Cigarette électronique | Deux rapports pour mieux comprendre
Juin 2016 - No 115
Elle chauffe à haute température sans produire de combustion, suscite à la fois espoirs et inquiétudes et intrigue les jeunes. Ce n’est pas pour rien si la cigarette électronique suscite autant de débats. Un consensus se dégage toutefois peu à peu parmi les groupes de santé : cet appareil serait vraisemblablement moins dangereux que la cigarette combustible et, bien encadré, pourrait favoriser la cessation tabagique. Dans le dossier qui suit, Info-tabac décortique deux rapports récents qui se sont penchés sur les cigarettes électroniques ainsi que les législations qui les encadrent depuis peu aux États-Unis, en Europe et en Grande-Bretagne.
Dans la dernière année, deux rapports ont affirmé que les cigarettes électroniques étaient 95 % moins dangereuses que les cigarettes combustibles. Ces rapports publiés par des organismes respectés ont toutefois rapporté bien d’autres faits au-delà de cette statistique-choc (qui a d’ailleurs été contestée).
Les médias en ont fait leurs choux gras : la cigarette électronique serait 95 % moins dangereuse que la version combustible. Ce constat était d’autant plus intéressant que la statistique était diffusée dans des rapports publiés par deux organismes anglais respectés : celui de Public Health England (l’équivalent de l’Agence de la santé publique du Canada) et celui du Royal College of Physicians (le plus grand regroupement de médecins en Grande-Bretagne). La suite était prévisible : plusieurs se sont emparés de cette statistique pour « prouver » la sécurité des e-cigarettes. Cependant, au-delà des manchettes sensationnalistes, les rapports de ces deux organismes comportent d’autres informations et nuances dont les médias ont peu parlé.
95 % moins dangereuse?
D’emblée, disons que le fameux taux de 95 % ne provient pas directement de Public Health England ni du Royal College of Physicians, mais d’un article paru en 2014 dans European Addiction Research. Ses auteurs – incluant des médecins, des économistes et un avocat – évaluent les méfaits causés à travers le monde par douze produits contenant de la nicotine à l’aide de critères destinés à mesurer la dangerosité des drogues. Or, certains de ces critères sont très peu pertinents en ce qui concerne le tabac. En effet, ils mesurent notamment l’impact de la drogue sur la perte de biens (emploi, résidence…), la perte de relations avec ses proches et la vitalité des communautés. Au final, cela entraîne des résultats discutables. Les auteurs concluent notamment que, d’un point de vue mondial, les petits cigares, la chicha et la cigarette électronique sont respectivement environ 35 %, 85 % et 95 % moins dangereux que la cigarette combustible! Certes, puisque ces produits comptent moins d’usagers, ils entraînent effectivement moins de dommages à travers la planète. Par contre, ceux qui travaillent en santé savent bien qu’aucun produit du tabac combustible n’est réellement sécuritaire. Au Québec, par exemple, des dizaines de milliers de jeunes se sont initiés au tabagisme avec les saveurs sucrées des petits cigares. Il est difficile dans un tel cas de dire qu’ils sont moins dangereux que les cigarettes…
Des rapports informatifs et nuancés
Par ailleurs, les rapports de Public Health England (PHE) et du Royal College of Physicians (RCP) contiennent une foule d’autres informations et de réflexions intéressantes. Celui du RCP, par exemple, totalise près de 200 pages et examine toutes les facettes du vapotage, de l’action de la nicotine sur le cerveau à la présence des cigarettiers dans ce marché. Les deux organismes soulignent notamment que, selon les connaissances à ce jour, les vapoteurs sont majoritairement des fumeurs ou des ex-fumeurs récents. De plus, la majorité d’entre eux commencent à vapoter pour réduire ou cesser leur consommation de tabac. Par contre, tant PHE que le RCP notent que la majorité des vapoteurs continuent de fumer, au moins occasionnellement. Pour PHE, des études doivent éclaircir ce « double usage » pour savoir s’il « est plus susceptible de mener à la cessation ou au maintien tabagique. » (notre traduction)
Les propos de cet organisme au sujet de la cessation tabagique sont aussi nuancés. Il note « qu’encourager les fumeurs – qui n’arrivent pas à cesser de fumer ou qui ne le veulent pas – de passer à la cigarette électronique pourrait aider à réduire les maladies liées au tabac, les décès et les inégalités de santé » (notre traduction). Les inégalités en matière de santé, c’est la corrélation qui existe entre le statut socio-économique et le niveau de santé. Or, il n’est pas évident que la cigarette électronique contribue à les réduire. En effet, ce sont surtout les personnes plus aisées qui vapotent alors qu’il y a proportionnellement plus de fumeurs parmi les populations défavorisées. Enfin, PHE rappelle que l’usage de la cigarette électronique est très différent de celui du tabac traditionnel. Ainsi, cela demanderait un certain apprentissage avant de trouver la cigarette électronique aussi satisfaisante que son équivalent combustible.
Une technologie peu dangereuse pour les fumeurs
De son côté, le Royal College of Physicians aborde longuement les méfaits possibles du vapotage pour la santé de l’usager et de ses proches, en rappelant que les médias, souvent alarmistes, interprètent mal les résultats de la recherche. L’organisme examine notamment l’état des connaissances sur les dangers de la vapeur comme telle; du propylène glycol; des composants générés par la vaporisation; des saveurs et de la vapeur secondaire. Sa conclusion? « Dans des conditions normales d’utilisation, les toxines des cigarettes électroniques inhalées sont probablement bien en dessous du seuil maximal autorisé. Un certain tort peut être causé par une exposition soutenue à de faibles quantités de toxines pendant de nombreuses années, mais l’amplitude de ces risques sera probablement faible comparativement à ceux du tabac. » (notre traduction) Le regroupement de médecins estime également que « les effets indésirables à court terme de la cigarette électronique concernent principalement une irritation de la bouche et de la gorge […] Par contre, les effets négatifs à long terme ou rares demeureront incertains jusqu’à ce que les cigarettes électroniques aient été utilisées à grande échelle pendant plusieurs décennies. » (notre traduction)
Le vrai danger : la présence des cigarettiers
Ce qui inquiète davantage le regroupement de médecins, c’est la présence des fabricants de tabac au sein du marché de la cigarette électronique, d’autant plus que ceux-ci commercialisent des cigalikes. Ces cigarettes électroniques dites « de première génération » ressemblent à s’y méprendre à leurs cousines combustibles. Du point de vue du fumeur, les cigalikes sont généralement peu satisfaisantes parce qu’elles dégagent moins de nicotine que les modèles de deuxième ou de troisième génération comme les tanks ou les mods. Le RCP note que commercialiser des e-cigarettes peu performantes pourrait être une manœuvre délibérée des cigarettiers afin d’éviter que les vapoteurs abandonnent le tabac. En somme, les fabricants de tabac ne verraient pas les e-cigarettes comme une aide à la cessation, mais plutôt comme un produit de plus à vendre. Sans compter que ce dernier étant probablement moins nocif que le tabac traditionnel, certains cigarettiers n’hésitent plus à se positionner comme des partenaires de la santé publique. La cigarette électronique n’a pas fini de faire parler d’elle.
Anick Labelle