Comment ne pas faire appliquer un règlement municipal
Mars 1998 - No 16
À force de réclamer une loi québécoise pour mieux protéger les non-fumeurs, on oublie parfois qu’il existe déjà une loi, datant de 1986, qui autorise les municipalités à légiférer en la matière.
Et pourtant, à Montréal comme ailleurs au Québec, on tombe très souvent sur des restaurants qui n’ont aucune section non-fumeurs, ou qui ne réservent qu’un nombre très limité de places aux quelque 65 % de leurs clients qui ne fument pas. Bien nombreux aussi sont les lieux publics où les gens allument des cigarettes à quelques pas de pancartes « Défense de fumer » sans que personne ne leur adresse jamais de reproche.
Dans le cas de la métropole, il existe pourtant depuis 1990 un règlement municipal qui fixe des règles très claires. Depuis 1992, les restaurateurs ont l’obligation, dans la mesure où leur établissement compte 25 places ou plus, de réserver aux non-fumeurs pas moins de 50 % des places, qui doivent être regroupées en une seule section (deux sections d’au moins 50 places chacune pour les très grands restaurants).
Il existe aussi une obligation légale d’afficher l’interdiction de fumer dans la section non-fumeurs.
Qu’en est-il dans la vraie vie? D’après deux enquêtes menées par l’équipe du conseiller municipal Marvin Rotrand en 1997, pas moins de 65 % des établissements contreviennent au règlement. Beaucoup n’ont aucune section non-fumeurs, d’autres une très petite section, d’autres encore, une belle section non-fumeurs… munie de cendriers sur chaque table!
Lorsqu’on appelle à la Ville, on finit par comprendre les raisons pour lesquelles la loi est ainsi bafouée.
Tout d’abord, les autorités municipales n’ont aucun système proactif pour détecter les restaurants fautifs; on se fie sur les plaintes des citoyens pour repérer les problèmes. « On n’a pas les ressources pour faire du dépistage systématique », dit François Lemay du Service des permis et inspections.
Ce service ne reçoit que 15 plaintes par année au sujet du non-respect du règlement en ce qui a trait aux restaurants. « Peut-être que les Montréalais sont relativement tolérants », opine M. Lemay. À moins qu’ils ne soient tout simplement pas au courant de l’existence du règlement municipal sur la protection des non-fumeurs, qui, à sa connaissance, n’a jamais fait l’objet d’une campagne de sensibilisation grand public.
En 1993, alors que le pourcentage de places à réserver aux non-fumeurs venait de monter à 50 %, la Ville a émis 33 constats d’infractions aux restaurateurs qui n’avaient pas aménagé de section non-fumeurs. Depuis, il n’y en a eu aucun.
Cela ne veut pas dire que le règlement n’est jamais appliqué. C’est au moment où un restaurateur procède à des rénovations et doit donc aller chercher les permis d’usage que le règlement semble avoir le plus d’effet : les restaurateurs qui ne prévoient aucune section non-fumeurs sur les plans qu’ils déposent se font rappeler leurs obligations légales.
Un deuxième intervenant
« Pas de fumée sans feu », dit-on. Peut-être est-ce en fonction de ce vieux dicton que les élus municipaux montréalais se sont dit que les pompiers devraient, eux aussi, participer à l’application du règlement municipal sur la protection des non-fumeurs. Le Service de prévention des incendies agit « à titre d’inspecteur(s) aux fins de la Loi », précise l’article 3.2 du règlement.
En pratique, cela veut dire que le service accepte lui aussi les plaintes des citoyens et donne des avis aux restaurateurs qui ne respectent pas le règlement, en particulier en ce qui a trait à l’affichage. Selon Robert Viau, chef de section, mesures préventives, il est difficile d’aller beaucoup plus loin et de sévir contre les restaurateurs qui permettent à leurs clients fumeurs de s’allumer des cigarettes dans la section affichée non-fumeurs : la preuve est presque impossible à faire, puisqu’elle s’envole en fumée avant qu’un inspecteur puisse arriver sur place.
M. Viau souligne aussi un certain nombre de problèmes d’interprétation avec le règlement actuel. Ainsi, l’obligation faite aux restaurateurs d’aménager une section non-fumeurs ne semble pas s’appliquer aux foires alimentaires dans certains centres commerciaux. Dans ces cas, l’aire où l’on mange appartient aux centres et non aux exploitants des différents comptoirs; or, le règlement ne s’applique qu’à « un établissement où l’on sert des aliments pour consommation sur place ».
« De ce fait, le Service de prévention des incendies fait actuellement des démarches auprès des avocats de la Ville et des autorités provinciales pour avoir des précisions quant à la portée des textes législatifs et quant à l’arrimage avec l’intervention sur le terrain », dit M. Viau.
Un troisième intervenant
Il existe donc deux services municipaux censés veiller à l’application du règlement. Alors qu’est-ce qui arrive lorsqu’un simple citoyen appelle Accès Montréal, le guichet unique de la municipalité, pour se plaindre de la non-existence d’une section non-fumeurs dans le restaurant d’à côté? Vérification faite, on le réfère à la police de la Communauté urbaine de Montréal.
C’est que la loi sur la protection des non-fumeurs autorise aussi les agents de la paix à agir à titre d’inspecteurs, c’est-à-dire à faire respecter les règlements municipaux adoptés en fonction de la loi québécoise. Contrairement aux inspecteurs de la Ville, les policiers peuvent exiger d’un fumeur pris en flagrant délit à fumer dans une section non-fumeurs qu’il s’identifie.
Il reste que les policiers de la métropole ont bien d’autres chats à fouetter. Aux dernières nouvelles, ils n’avaient jamais émis un seul avis d’infraction en vertu du règlement municipal sur la protection des non-fumeurs.
Problème politique
De l’avis du conseiller Rotrand, membre de la Coalition démocratique-Montréal écologique (CDME), c’est au manque de volonté politique qu’il faut attribuer le flou pas toujours artistique qui entoure l’application du règlement municipal. Le RCM l’a adopté pour donner suite à un engagement électoral pris alors qu’il était encore dans l’opposition; le parti de Jean Doré n’était pas, pour autant, prêt à risquer la fureur des fumeurs irréductibles en lançant des campagnes de sensibilisation au sujet de la protection des non-fumeurs.
En 1991, dit M. Rotrand, un premier sondage auprès des restaurateurs montrait que la majorité n’était même pas au courant de l’obligation d’aménager une section non-fumeurs. Aujourd’hui, on est un peu plus conscient des règles municipales, mais tout aussi conscient de pouvoir y contrevenir sans craindre les sanctions.
Après avoir fustigé la timidité de l’administration Doré, M. Rotrand n’est pas plus tendre à l’endroit du maire Bourque et de Vision Montréal. M. Bourque a la réputation d’être plutôt en faveur de la protection des non-fumeurs, entre autres parce qu’il a étendu l’interdiction de fumer à l’ensemble des édifices municipaux en mai 1997. Mais sur le dossier des restaurants, M. Bourque lui aurait clairement indiqué que son administration ne toucherait pas au statu quo, prétend M. Rotrand.
Mobilisation des non-fumeurs
À Toronto, comme dans d’autres villes ontariennes, la protection des non-fumeurs est devenue un sujet hautement politisé qui mobilise bon nombre d’élus municipaux et donne lieu à des débats parfois houleux. De ce fait même, les Ontariens sont en général beaucoup plus conscients que les Québécois des règlements qui s’appliquent dans leur municipalité.
Dans le cas de Montréal, M. Rotrand dit lui-même qu’il a peu d’appuis parmi les élus des autres formations politiques. Lassé de faire du travail de lobby auprès des fonctionnaires de la Ville, il prône maintenant la mobilisation des non-fumeurs, seul élément capable de débloquer la situation, dit-il. Il faut que les non-fumeurs qui sont au courant du règlement municipal déposent des plaintes écrites à chaque fois qu’ils tombent sur un restaurant fautif.
Adresse pour plaintes écrites : Service des permis et inspections, Ville de Montréal, 303 est, Notre-Dame, Montréal (Québec), H2Y 3Y8.
Francis Thompson