Interdiction des saveurs : la réplique de l’industrie

Les produits du tabac aromatisés sont interdits depuis le 26 août 2016 au Québec, mais ils n’ont pas encore tout à fait disparu. Aperçu des stratégies mises en place par l’industrie pour échapper dans la mesure du possible à la nouvelle législation.

De nouveaux produits du tabac aromatisés lancés quelques semaines avant d’être interdits par la loi, des salons de chicha offrant illégalement du tabac aromatisé, des cartes de saveurs qui donnent un goût sucré ou mentholé à des « herbes séchées »… Depuis leur interdiction par la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, la majorité des produits du tabac combustibles aromatisés ont disparu des commerces du Québec. Malheureusement, l’industrie – de Philip Morris International aux salons de chicha du Grand Montréal – a quand même trouvé des moyens de résister à cette interdiction entrée en vigueur à la fin août.

Rothmans, Benson & Hedges : nouveaux produits

Quelques semaines avant que la nouvelle loi québécoise soit adoptée, l’année dernière, Rothmans, Benson & Hedges (RBH) lançait de nouveaux produits, incluant des cigarettes « hybrides » dont le filtre comporte une capsule de menthol. Le fumeur libère la saveur en appuyant sur cette capsule, à travers le filtre.

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À la suite de l’adoption de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, Rothmans, Benson & Hedges (RBH) a « adapté » les versions mentholées de deux produits en ajoutant sur leur emballage « Nouveau » et « Goût velouté actualisé sans menthol ».

Il peut sembler bizarre que RBH – une filiale de Philip Morris International – investisse dans le développement et la promotion d’un produit aromatisé qui sera interdit quelques mois plus tard. La clé se trouve dans une publicité que le cigarettier a fait paraître dans une revue destinée aux commerçants. « Avec un nombre grandissant de territoires en voie d’interdire le menthol […], peut-on y lire, RBH introduit une option pour les fumeurs d’âge légal qui souhaitent effectuer une transition des cigarettes mentholées à des cigarettes sans menthol, en leur permettant de choisir quand expérimenter un goût de menthol, si besoin est. » (notre traduction) Bref, plutôt que d’accepter, au nom de la santé publique, la perte de quelques clients « RBH a préféré créer un “produit de transition” pour les “aider” à passer à des cigarettes non aromatisées, analyse Flory Doucas, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Cette initiative démontre jusqu’où l’industrie est prête à aller pour retenir tous les fumeurs, sans exception. »

Des cartes de saveurs inattendues

Une autre brèche est apparue dans l’application de la loi, au début du mois d’août. Comme le rapportait le Journal de Montréal, on trouve désormais, à côté des caisses enregistreuses des dépanneurs, des cartes de saveurs de marque Itsa  servant à aromatiser des « herbes séchées ». Pour les utiliser, il n’y a qu’à les glisser dans un pot Masson avec lesdites herbes séchées ou, plus simplement, dans un paquet de cigarettes. Au bout de quelques heures, la forte odeur de pêche, de framboise ou de menthe des cartes a imprégné les herbes… ou le tabac. Sur les six cartes de saveurs offertes, seulement deux ne contiennent aucune trace de menthe. Les fumeurs qui les ont essayées à la demande d’Info-tabac en ont apprécié le goût et y ont retrouvé les mêmes propriétés anesthésiantes que le tabac au menthol, c’est-à-dire une diminution de l’irritation causée par l’inspiration de la fumée.

Le mot « tabac » n’apparaît nulle part sur leur emballage, mais ces cartes sont visiblement destinées aux fumeurs. Elles ont d’ailleurs exactement la même taille que la moitié d’un paquet de 25 cigarettes. Les commis de dépanneurs ne s’y trompent pas : selon plusieurs témoignages, ils n’hésitent pas à recommander ce produit aux clients qui cherchent du tabac aromatisé. Les cartes, vendues moins de 2 $ chacune, sont fabriquées par la compagnie finlandaise NeuMillennial. Au Québec, c’est toutefois Casa Cubana qui les distribue. Cette entreprise basée à Montréal, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, est un acteur important, mais méconnu de l’industrie du tabac. C’est notamment elle qui distribuait les cigarillos parfumés de marque Bullseye et Prime Time et qui distribue présentement les cigarettes électroniques Vapur.

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Vendues en dépanneur, les cartes de saveurs Itsa permettent d’aromatiser des « herbes séchées ». Ce produit n’est pas réglementé par la Loi concernant la lutte contre le tabagisme.
Des salons de chicha encore très actifs

Enfin, l’interdiction des saveurs incluse dans la nouvelle loi n’a pas non plus mis fin, pour l’instant, au tabac aromatisé dans les salons de chicha. Il est vrai que ces établissements sont soumis à des règles un peu particulières. Ainsi, depuis le 26 août 2016, dans les 23 salons de cigares et de chicha reconnus par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), les consommateurs peuvent encore fumer des cigares et de la chicha (avec ou sans tabac) dans la mesure où ces produits ne comportent aucun arôme autre que celle du tabac.

Or, plusieurs salons de chicha opèrent sans être reconnus par le MSSS tandis que, parmi ceux qui le sont, certains vendent toujours des produits du tabac aromatisés. C’est ce qu’a constaté la rédactrice d’Info-tabac sur le terrain, en se faisant passer pour une cliente dans une dizaine de salons de chicha légaux et illégaux de la grande région de Montréal. Par exemple, un café reconnu par le MSSS vend de la chicha aromatisée, ce qui contrevient à la loi. Au cours de sa tournée, Info-tabac a aussi rencontré des propriétaires de salons illégaux, qui allèguent que la nouvelle loi ne s’applique pas à eux, et qui vendent sans s’en cacher de la chicha aromatisée pour consommation à l’intérieur. Ailleurs, des employés admettent que la loi s’applique à leur salon, mais précisent que le patron paie les amendes, que leur chicha aromatisée ne contient pas de tabac ou qu’elle contient du tabac, mais « pas de nicotine ». Bref, on entend tout et n’importe quoi.

Du côté du MSSS, une porte-parole nous écrit que « l’obligation de faire respecter la Loi concernant la lutte contre le tabagisme revient à l’exploitant du lieu », notamment à l’aide d’affiches installées à la vue de la clientèle. Le Ministère s’assure quant à lui que la loi est appliquée en effectuant des inspections dans l’ensemble des lieux publics au Québec. Ces fonctionnaires – de même que des policiers de la Sûreté du Québec ou des inspecteurs locaux nommés par des établissements de santé, par exemple – peuvent émettre des avertissements ou des constats d’infraction.

En somme, les produits du tabac aromatisés sont destinés à disparaître au Québec et au Canada. Par contre, comme toutes les victoires contre l’industrie du tabac, celle-ci demandera de la ténacité et bien des efforts, notamment du côté des inspections.

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Anick Labelle