L’OMS dénonce la haute visibilité du tabac au cinéma

Rares sont les films hollywoodiens dans lesquels l’usage du tabac est montré sous son vrai jour. Au lieu de conduire à la dépendance, aux maladies et à la mort, fumer y est plutôt présenté comme une activité normale, régulièrement adoptée par des personnages fortunés, attirants et puissants. En réaction à l’image complaisante du tabagisme qu’ils véhiculent, le cinéma et la mode font l’objet de la prochaine Journée mondiale sans tabac, présentée le 31 mai sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Paradoxalement, Hollywood est situé en Californie, peut-être l’endroit sur Terre le plus à l’avant-garde de la lutte contre le tabac. Il y est défendu de fumer dans les bars depuis janvier 1998. Mal à l’aise devant la contribution des producteurs de cinéma américains à la propagation mondiale du tabagisme, le Dr Stanton Glantz, de l’Université de Californie à San Francisco, a lancé le projet SmokeFree Movies. Le professeur Glantz est un expert renommé du contrôle du tabac; avec ses collègues, il a signé une foule de recherches sur plusieurs de ses aspects, notamment la protection des non-fumeurs.

En novembre 2002, SmokeFree Movies, de concert avec l’OMS, l’Association médicale américaine et l’Association pulmonaire américaine ont dénoncé la présence trop fréquente du tabac au grand écran. Ces organismes proposent une série de mesures visant à en réduire l’impact. D’abord, on demande d’ajouter au générique des films à contenu tabagique, une mention certifiant qu’aucun membre de la production n’a accepté de rétribution de la part d’un cigarettier. On recommande aussi de présenter de convaincantes publicités antitabac avant ces films. Puisque le tabagisme des personnages découle d’un choix artistique – selon les producteurs -, les marques de cigarettes sont inutiles et ne devraient donc pas être exposées, concluent-ils. Finalement, on suggère une classification des films, en prévenant le public que certaines productions peuvent contenir des scènes de tabagisme, à la manière de ce qui prévaut pour les scènes de violence. Ainsi, une cote « R », pour Restricted, interdirait la présence d’enfants d’un certain âge si le tabagisme est exposé sans en révéler les conséquences.

Potentiel de l’inconscient

Les sites Web de l’OMS, de SmokeFree Movies et même de Santé Canada expliquent en détail l’inquiétude de la communauté de la santé sur la promotion du tabac par le cinéma. Plus efficaces que les annonces télévisées de cigarettes, les scènes de tabagisme surviennent dans les films au moment où l’attention du public est centrée sur le déroulement de l’intrigue. Par conséquent, le cinéphile est inconsciemment soumis à une tactique de vente dont le produit vedette est mortel.

N’ayant en soi aucune personnalité, la cigarette n’est qu’un complexe mélange de tabac, de papier, de colle et de plus de 600 substances chimiques, indique l’OMS. Seul produit légal à créer une dépendance et à tuer la moitié de ses consommateurs réguliers, la cigarette devient par contre, dans les mains d’un acteur, un témoin des émotions. Accessoire facile du scénariste, elle incarne le bonheur aussi bien que la tristesse, la rébellion ou encore le stress.

Le tabagisme serait, selon l’Association médicale américaine, trois fois plus fréquent dans les films que dans la vraie vie, ce qui est loin de représenter une société de moins en moins tolérante face au tabac. En présentant le fait de fumer comme étant une habitude normale, le cinéma encourage les jeunes à expérimenter la cigarette, déplore l’Association. Selon des études rapportées sur le site de SmokeFree Movies, « les adolescents qui voient leurs idoles fumer au grand écran ont 16 fois plus de risques que les autres de développer une attitude favorable face au tabac. De plus, voir des fumeurs dans les films triple les probabilités qu’un jeune essaie de fumer ».

Nombreux sont les acteurs qui acceptent de jouer des rôles fumeurs. Que l’on pense à Matt Damon, Drew Barrymore, Brad Pitt, Bruce Willis, en passant par Arnold Schwarzenegger, Gweyneth Paltrow et Angelina Jolie, tous ont déjà flirté avec la nicotine devant la caméra. Dans Le mariage de mon meilleur ami, Julia Roberts accepte une cigarette pour atténuer un chagrin d’amour. Dans Titanic, des millions de spectateurs ont vu Leonardo DiCaprio et Kate Winslet griller innocemment leur tabac. Même l’amusant Jim Carey annonce des Marlboro dans la comédie Moi, moi-même et Irène. Les films récents n’ont pas davantage tendance à censurer la cigarette, comme en témoigne le classement tabagique du site de SceneSmoking.org, dont les bénévoles évaluent régulièrement les dix films les plus populaires aux États-Unis.

En 1989, suite à un scandale médiatique laissant présager une intervention du Congrès américain, les fabricants de cigarettes ont « volontairement » cessé d’acheter le passage de leurs marques au grand écran, une volonté réitérée en 1998. Malgré cela, le Massachusetts Public Interest Research Group révèle que, pendant les années 1999 et 2000, la visibilité du tabac aurait augmenté de 50 % au grand écran, atteignant aujourd’hui un niveau supérieur à celui des années 1960.

Ailleurs au monde

Hollywood n’est malheureusement pas le seul promoteur du tabac au cinéma. Basée à Mumbai, l’industrie cinématographique indienne, communément appelée Bollywood, produit également des films à forte concentration nicotinique. Principalement orienté vers le marché asiatique, moyen-oriental et africain, Bollywood réalise plus de 800 films par année. Une récente étude de l’OMS portant sur 395 d’entre eux, tournés entre 1991 et 2002, conclut que le tabagisme figure dans plus de 75 % des cas. Tout comme à Hollywood, la réalité est mal représentée. Alors que ces films montrent surtout des cigarettes, les gens de cette partie du globe mâchent majoritairement le tabac sous forme de gutka ou fument des bidis, soit des cigarettes artisanales sans filtre dont le goût de tabac est masqué par de fortes saveurs.

Friands des productions américaines, les Québécois n’échappent pas aux messages publicitaires cachés dans les films. « Ici, on n’a jamais rapporté de cas de producteurs qui auraient été sollicités par l’industrie du tabac pour faire la promotion de leurs produits », indique toutefois Céline Pelletier de l’Association des producteurs de télévision et de films du Québec. Malgré cela, certains de nos scénaristes n’hésitent pas à montrer la cigarette dans leurs longs métrages. Du côté de Téléfilm Canada, on soutient que la violence gratuite, l’exploitation sexuelle et le racisme sont des critères qui éliminent certains films proposés, mais que l’exposition du tabac n’influence pas la décision de financer ou non un projet.

Josée Hamelin