Des inquiétudes exprimées sur l’avenir de la stratégie fédérale

Rendez-vous pancanadien sur le tabagisme ou la santé
À quelques mois à peine de l’échéance de la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme (SFLT), son renouvellement était le sujet de conversation de la plupart des 450 professionnels de la lutte contre le tabagisme rassemblés à Toronto du 1er au 3 novembre à l’occasion de la 7e Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé (CNTS).

« Comme le renouvellement de la SFLT est incertain, cette rencontre donne aux défenseurs de la santé de tout le pays une occasion de transmettre clairement leur message : le leadership fédéral est essentiel si l’on veut freiner l’épidémie, a déclaré Michael Perley, directeur de la Campagne ontarienne d’action contre le tabac. Compte tenu des milliards de dollars en dépenses qu’entraîne chaque année le tabagisme au Canada, cette stratégie préventive essentielle en matière de santé ne doit pas être victime de compressions budgétaires systématiques à vision étroite et unidimensionnelle. »

La stratégie fédérale de 480 millions $ en 10 ans est arrivée à échéance le 31 mars 2011. On l’a alors prolongée d’un an afin de permettre à Santé Canada d’effectuer une « évaluation », mais son avenir demeure incertain.

La SFLT visait essentiellement à diminuer les maladies et décès attribuables au tabagisme au sein de la population canadienne. Cette stratégie fédérale posait le cadre nécessaire à une approche approfondie, entièrement intégrée et multidimensionnelle pour lutter contre le tabagisme. Elle correspond à la contribution fédérale au Programme de la lutte au tabagisme entériné en 1999 par l’ensemble des ministres de la Santé. Elle mise sur quatre éléments qui se renforcent mutuellement – soit la prévention, la protection, le renoncement et la réglementation des produits – et qui sont complétés par une utilisation efficace de campagnes d’éducation du public en vue d’atteindre la population canadienne dans son ensemble.

Le programme a connu de nombreuses réussites dans la dernière décennie, notamment le financement d’une gamme de programmes et de campagnes, par exemple celle basée sur la serveuse atteinte de cancer, Heather Crowe, en faveur de l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Il y a eu aussi l’arrivée de mises en garde explicites encore plus grandes sur les paquets de cigarettes. Il reste toutefois encore beaucoup à faire.

Le Dr Andrew Pipe a rappelé que le tabac causait rapidement une haute dépendance.
Du pain sur la planche

Le Dr Andrew Pipe, chef de la Division de prévention et de réadaptation à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, a insisté sur l’importance que la lutte contre le tabagisme ne tombe pas dans l’indifférence, dans la foulée de ses succès passés. « Nous n’en sommes pas au point où nous devrions nous prendre par la main en disant que‘tout le monde il est fin, tout le monde il est gentil’, a-t-il averti. Il reste encore beaucoup à faire. Un mode de vie sain et sans fumée devrait faire partie intégrante de notre culture canadienne. »

Le Dr Pipe a avancé maintes raisons pour lesquelles le tabagisme devrait être perçu comme une épidémie. Tout d’abord, il affirme que la cigarette correspond au système d’administration de drogues le mieux conçu de tous les temps. Tout passe par la prévention, selon le Dr Pipe. Après une seule utilisation de tabac, le fumeur présente 32 % de risques de dépendance. C’est la plus forte de toutes les substances qui créent une accoutumance, et il y aura d’ici aux environs de 2020 tant de personnes frappées par une maladie liée au tabagisme que le système médical canadien ne parviendra plus à suffire.

Il n’était manifestement pas le seul à voir l’importance de traiter l’épidémie de tabagisme comme telle.

« Malgré les progrès considérables des 20 dernières années, le tabagisme reste la première cause de maladies et de décès évitables au Canada et il inflige à notre économie une dépense stupéfiante de quelque 17 milliards $ par année, a affirmé Lorraine Fry, directrice générale de l’Association pour les droits des nonfumeurs. Il est possible de réduire considérablement le problème des maladies, le nombre de décès annuel et les coûts infligés au système de santé de même qu’aux travailleurs et aux familles. Il faut pour cela renouveler et mettre en place une stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme complète, s’appuyant sur un financement adéquat et continu. »

Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé a souligné qu’« il faut maintenir les quatre volets de la Stratégie que sont la prévention, la protection, la cessation et les mesures réglementaires sur les produits, car ces éléments sont indissociables d’une action efficace selon des principes universellement reconnus ».

Devant le silence absolu du gouvernement conservateur quant au renouvellement de la SFLT, les professionnels de la santé publique des quatre coins du pays ont exprimé leur inquiétude tout au long de la CNTS, qui est la plus grande rencontre de professionnels travaillant dans le domaine de la lutte contre le tabagisme au Canada. Depuis 2005, la conférence se tient une fois aux deux ans, organisée par le Conseil canadien pour le contrôle du tabac (CCTC).

La directrice administrative de Médecins pour un Canada sans fumée, Cynthia Callard, croit qu’une SFLT avec « approche renouvelée en tenant compte des réussites et des échecs des dernières décennies, aidera les millions de Canadiens et Canadiennes qui souhaitent arrêter de fumer et les protégera, eux et les autres, des tentatives déployées par l’industrie du tabac pour miner les mesures prises par les autorités de santé publique. »

 « Il est essentiel que Santé Canada fasse tout en son pouvoir pour lutter contre l’épidémie de tabagisme, a dit Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer. L’action soutenue de Santé Canada est cruciale, car le tabac et ses dérivés tuent 37 000 Canadiens et Canadiennes par année. Or, à 17 %, le taux de tabagisme au pays reste beaucoup trop élevé. Il nous faut le réduire au maximum et le plus possible. Nous devons traiter l’épidémie de tabagisme pour ce qu’elle est : une épidémie. »

La SFLT et la CCLAT

Michael DeRosenroll, ex-président de Smoke-Free Nova Scotia (un programme de prévention du tabagisme de la Nouvelle-Écosse), est allé encore plus loin. Il souligne dans son exposé, intitulé Framework Convention on Tobacco Control (FCTC): The Canadian Shadow Report (traduction libre : La Convention-cadre pour la lutte antitabac [CCLAT] : le rapport non officiel du Canada), que le Canada avait l’obligation d’assurer la présence d’une stratégie globale de lutte contre le tabagisme partout au pays, en vertu de sa ratification de la CCLAT, un traité adopté à la 56e Assemblée mondiale de la Santé le 21 mai 2003. Ratifié par le Canada en novembre 2004 et entré en vigueur le 27 février 2005, ledit traité stipule que chaque partie doit disposer d’une stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme définie à l’article 5.1. Il a été signé par 168 pays, et ses 175 parties signataires sont juridiquement tenues de s’y conformer. Tout traité international est juridiquement contraignant.

Cependant, selon M. DeRosenroll, la CCLAT n’a pas autant de mordant que d’autres traités, car nulle sanction juridique ne s’applique aux contrevenants. « Dans le cas des traités commerciaux, il peut y avoir des embargos ou des sanctions économiques, mais ici, le Canada n’aurait comme conséquence qu’une légère honte de ne pas avoir tenu parole. Voilà pourquoi il est important de nous faire entendre et de rappeler ses engagements au gouvernement. » Il a poursuivi en disant que le gouvernement fédéral a signé de nombreuses déclarations internationales en vertu desquelles il s’engage à mettre en oeuvre de nouvelles mesures. Michael De Rosenroll a souligné l’importance de la CCLAT et des suites qu’elle a eu, comme la déclaration politique adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre à New York, et il croit qu’il faut rappeler sans relâche ces engagements au gouvernement afin de s’assurer qu’il les respecte.

Ottawa n’est plus commanditaire

Comptant quatre douzaines d’orateurs, trois plénières, des séances interactives (notamment le Quit Cafe, qui met en valeur le dialogue des lignes de télé-assistance pour fumeurs), 22 conférences et quelque 60 évaluateurs de résumé, une conférence de cette envergure a nécessité beaucoup d’efforts et d’engagement de la part des nombreuses personnes qui l’ont conçue et organisée.

Une activité du genre ne peut se concrétiser sans le solide appui d’un grand nombre de personnes et de commanditaires. Parmi ces derniers figurent, dans la catégorie. Or, Soins-santé grand public McNeil (propriétaire de la marque NicoDerm), auquel s’ajoutent le gouvernement de l’Ontario à titre de commanditaire Argent, et les commanditaires Bronze, soient la Fondation des maladies du coeur du Canada, la Société canadienne du cancer, l’Unité de recherche sur le tabac de l’Ontario, Pfizer et Info-tabac. L’Association médicale canadienne a commandité le salon de réseautage réunissant une vingtaine d’exposants.

C’est la première fois dans l’histoire des sept conférences pancanadiennes que Santé Canada ne figure pas parmi les commanditaires, parce que le CCTC avait déjà reçu le montant maximal que le gouvernement fédéral est autorisé à donner à cet organisme en cinq années consécutives.

Joey Strizzi