Cesser de fumer, d’hier à aujourd’hui‎


Interventions brèves en milieu hospitalier, thérapies de remplacement de la nicotine, services J’ARRÊTE : il existe bien des outils pour aider ceux qui veulent cesser de fumer, en plus des lois de plus en plus sévères qui incitent à l’arrêt tabagique. Mais tout cela est bien récent.

Les fumeurs ont beau savoir que le tabac les rend malades et les appauvrit, voire qu’il entraînera leur décès, cela demeure souvent très difficile pour eux d’abandonner cigarettes, pipes et cigares. Leur capacité à y arriver dépend de leur motivation et de leur confiance, mais aussi de leur niveau de dépendance à la nicotine, de leur milieu de vie, voire de leur génétique. C’est pourquoi arrêter de fumer requiert souvent le soutien d’un professionnel. De fait, parmi ceux qui cessent seuls, seulement 3 à 5 % sont encore ex-fumeurs six à douze mois plus tard, selon le Surgeon General américain. À l’inverse, bénéficier d’une intervention brève, en combinaison avec une thérapie de remplacement de la nicotine et d’un soutien des services J’ARRÊTE, peut jusqu’à tripler les chances de se libérer de cette dépendance.

Les thérapies de remplacement de la nicotine sont autorisées depuis une trentaine d’années au Canada. La gomme à la nicotine y est vendue depuis 1984, les timbres de nicotine, depuis 1997, et les pastilles de nicotine, depuis 2003.

Le soutien à la cessation a évolué avec le contexte social, les orientations gouvernementales et les lois. Les premiers soutiens prenaient la forme de thérapies comportementales. « On cherchait à dégoûter physiquement les fumeurs en les invitant à fumer à outrance ou à conserver leurs mégots dans un pot », se souvient Robert Reid, chef adjoint de la Division de prévention et de réadaptation à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa et cofondateur du Modèle d’Ottawa (voir encadré « Le rôle essentiel des établissements de santé »). Il existait aussi à l’époque quelques programmes de cessation offerts par des groupes communautaires, comme le « Y smoke » du YMCA.

Les années 1990

C’est à la fin des années 1990 que le soutien clinique à la cessation a pris son envol au Québec. En 1998, l’adoption de la Loi sur le tabac a restreint l’usage du tabac, devenant une incitation supplémentaire à devenir non-fumeur. À la même époque, la commercialisation des timbres de nicotine et du bupropion (Zyban) a fourni des outils additionnels pour vivre sans fumée. C’est aussi à ce moment que l’Association pulmonaire du Québec a inauguré le premier service québécois permanent de soutien téléphonique aux fumeurs, le 1 888 POUMON-9.

Enfin, la fin des années 1990 a vu arriver les « 5 A »  : une intervention brève d’origine américaine destinée aux professionnels de la santé. En gros, les 5 A permettent, en quelques minutes, de parler de tabagisme avec un patient et d’amorcer ou de renforcer sa réflexion sur la cessation. Concrètement, cette technique encore en usage aujourd’hui invite les infirmières, médecins, dentistes et autres professionnels de la santé à :

  • demander au patient s’il fume (ask)
  • lui rappeler que cesser de fumer est le geste le plus important qu’il peut poser pour sa santé (advise)
  • évaluer sa motivation à arrêter (assess)
  • le renseigner sur les TRN ou lui offrir de la documentation (assist)
  • assurer un suivi avec lui par la voie des services J’ARRÊTE ou l’équivalent (arrange)
Les années 2000

À la suite de ces premiers efforts, c’est au début des années 2000 que le soutien à l’arrêt tabagique s’est réellement institutionnalisé au Québec. En effet, la Régie d’assurance maladie du Québec a alors commencé à rembourser les timbres et les gommes de nicotine tandis que le gouvernement a signé son premier Plan québécois d’abandon du tabac. C’est aussi à cette époque que le milieu communautaire est devenu un joueur incontournable du soutien à la cessation. La Direction de santé publique de Montréal et Acti-menu (aujourd’hui Capsana) ont inauguré le Défi J’arrête, j’y gagne! tandis que, grâce au soutien financier du ministère de la Santé et des Services sociaux, la ligne téléphonique J’ARRÊTE a été mise sur pied et confiée à la Société canadienne du cancer et au Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS). Les deux autres services J’ARRÊTE apparaîtront un peu plus tard : les centres d’abandon du tabac, placés sous la supervision du MSSS, et le site Web J’ARRÊTE, confié au CQTS.

Depuis près de 20 ans, le Défi ‎J’arrête, j’y gagne! invite les fumeurs ‎à cesser de fumer pendant six ‎semaines. Ici, les affiches des ‎éditions du Défi de 2006, 2009 et ‎‎2017.‎

À l’époque, les interventions étaient guidées par les stades de changements de Prochaska et DiClimente. Dans ce modèle théorique, chaque stade (précontemplation, contemplation, préparation, action, maintien et rechute) requiert une intervention différente. « Si un fumeur était en précontemplation, par exemple, on le faisait parler des avantages et des inconvénients qu’il voyait au tabagisme alors que, s’il était en préparation, on l’aidait plutôt à trouver des outils pratiques pour se libérer du tabac », se souvient Anik Lamborelle, intervenante principale à la ligne J’ARRÊTE. La première mouture du site Web J’ARRÊTE était basée sur le même modèle et guidait les fumeurs selon leur disposition à cesser de fumer.

Un virage vers l’entretien motivationnel

Au fil du temps, les intervenants ont réalisé que le parcours des fumeurs ne suivait pas toujours les stades de changement de manière chronologique. De fait, les fumeurs se promènent plutôt de l’un à l’autre. « Même quand un fumeur songe sérieusement à cesser de fumer, il demeure souvent ambivalent, oscillant entre contemplation et préparation, explique Anik Lamborelle. De même, un fumeur qui décide de cesser de fumer sur un coup de tête peut passer en seulement quelques jours de la précontemplation à l’action. » Face aux limites du modèle de Prochaska et DiClimente, les intervenants ont ajouté l’entretien motivationnel à leur boîte à outils.

L’entretien motivationnel est un modèle clinique développé initialement au début des années 1980 par les psychologues Miller et Rollnick pour traiter l’alcoolisme. Dans cette approche, deux experts se rencontrent : le fumeur et l’intervenant. « Le fumeur sait, au fond de lui, pourquoi il veut cesser de fumer, dit Anik Lamborelle. Le rôle de l’intervenant est de l’amener à en prendre conscience et à le verbaliser. » En gros, dans un esprit de partenariat, de compassion et de non-jugement, l’intervenant aide le fumeur à évoquer lesquels de ses projets et valeurs l’amènent à vouloir se libérer du tabac. Des études  ont montré que cette approche serait particulièrement efficace pour soutenir la cessation tabagique.

Le site Web J’ARRÊTE propose une approche complémentaire à l’entretien motivationnel. Depuis sa mise à jour en janvier 2017, il repose sur l’Acceptance and Commiment Therapy (ACT). En quelques mots, l’ACT invite les fumeurs, d’une part, à s’ouvrir à leurs envies de tabac et à faire la paix avec elles et, d’autre part, à rester engagés envers leurs valeurs et objectifs qui les amènent à vouloir vivre sans fumer. Chacun à leur façon, l’ACT et l’entretien motivationnel soutiennent le processus de changement.

L’avenir de la cessation

Aujourd’hui, avec 1,3 million de fumeurs au Québec – et 5,3 millions au Canada –, « la cessation tabagique demeure un aspect important de la lutte contre le tabac », estime Robert Reid. D’autant plus que le gouvernement fédéral s’est engagé à réduire la proportion de fumeurs à moins de 5 % d’ici 2035  tandis que le gouvernement québécois vise 10 % de fumeurs d’ici 2025 .

Heureusement, les interventions se sont améliorées au fil des années. « On sait désormais qu’un fumeur peut jusqu’à tripler ses chances de se libérer du tabac s’il bénéficie d’une intervention brève de la part d’un professionnel de la santé, utilise une thérapie de remplacement de la nicotine et reçoit le soutien des services J’ARRÊTE », dit Isabelle Éthier, directrice, Services d’information et de soutien à la Société canadienne du cancer. Mentionnons aussi le souci de plus en plus marqué chez les intervenants de tenir compte des inégalités sociales de santé. « On remarque un changement de clientèle à la ligne J’ARRÊTE, illustre Isabelle Éthier. De plus en plus, les fumeurs qui font appel à nous souffrent de maladies mentales et physiques, sont défavorisés économiquement et particulièrement dépendants du tabac. Malgré le renforcement des lois, ils peuvent trouver cela particulièrement difficile de devenir non-fumeurs. » La nouvelle version du site Web J’ARRÊTE a tenu compte de cette réalité en misant sur des vidéos et des textes courts qui joignent un large public.

L’usage des TRN est aussi appelé à changer. En effet, de plus en plus de professionnels de la santé suggèrent à certains fumeurs de préparer leur cessation tabagique en utilisant une TRN tout en continuant à fumer. Ils recommandent aussi aux gros fumeurs d’utiliser à la fois un timbre et une gomme de nicotine. Ces pratiques innovatrices permettent l’essentiel : maintenir l’arrêt tabagique. Certains professionnels réclament aussi que les TRN soient classées comme des médicaments d’exception, ce qui permettrait d’être remboursés sur une plus longue période que les 12 semaines actuellement admises. Enfin, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec travaille activement sur le prochain Plan québécois de lutte contre le tabagisme qui est échu depuis 2010. La bonne nouvelle : celui-ci devrait intégrer un plan d’abandon du tabac, histoire de continuer à aider les fumeurs à se libérer de leur dépendance.

Le rôle essentiel des établissements de santé

Les hôpitaux sont généralement de bons endroits où parler de cessation tabagique. Les patients sont non seulement entourés de professionnels de la santé et privés de tabac, mais leur maladie est certainement aggravée par leur tabagisme.

Les Drs Robert Reid et Andrew Pipe

L’idée d’intervenir auprès des fumeurs en milieu hospitalier est née au début des années 1990, à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, grâce aux Drs Robert Reid et Andrew Pipe. « Nous avons débuté par une clinique externe, dirigée par des médecins, avant d’intervenir de manière plus proactive auprès de tous les patients de l’établissement », se rappelle le Dr Reid. Aujourd’hui, les travaux de ces pionniers sont devenus le Modèle d’Ottawa. Proche du modèle des « 5 A », le Modèle d’Ottawa consiste, en quelques mots, à noter systématiquement le statut tabagique des patients, à rencontrer individuellement ceux qui fument, de leur proposer, entre autres, une aide pharmacologique à la cessation, puis, à la suite de leur congé, à assurer auprès d’eux un suivi pendant six mois. Aujourd’hui, ce modèle est utilisé à travers le monde. Au Québec, par exemple, le Centre universitaire de santé McGill, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal et l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal l’utilisent ou s’en sont inspirés pour créer leur propre modèle. Enfin, mentionnons que sept ordres professionnels se sont engagés formellement , en 2012, à « inclure la lutte contre le tabagisme dans leur pratique clinique et à faire en sorte que celle-ci fasse partie intégrante des soins de santé. » « On aimerait que cette initiative permette d’augmenter les interventions systématiques dans le réseau de la santé afin d’aider le plus de fumeurs possible à cesser de fumer », dit Isabelle Éthier. Parce qu’un taux de tabagisme moins élevé ne peut être que bénéfique pour l’ensemble de la société.

Anick Labelle