La grossesse : un moment privilégié pour écraser

Les femmes enceintes font partie des fumeurs pour qui il est le plus difficile d’écraser et pourtant, peu d’informations et beaucoup de confusion circulent sur l’arrêt tabagique pendant la grossesse. C’est pourquoi l’abandon du tabac de cette population a été retenu comme une priorité de la journée Abandon du tabac : les femmes enceintes et les jeunes d’abord, tenue le 14 novembre à Québec, à l’occasion des 9es Journées annuelles de santé publique (JASP).
Obstacles et opportunités

Le tabagisme des femmes enceintes est doublement inquiétant, puisque autant la mère que l’enfant en subissent les effets néfastes. Jusqu’à 31 % des Québécoises sont toujours exposées à la fumée de tabac pendant leur grossesse, dont 21 % de manière active et 10 % de manière passive. Chercheur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, Paul L. Gendreau a expliqué qu’il est plus difficile d’abandonner le tabac pour les personnes pauvres, situation dans laquelle se trouvent davantage de femmes. Dans le quartier montréalais d’Hochelaga-Maisonneuve, il y a jusqu’à 65 % de fumeuses parmi les 20 ans et moins. « Dans les milieux défavorisés, on est souvent préoccupés à éteindre d’autres feux », a corroboré Nathalie Garant, infirmière au CLSC Pointe-de-l’Île, dans l’est de Montréal.

La grossesse accélère l’élimination de la nicotine du corps, ce qui accentue le besoin de fumer et rend la cessation encore plus ardue. Selon M. Gendreau, les rares programmes d’arrêt tabagique destinés aux femmes enceintes sont souvent mal adaptés à leur réalité ou composés d’interventions trop brèves. Louise Guyon, de l’Institut national de santé publique du Québec, a également déploré le manque d’études sur les messages qui sont envoyés aux fumeuses pendant la grossesse, période qui, selon les résultats de sa propre enquête, est considérée par ces dernières comme « l’événement d’une vie ».

Interventions cliniques

Cette perception que partagent les futures mères est encourageante, puisqu’elle révèle une disposition positive à recevoir des conseils pour améliorer leurs habitudes de vie. Les femmes enceintes sont sensibilisées à leur santé, notamment parce qu’elles se soucient du bon développement de leur foetus. Les informations à cet effet proviennent principalement de leur médecin lors du suivi prénatal. « Qu’on le veuille ou non, le médecin est un acteur-clé », a insisté la Dre Maria De Koninck, médecin et professeure en santé communautaire à l’Université Laval. Elle souhaiterait voir ses collègues plus conscientisés face à la cessation des fumeuses enceintes : « S’ils n’offrent pas de conseils sur cet aspect de leur grossesse, les femmes ne le considèrent pas avec la même importance que les autres recommandations. » La grossesse serait donc un moment privilégié pour réussir une démarche d’arrêt tabagique et aurait l’avantage de transcender l’obstacle que peut représenter le statut socioéconomique, puisque toutes les femmes, des plus riches aux plus démunies, rencontrent un médecin pendant qu’elles sont enceintes.

Malheureusement, de 70 à 90 % des fumeuses ayant tenté d’écraser pendant la grossesse ont renoué avec la cigarette 12 mois après avoir accouché, ce qui indique des lacunes quant à la manière de les soutenir à long terme. Fait alarmant, le Pregnant Women’s Guide to Quit Smoking incluait encore en 1997 la recommandation de changer sa consommation en fumant une des marques dites « légères ». Plusieurs cliniciens se questionnent toujours sur la bonne façon d’intervenir auprès des futures mères fumeuses.

Aides pharmacologiques

Longtemps sujet de débats, il existe maintenant un consensus parmi les spécialistes sur la sécurité de l’utilisation des traitements de remplacement de la nicotine durant la grossesse. On estime que les risques reliés à ces produits sont nettement inférieurs à ceux de la fumée de tabac. Pourtant, la majorité des médecins ignorent encore ce fait, se fiant plutôt aux contre-indications imprimées sur les emballages. Au Canada, seule l’Association médicale de l’Ontario aurait fait des efforts pour communiquer cette information à ses membres.

Avec ou sans aide pharmacologique, les intervenants s’entendent sur l’importance d’aborder la cessation tabagique des femmes enceintes selon une approche échelonnée, en leur assurant un suivi et en évitant de les culpabiliser. Les futures mères se font bombarder de messages, tout le monde se donne le droit de les conseiller ou de les juger, comme si leur bedaine ne leur appartenait plus, a rapporté Mme Guyon. Il faut donc prendre soin de ne pas stigmatiser davantage les fumeuses enceintes si on veut qu’elles réussissent à profiter d’une nouvelle vie sans tabac.

Julie Cameron