Les réalités du tabagisme chez les ados

L’Institut national de santé publique du Québec a publié récemment deux études sur l’usage du tabac chez les jeunes, une sur la cessation et l’autre sur les liens entre le tabagisme et l’usage d’alcool ou d’autres drogues.

Au Québec, encore aujourd’hui, près de trois jeunes du secondaire sur 10 (31 %) ont déjà fumé la cigarette, ce qui représente des dizaines de milliers d’élèves. Qu’en est-il de leurs tentatives pour cesser de fumer? Et de leur usage d’autres substances psychoactives? L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a examiné récemment ces questions dans deux études différentes : Le renoncement au tabac chez les élèves du Québec et du reste du Canada : 2014-2015 et La consommation d’alcool, de drogues illicites ou de médicaments sans raison médicale selon l’usage du tabac chez les élèves du secondaire au Québec et dans le reste du Canada : 2012-2013.

Environ 30 % des ados tentent de renoncer au tabac

Les jeunes qui aspirent leur première bouffée ne le réalisent pas toujours, mais leur dépendance peut survenir très rapidement, parfois au bout de seulement quelques mois. Lorsque les symptômes de la dépendance apparaissent (dont une forte envie de fumer), certains tentent de s’en libérer. Or, malgré les efforts législatifs visant à dénormaliser le tabagisme, la proportion de jeunes fumeurs qui ont essayé d’y renoncer n’a pas varié de manière statistiquement significative entre 2006 et 2015. En effet, bon an, mal an, parmi les élèves entre la 6e année du primaire à la 5e secondaire qui ont déjà fumé une cigarette complète, environ 30 % ont essayé de renoncer au tabac, rapporte l’INSPQ dans la première étude.

Le siège social de l’INSPQ, à Québec.

Parmi les autres jeunes fumeurs, toutefois, seulement 13 % ont affirmé n’avoir jamais essayé de se libérer du tabac en 2014-2015. La majorité (59 %) a plutôt répondu qu’ils n’avaient fumé qu’à quelques reprises. Des études subséquentes devront établir si ces derniers ont déjà renoncé au tabac sans nommer ainsi leur comportement, ne voyaient pas l’utilité de cesser de fumer ou, encore, ne se percevaient pas comme des fumeurs.

Le tabagisme occasionnel jugé moins risqué

Dans la même étude, l’INSPQ a également examiné les croyances des jeunes sur les dangers du tabac. Il s’avère que, pour 95 % d’entre eux, l’usage régulier du tabac représente un risque modéré ou élevé pour la santé. Par contre, seulement 50 % d’entre eux considèrent comme risqué l’usage occasionnel du tabac. Pour ce qui est de la cigarette électronique, 60 % des adolescents estiment que son usage régulier présente un risque modéré ou élevé. C’est le cas de seulement 26 % d’entre eux en ce qui concerne son usage occasionnel. L’INSPQ n’a toutefois pas pu déterminer comment cette perception des risques du tabac affectait les tentatives de renoncement des jeunes à cause des échantillons réduits de répondants.

Usages parallèles

Dans la deuxième étude, l’INSPQ a analysé les corrélations entre l’usage du tabac et celui de quatre autres substances psychoactives : l’alcool, le cannabis, les autres drogues illicites et les médicaments sans raison médicale. Plusieurs études établissent un lien entre l’usage de ces substances chez les jeunes. L’INSPQ lui-même a déjà examiné cette question à partir de données recueillies en 2008-2009. Il estimait toutefois nécessaire d’actualiser ses données, considérant l’évolution des politiques gouvernementales.

77 % des jeunes qui fument la cigarette ont aussi consommé du cannabis au cours de l’année précédente, contre 15 % des non-fumeurs.

Son analyse confirme plusieurs de ses précédents constats : les élèves qui ont fumé dans les 30 derniers jours sont beaucoup plus susceptibles d’avoir aussi consommé une substance psychoactive au cours des 12 derniers mois. Ainsi, 77 % des fumeurs de cigarettes ont consommé du cannabis au cours de l’année précédente, contre 15 % des non-fumeurs. Pareillement, 90 % des adolescents qui fument ont bu plus que quelques gorgées d’alcool au cours des 12 derniers mois, contre 51 % des non-fumeurs. Les résultats sur l’usage de cigares et de cigarillos sont très similaires à ceux sur l’usage de cigarettes. En somme, les jeunes qui fument sont proportionnellement plus nombreux à consommer d’autres substances psychoactives.

La prévention par les médias

Il est difficile de savoir avec certitude si les campagnes de masse influencent le comportement tabagique des jeunes de moins de 25 ans, selon une revue de la littérature publiée par Cochrane en juin 2017. En effet, sur les huit études examinées, seulement trois trouvent que ces campagnes préviennent réellement le tabagisme chez les jeunes. Les chercheurs notent cependant que les campagnes les plus efficaces durent généralement au moins trois ans et sont plus intenses, c’est-à-dire qu’elles comportent davantage de messages publicitaires. Enfin, les campagnes combinant des messages dans les médias et dans les écoles ont un plus grand impact.

La campagne Fumer, c’est dégueu, destinée aux 11 à 14 ans, répond à ces trois critères. Celle-ci a été diffusée sous différentes formes depuis 2011 mais, pour la première fois cette année, a été pilotée par le RSEQ (Réseau du sport étudiant du Québec). Les images, diffusées autant à la télévision et sur le Web que dans les écoles, lèvent réellement le cœur. On y voit un jeune qui lèche les écailles d’un poisson cru ou qui avale un verre de bave canine. « Le message est que fumer c’est dégueu et qu’il est tout à fait légitime de refuser les produits du tabac, sans qu’il n’y ait de conséquences sociales », explique Gustave Roel, président-directeur général du RSEQ. Cette année, la publicité a été diffusée plus de 3,5 millions de fois sur le Web et vue à 20 millions de reprises à la télévision. Un sondage de Léger auprès de 500 jeunes de 11 à 14 ans montre que 78 % d’entre eux s’en souvenaient. La même proportion a affirmé qu’elle les avait incités à cesser de fumer ou à ne jamais commencer. Un excellent résultat!

Ce portrait un peu sombre comporte néanmoins une bonne nouvelle : dans l’ensemble, la consommation d’alcool (incluant la consommation excessive) et de médicaments sans raison médicale est restée stable chez les jeunes entre 2008 et 2013. Encore mieux : l’INSPQ note une diminution statistiquement significative de l’usage de cannabis et d’autres drogues illicites. Cette évolution est encourageante. En effet, la consommation de substances psychoactives est susceptible de mener à de nombreux effets nuisibles chez les jeunes, dont des retards de développement et le décrochage scolaire. De plus, « l’usage du tabac ou d’alcool a bien souvent tendance à précéder l’usage du cannabis ou d’autres drogues illicites chez les jeunes », écrit l’INSPQ. Les stratégies de prévention de ces substances pourraient donc devenir de bons outils de prévention et de promotion de la santé. À l’heure actuelle, l’organisme de recherche invite la communauté scientifique à examiner les déterminants communs qui ont une influence sur l’usage du tabac et des autres substances psychoactives chez les jeunes, comme « une forte impulsivité […], une propension à la prise de risque et à la recherche de sensations fortes ». Histoire de faire d’une pierre deux coups.

Anick Labelle