Tribune prestigieuse pour l’industrie du tabac

Ce novembre, le président d’Imperial Tobacco Canada a donné une allocution à l’invitation du Conseil du patronat du Québec. Une occasion en or de diffuser des informations fausses ou incomplètes.

Imaginez une entreprise condamnée, au Canada, pour son soutien actif à la contrebande du tabac et, au Québec, pour son atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à la dignité de plus d’un million de fumeurs et d’ex-fumeurs. Serait-il approprié qu’elle se prononce sur les lois exigeantes auxquelles elle est soumise? C’est pourtant exactement ce qu’a fait, début novembre, le président et chef de la direction d’Imperial Tobacco Canada (ITC), Jorge Araya, en donnant une allocution sur l’évolution des entreprises lors d’un déjeuner-conférence organisé par le Conseil du patronat du Québec (CPQ).

CPQ : un organisme à contre-courant
Jean-Thomas Dorval, président-directeur général du ‎Conseil du patronat du Québec, a œuvré dans ‎plusieurs entreprises, mais c’est dans ‎l’industrie du tabac qu’il a travaillé le plus longuement.

En s’associant à ce cigarettier, le CPQ nage à contre-courant. Au cours des derniers mois, l’United Nations Global Compact et le Vatican ont plutôt rompu leurs liens avec cette industrie. L’invitation du CPQ, au contraire, a permis à Imperial Tobacco Canada de se mettre en valeur tout en diffusant des informations fausses ou incomplètes. Ainsi, au cours de son allocution, M. Araya a notamment insisté sur l’impact positif de son entreprise au Québec, rappelant les emplois créés dans ses bureaux administratifs ou chez les commerçants qui vendent ses produits. M. Araya a toutefois passé sous silence le transfert des usines d’ITC de Montréal au Mexique  en 2003 et en 2005, ou le fait que l’entreprise n’achète plus de tabac au Québec depuis des années.

M. Araya a aussi soutenu que la contrebande de tabac est causée par des taxes élevées et sera aggravée par la mise en place de l’emballage neutre. Il n’a rien dit sur le fait, désormais bien établi, que les cigarettiers ont joué le rôle de fournisseurs dans le marché noir du tabac au cours des années 1990. Il n’a également rien dit des nombreuses études indépendantes montrant l’absence de lien direct entre la contrebande et le niveau de taxation ou l’introduction de l’emballage neutre.

Des produits à mettre en valeur

M. Araya a aussi beaucoup insisté sur les bienfaits des produits sans fumée commercialisés par sa société mère, British American Tobacco (BAT) : le tabac chauffé i-glo (ou glo) et les cigarettes électroniques Vype, VUSE et iFuse. ITC demande que ces produits soient soumis à des règles moins sévères afin que les fumeurs migrent vers eux. « Ces produits sont effectivement moins risqués pour la santé que le tabac combustible, mais ils bénéficient déjà de règles plus souples », rappelle Cynthia Callard, directrice de Médecins pour un Canada sans fumée. En effet, mal encadrés, ces produits bénéficient déjà d’un taux de taxation moins élevé et d’avertissements de santé « maison » qui, pour l’instant, n’ont pas été approuvés par Santé Canada. De plus, les documents internes de BAT montrent que les i-glo, Vype, VUSE ou iFuse ne sont pas destinés à remplacer le tabac, mais bien à coexister avec lui. « Ces document exposent clairement que BAT ne veut pas réduire le nombre de fumeurs, mais maximiser ses profits — en encourageant le double usage, en récupérant les fumeurs qui auraient autrement cessé et en attirant des non-fumeurs dans le piège de la dépendance à la nicotine », analyse Flory Doucas, porte-parole et codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. En somme, la conférence de M. Araya a été un exemple de la désinformation à son meilleur.

Anick Labelle