Le projet de loi C-32 est adopté « sans additif »
Octobre 2009 - No 80
Le Parlement fédéral canadien a finalement adopté au début d’octobre la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes.
En vertu de la législation nouvelle, qui modifie la loi canadienne sur le tabac de 1997, la publicité des produits du tabac est maintenant bannie de tous les journaux et magazines, même ceux dont 85 % des lecteurs ou plus sont des adultes. Seule subsiste encore l’exception de 1997 pour les « publications qui sont expédiées par le courrier et sont adressées à un adulte désigné par son nom », ce qu’on appelle la publicité directe. Cette dernière pratique est cependant déjà prohibée par la loi québécoise sur le tabac, depuis 1998.
La nouvelle loi fédérale stipule aussi qu’un fabricant de cigarillos ne pourra plus, à partir du 6 avril 2010, les offrir autrement qu’en emballages d’au moins vingt unités. À partir du 5 juillet 2010, plusieurs substances ajoutées aux cigarettes et aux cigarillos pour leur donner un arôme particulier, ou pour atténuer l’âcreté de mélanges de tabac riches en nicotine, seront bannies.
Pour les groupes de lutte contre le tabagisme, « l’adoption, sans amendement, de C-32 est une immense victoire », déclare Heidi Rathjen, co-directrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), un organisme qui, depuis treize ans, réclame des pouvoirs publics un contrôle plus sévère des pratiques raccoleuses de l’industrie du tabac. « En plus, c’est un précédent mondial », ajoute Mme Rathjen, pour qui « toutes les manoeuvres typiques et malhonnêtes de Philip Morris font que l’histoire [de l’adoption du projet de loi] est d’autant plus intéressante ».
Bien que le projet de loi C-32 avait été adopté unanimement par les députés en juin, la ministre fédérale de la Santé Leona Aglukkaq et ses alliés contre le tabagisme ont dû défendre l’intégrité du texte de loi devant l’opinion publique durant l’été, après que le caucus québécois du Parti conservateur, lequel inclut des ministres du gouvernement Harper, ait proposé que les sénateurs amendent le projet de loi. Un seul amendement adopté par le Sénat aurait ramené le projet de loi devant la Chambre des communes, et retardé le processus d’adoption au point où l’entièreté du projet Aglukkaq aurait été menacée.
En septembre, le comité sénatorial des affaires sociales a tenu des audiences publiques. Parmi les personnes venues réclamer d’amender le projet de loi C-32 figurait le président du syndicat des travailleurs de l’usine Rothmans Benson & Hedges de Québec, Richard Brousseau. Ce dernier souhaitait que le projet de loi soit amendé afin de « sauver des emplois » à son usine, que le nouveau propriétaire, le cigarettier Philip Morris International, a menacé de fermer si on lui interdisait d’incorporer du sucre dans certains mélanges de tabac notoirement âcres. Les sénateurs ont aussi entendu les porte-parole des deux principaux distributeurs de cigarillos au Canada, Luc Dumulong de Distribution GVA et Luc Martial de Casa Cubana, le vice-président de l’Association canadienne des dépanneurs en alimentation, Michel Gadbois, ainsi qu’une avocate spécialisée en droit international engagée par l’industrie cigarettière, Debra Steger. Cette juriste a prétendu qu’une interdiction des additifs, plutôt que des arômes qu’ils produisent, irait à l’encontre des traités internationaux sur le commerce.
Après avoir aussi écouté les répliques et les exposés des porte-parole de groupes luttant contre le tabagisme, ainsi qu’une dernière déclaration d’un haut fonctionnaire de Santé Canada, le comité des affaires sociales, composé de sénateurs libéraux et conservateurs, n’a retenu aucun amendement pour figurer dans la version soumise au vote final du Sénat, qui a eu lieu le 6 octobre, et qui s’est encore soldé par une approbation unanime. La gouverneure générale a accordé la sanction royale au projet de loi le surlendemain.
Les partisans d’amendement à C-32 sont sortis des audiences sénatoriales avec l’impression que l’exportation de cigarettes ou de cigarillos contenant des additifs désormais bannis au Canada serait encore autorisée par le gouvernement. Cette apparence de je-m’en foutisme canadien vis-à-vis de futurs jeunes fumeurs dans des pays étrangers a suscité de sévères critiques dans la presse.
Pour François Damphousse, de l’Association pour les droits des non-fumeurs, une permission d’exporter des produits du tabac contenant des additifs est de toute façon sans effet. M. Damphousse ne croit pas que Philip Morris ait l’intention d’utiliser une usine dans un pays à forts coûts salariaux comme le Canada pour exporter quoi que ce soit dans des pays dont la main-d’oeuvre est bon marché. La tendance observée de l’industrie est de faire le contraire.
Pierre Croteau