À quand les terrasses de bar et de restaurant sans fumée?

Une place au soleil pour les non-fumeurs
Ce sont maintenant les Médecins pour un Canada sans fumée (MCSF) qui pressent les pouvoirs publics d’interdire que l’on fume sur les terrasses de bar et de restaurant. L’hiver dernier, lors de la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac, c’était le Conseil québécois sur le tabac et la santé qui demandait au gouvernement du Québec que la prochaine Loi sur le tabac étende aux terrasses la protection des non-fumeurs.

En restauration, travailleurs et clients continuent d’être exposés à des taux élevés de fumée secondaire de tabac. Les MCSF demandent aux gouvernements provinciaux et aux administrations municipales d’éliminer la fumée des terrasses de bar et de restaurant, et ce, rapidement.

Seulement le cinquième des Canadiens sont protégés de la fumée de tabac dans les bars et les restaurants extérieurs.

« Les chercheurs canadiens ont réuni des preuves concluantes de la nécessité de garder les terrasses de restaurant sans fumée si l’on veut protéger les travailleurs et le public, affirme Neil Collishaw, directeur de la recherche de l’organisme. Or, huit Canadiens sur dix résident dans une collectivité où de telles mesures ne sont toujours pas en place. »

Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et l’Alberta, le territoire du Yukon, plusieurs villes de Colombie-Britannique, d’Ontario et d’Alberta, auxquelles s’ajoutent diverses municipalités plus petites de partout au Canada, ont des lois qui protègent de la fumée secondaire ceux qui se trouvent sur une terrasse de restaurant. Réunis, ces intervenants peuvent se targuer de contribuer ainsi à protéger 6,8 millions de citoyens canadiens. D’un autre côté, 24,7 millions de citoyens canadiens vivent dans des régions où cette protection ne leur est pas offerte. En tant que regroupement de médecins qui cherchent à réduire les maladies liées au tabac, en luttant contre le tabagisme actif et contre l’exposition à la fumée secondaire, les MCSF soutiennent que la situation doit changer, compte tenu de la dangerosité de la fumée secondaire.

Terrasses enfumées et malsaines

La fumée secondaire correspond à la fumée exhalée par le fumeur ou produite par une cigarette qui se consume lentement. Elle contient quelque 4000 produits chimiques, dont plus de 60 sont connus pour causer le cancer. Les autorités médicales, dont l’Organisation mondiale de la santé, affirment qu’il n’existe pas de niveau d’exposition sécuritaire à la fumée secondaire. En 1992, l’Environmental Protection Agency des États-Unis a classé la fumée secondaire parmi les substances cancérogènes de classe A, soit la catégorie la plus dangereuse.

Bien des gens croient à tort que la fumée secondaire ne pose pas de risque pour la santé lorsqu’on est à l’extérieur, puisqu’elle se dissipe alors tout simplement dans l’atmosphère ou que le vent la disperse. Or, après avoir examiné un grand nombre d’études, les MCSF concluent que, dans les faits, en l’absence de vent, la fumée de cigarette s’élève dans les airs puis retombe, saturant la zone environnante de fumée secondaire. Lorsqu’il y a un vent léger, la fumée de cigarette peut se déplacer dans de multiples directions, exposant les personnes sur son chemin. En vertu de divers facteurs (dont le nombre de fumeurs et de cigarettes consommées), les non-fumeurs peuvent se retrouver exposés à autant de fumée secondaire à l’extérieur, comme sur une terrasse de restaurant, qu’ils l’étaient autrefois à l’intérieur lorsqu’il était permis de fumer dans les restaurants.

À Victoria, en Colombie-Britannique, des chercheurs ont mesuré la concentration de fumée du tabac présente dans divers lieux publics fréquentés par des fumeurs, notamment des terrasses de bar et de restaurant et des cafés-terrasses. Des statistiques descriptives (dont les dimensions du fumoir  extérieur, le pourcentage de l’aire couverte, le pourcentage d’aire cloisonnée, le nombre moyen de clients, le nombre moyen de cigarettes grillées et la proximité moyenne des cigarettes de chaque endroit) ont été enregistrées et converties en moyennes. Les résultats de l’étude, intitulée Environmental Tobacco Smoke in Indoor and Outdoor Public Places et menée par les services de santé britanno-colombiens en 2006, démontrent que la proximité de fumeurs expose une personne à des taux de fumée similaires, qu’elle reste à l’extérieur ou qu’elle se trouve durant une même période de temps dans un débit de boissons enfumé. Dans les deux cas, l’exposition excède les normes d’hygiène acceptées.

Une étude comparable, menée cette fois en 2007 par le Roswell Park Cancer Institute de Buffalo, donne des résultats similaires. « Dès qu’il se fume ne serait-ce que trois cigarettes, la qualité de l’air est très similaire, que l’on soit sur une terrasse (où il est permis de fumer) ou dans l’un de ces locaux où il n’y avait autrefois aucune interdiction de fumer », explique Richard Stanwick, médecin hygiéniste en chef à la Vancouver Island Health Authority.

Les fumoirs extérieurs de restaurants et autres établissements nuisent également aux personnes à l’intérieur. Là où il est permis de fumer dehors, la fumée extérieure se glisse à l’intérieur, selon une étude faite par Kennedy, Travers, Hyland et Fong. L’équipe de chercheurs de Waterloo (Ontario) a fait des expériences sur les effets de seulement huit cigarettes sur une terrasse de restaurant type dépourvue de toit, de murs, d’auvents et de parasols. Ils ont répété leur expérience 46 fois à des moments où le régime des vents différait; invariablement, ils ont constaté une dégradation considérable de la qualité de l’air sur la terrasse lorsqu’on y fumait. L’étude, intitulée Tobacco Smoke Pollution on Outdoor Public Places, a permis de constater la présence de quatre fois plus de particules atmosphériques chargées de produits chimiques causant le cancer ou des maladies du cœur que sur une terrasse où il est interdit de fumer. « Nous savons désormais qu’il ne suffit pas d’interdire de fumer à l’intérieur des restaurants : l’extérieur doit lui aussi être sans fumée », résume Neil Collishaw. Ces études ne sont pas les seules au Canada.

Des chercheurs de l’Université Stanford, en Californie, concluent, dans  le numéro de mai du Journal of the Air and Waste Management Association, qu’un non-fumeur assis à quelques pieds d’une cigarette dont la fumée se dirige vers lui est fort probablement exposé, par moments, à un niveau considérable de contaminants atmosphériques. Une étude menée en Irlande en 2005 par Mulcahy, Evans, Hammond, Repace et Byrne, et publiée dans la revue Tobacco Control, permet de constater que le personnel de bars dotés d’un fumoir extérieur et exposé à aucune autre fumée secondaire présente néanmoins un taux de nicotine dans le sang beaucoup plus élevé que celui qui travaille dans un bar sans fumoir extérieur.

Progrès en vue

L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) menée par Statistique Canada montre que le nombre de Canadiens qui affirment avoir été exposés à la fumée secondaire dans des lieux publics au cours du dernier mois a diminué de moitié entre 2003 et 2009, passant de 3,99 millions (20 % des personnes de 12 ans ou plus) à 2,26 millions (10 %) en 2009.

Selon une méta-analyse américaine,
les interdictions de fumer abaissent d’environ
20 % le nombre des admissions à l’hôpital
pour crise cardiaque.

« D’énormes progrès ont été réalisés depuis que la ville de Victoria (C.-B.) est devenue en 1999 la première entité juridique à interdire que l’on fume dans les bars, restaurants, salles de bingo et autres bâtiments publics, signale M. Collishaw. Or, il nous reste encore à protéger les travailleurs et le public. »

Une méta-analyse, publiée en septembre 2009 par Lightwood et Glantz dans Circulation, la revue de l’Association américaine du cœur, passe en revue les résultats d’une vingtaine d’études distinctes menées dans un grand nombre de villes et régions en Europe et en Amérique du Nord. Les chercheurs constatent que la mise en place d’interdictions de fumer en milieu de travail et ailleurs a entraîné, dans l’année qui a suivi, une réduction des admissions à l’hôpital à la suite d’une crise cardiaque; plus précisément, elles ont diminué de 20 %, et ce pourcentage s’améliore avec le temps.

Une équipe du Research Institute for a Tobacco Freee Society de Dublin, en Irlande, s’est penchée sur l’exposition à la fumée environnementale du tabac dans les 42 brasseries de la ville. On a ainsi évalué 73 travailleurs de bar, qui se sont portés volontaires pour participer à l’étude. Selon les résultats publiés dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine en 2007, l’interdiction de fumer en milieu de travail a amélioré la qualité de l’air dans les brasseries de même que la santé des travailleurs de bar, puisqu’on constate une réduction de 83 % de la pollution atmosphérique et de 80 % des agents cancérogènes, de même qu’une amélioration des fonctions respiratoires des travailleurs. « Ces résultats confirment qu’une démarche qui consiste à interdire entièrement le tabagisme en milieu de travail permet de réduire l’exposition des travailleurs », atteste le chercheur principal, Luke Clancy.

Les MCSF ont présenté leur demande d’une protection accrue des travailleurs de la restauration en mai dernier. Ils l’ont fait le jour du quatrième anniversaire du décès de Heather Crowe, une non-fumeuse qui gagnait sa vie comme serveuse à Ottawa et dont le cancer du poumon a été associé à l’exposition à la fumée de cigarette au travail. Cette dernière avait mené avec succès une campagne en vue de faire modifier la loi afin qu’elle protège les travailleurs de la restauration et d’ailleurs de l’exposition à la fumée. « D’ici à ce que les milieux de travail extérieurs soient également sans fumée, les travailleurs de la restauration continueront d’être victimes de lois qui les exposent à des taux de produits chimiques cancérogènes plus élevés que ce que permet la loi dans tout autre secteur », fait remarquer Collishaw.

Protégeons nos jeunes

Les MCSF désirent également protéger les jeunes de la fumée de cigarette dans les lieux publics. « Près de deux fois plus d’enfants [12-19] que de citoyens en général risquent d’affirmer être exposés à la fumée secondaire dans les lieux publics », affirme Neil Collishaw. « Parce que leur organisme est encore en développement, l’exposition à la fumée de cigarette pourrait être particulièrement nocive chez les jeunes », ajoute le directeur de la recherche des MCSF. Ce dernier fait remarquer que les chercheurs ont décelé un grand nombre de maux liés aux effets de la fumée secondaire sur les enfants, notamment l’augmentation du taux de maladie cardiaque et d’insuffisance respiratoire. De plus, les filles exposées à la fumée secondaire au moment du passage à la puberté, lorsque les tissus mammaires se développent, sont plus à risque de souffrir d’un cancer du sein précoce.

Joey Strizzi