Ainsi, les importations telles que les Camel et les Winston, que JTI-Macdonald distribue, substitueront leur « légère » par « bleu ». Pour la plupart des marques fabriquées par la compagnie, les termes litigieux seront tout simplement remplacés par « veloutée » ou « riche », à l’exception de la Vantage « légère » qui deviendra la Vantage « Spécial 5 » et de la « ultra légère » du même nom, qui arborera dorénavant le chiffre « 1 ». Les seules mentions trompeuses qui vont réellement disparaître (sans être suppléées) sont celles qui figurent sur les cigares de marques Century Sam et Muriel.

Directeur de la recherche de l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée (MCSF), Neil Collishaw n’est pas surpris que les compagnies continuent de faire croire aux fumeurs que certains produits sont moins nocifs que d’autres. « Nous avons beaucoup étudié le comportement de cette industrie, a-t-il expliqué à Info-tabac, et elle agit exactement comme on s’y attendait. »

L’expert – qui a déjà collaboré à la rédaction d’un essai sur la nationalisation des compagnies de cigarettes – explique qu’« en tant que société à but lucratif, JTI-Macdonald cherche à minimiser l’impact de tout règlement ou de toute action qui aura des répercussions négatives sur sa situation financière ou qui l’empêchera de gagner encore plus de fric ».

Selon lui, le fond du problème réside dans la gradation. « Les fumeurs ont-il vraiment besoin de sept variétés d’Export‘A’? », s’interroge-t-il, en supposant que s’il n’y en avait qu’une seule, il ne serait plus possible d’insinuer que certaines cigarettes sont moins dangereuses que d’autres. « À long terme, la solution à envisager serait la mise en place de l’emballage neutre, poursuit M. Collishaw. Ainsi, tous les paquets, peu importe leur marque ou variante, seraient sur un pied d’égalité. »

Des détaillants complices?

En suivant les recommandations de l’industrie du tabac, on peut se demander si les détaillants ne se rendent pas indirectement complices de la perpétuation du faux sentiment de sécurité ressenti par les fumeurs qui optaient pour des cigarettes « douces » ou « légères ». Toutefois, le directeur de la recherche de MCSF indique que, pour eux, suivre les conseils des fournisseurs – lesquels disposent généralement de recherches de mise en marché pour faire vendre un produit – est une pratique d’affaires courante, voire une formalité : « On leur dit de manière implicite : « Si vous faites ceci, vos revenus ne seront pas affectés « , et ça, c’est très invitant ».

Règlement de Santé Canada

Questionné à savoir s’il croit que Santé Canada va modifier son projet de règlement pour inclure tous les termes susceptibles d’induire les fumeurs en erreur, M. Collishaw répond qu’il le « souhaite vivement ». « Il me semble évident que l’accord avec le Bureau de la concurrence n’aura aucun effet sur la santé publique, complète-t-il. Santé Canada travaille depuis fort longtemps à l’élaboration d’un projet de règlement pour interdire cette tromperie, alors j’espère qu’avec cette preuve sous les yeux, ça l’incitera à mettre en place un règlement qui aura plus d’impact sur le marketing de ces produits. »

Toutefois, lui et ses collègues de la lutte antitabac risquent d’être déçus puisque Santé Canada ne prévoit pas modifier son projet de règlement. « Pour l’instant, on s’est concentré sur les « légères » et les « douces » parce qu’on sait que les Canadiens associent un effet bénéfique à ces descripteurs, explique Christine Belle-Isle, gestionnaire au Bureau de la réglementation et de la conformité de Santé Canada. Avant d’interdire d’autres termes, il faudrait faire une étude et obtenir des données montrant qu’ils ont également cet effet, ce qui pourrait prendre quelques années. »

Si les échéanciers sont respectés et que sa prépublication est effectuée d’ici la fin de l’été, le règlement de Santé Canada devrait entrer en vigueur au début de l’automne 2008. Toutefois, on peut d’ores et déjà exclure la mise sur pied d’une campagne médiatique qui aurait informé la population sur les raisons qui ont convaincu le gouvernement de bannir les « douces » et les « légères ». « On a déjà mené de telles campagnes de sensibilisation dans le passé et elles ont plus ou moins bien atteint leur objectif, signale Mme Belle-Isle, avant d’ajouter que « ce type d’activités est toujours très délicat parce qu’il fournit de la publicité indirecte aux fabricants. »

Retrait « volontaire » des manufacturiers

Rappelons qu’en novembre 2006, le Bureau de la concurrence annonçait, par voie de communiqué, s’être entendu avec les trois grands cigarettiers canadiens (Imperial Tobacco Canada, JTI-Macdonald et Rothmans Benson & Hedges), pour qu’ils retirent « de manière volontaire » (et avant d’y être obligés par le règlement fédéral) les qualificatifs « douces » et « légères » des paquets de cigarettes vendus au Canada. Cette mesure, amorcée en décembre 2006, devrait être complétée le 31 juillet 2007.

Les experts en santé publique qui ont déposé la plainte à l’origine des accords conclus avec les fabricants, déplorent que les motifs du retrait ne figurent nulle part et affirment que la tromperie va se poursuivre en dépit de ce « retrait volontaire » (voir Info-tabac no 67).

À l’échelle mondiale

En vertu de l’article 11 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé, les pays qui, comme le Canada, ont ratifié le traité doivent interdire les « termes, descriptifs, marques commerciales, signes figuratifs ou autres qui donnent directement ou indirectement l’impression erronée qu’un produit du tabac particulier est moins nocif que d’autres ».

À ce jour, au moins une quarantaine de pays, incluant les 27 qui forment l’Union européenne, ont banni les appellations trompeuses. Néanmoins, dans la plupart des cas, l’interdiction se limite aux « douces » et « légères » et non à l’ensemble des termes leur servant de synonymes.

L’illusion de la « légèreté »

Malgré leur prétention, les cigarettes dites « légères » n’ont jamais été moins toxiques que les autres, estiment les experts. Contrairement aux produits alimentaires sur lesquels on peut déceler une réelle différence (apport énergétique, sucre, sel ou matières grasses), les chiffres relatifs au niveau de goudron et à celui des autres émissions toxiques inscrits sur le côté des paquets ne reflèteraient pas les quantités absorbées par les fumeurs, puisqu’ils sont mesurés à partir de « machines à fumer » qui ne reproduisent pas le comportement humain.

Afin de tirer le maximum de leurs « légères », les « vrais » fumeurs bouchent, avec leurs doigts, les minuscules trous de ventilation situés sur le filtre, prennent davantage de bouffées et laissent filer moins de temps entre chacune d’entre elles.

Josée Hamelin