Des bars se mobilisent contre l’interdiction de fumer du 31 mai

Alors qu’il sera interdit de fumer dans tous les lieux publics intérieurs du Québec dans moins de cinq mois, des propriétaires de bars commencent à manifester leur mécontentement face à la nouvelle Loi sur le tabac.

Épaulés par la Fair Air Association of Canada (FAAC), un groupe de lobby financé par l’industrie du tabac, ils brandissent la menace d’une catastrophe économique pour s’attirer la sympathie du public et forcer le gouvernement à négocier.

« Comité contre la loi 112 anti-tabac »

Le 29 novembre, le « Comité contre la loi 112 anti-tabac » s’est rassemblé au Holiday Inn de la rue Sherbrooke Ouest, à Montréal, pour discuter des éventuels impacts économiques du renforcement à la Loi sur le tabac. Plus de 300 propriétaires de bars, employés et clients ont écouté de nombreux conférenciers, avant de prendre part à une marche qui devait les mener jusqu’au bureau du premier ministre Jean Charest, rue McGill College.

Afin de pouvoir assister à la rencontre, les « sympathisants » étaient contraints de signer une pétition adressée à M. Charest. Cette dernière demande au gouvernement de « reconsidérer son plan d’interdire de fumer dans tous les débits de boisson de la province à compter du 31 mai 2006 ». Ses signataires réclament la possibilité d’aménager des fumoirs ventilés, la ventilation étant, selon eux, LE compromis idéal aux espaces totalement sans fumée.

Parmi les orateurs invités, il y avait entre autres les gens d’affaires Peter Sergakis et Voula Demopoulos, qui contestent la Loi sur le tabac devant la Cour supérieure, et un représentant de Me Julius Grey (l’avocat Andreas Adamacopoulos) qui défend leur cause. Le président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec, Renaud Poulin, était également de la partie, de même que les tenanciers Russ Clifford, de la Colombie-Britannique, et Pierre Labelle, d’Ottawa. À ce groupe de commerçants se sont jointes Karen Bodirsky, présidente de la FAAC, et Nicole Barcelos, directrice de sa division québécoise.

Association Air pour tous

Créée en 2003, l’Association canadienne Air pour tous – mieux connue sous l’appellation anglaise Fair Air Association of Canada – est un groupe de lobby financé par les cigarettiers. Selon la multinationale British American Tobacco (BAT), ses membres incluent le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac, la Coalition des pubs et des bars du Canada (PUBCO) et divers groupes de l’industrie des loisirs et de l’accueil.

« L’approche de la FAAC va plus loin que le simple fait de proposer une solution de compromis, indique un document de BAT. C’est une coalition active qui supporte l’industrie de l’accueil dans ses tentatives pour s’opposer à ce qu’elle perçoit être des interdictions de fumer injustes qui vont l’amputer financièrement. Peu après sa création, elle a réussi à empêcher une interdiction de fumer à 100 % dans la ville de Toronto, alors que ses membres ont mobilisé l’opinion publique en faveur du règlement existant, lequel permettait l’aménagement de salles ventilées pour fumeurs. »

La FAAC dispose également d’une base de données de partisans et utilise des communiqués de presse, affiches, cartes postales et lettres d’opinion pour faire valoir son point de vue.

Revendication : la ventilation

S’ils se soucient des répercussions économiques de la future interdiction de fumer, les propriétaires de bars ne semblent pas préoccupés par les méfaits de l’exposition à la fumée secondaire. Dans leur croisade pour des fumoirs ventilés, ils disent vouloir « s’assurer du confort des serveurs et du plaisir des clients réguliers » mais ils ne font mention de la santé nulle part. Or, comme l’a indiqué le ministre de la Santé, Philippe Couillard, lors du dépôt de son projet de loi en mai dernier, « plusieurs études ont démontré que les fumoirs n’éliminent pas les risques pour la santé. Ils ne permettent d’atteindre qu’un niveau acceptable d’odeur ».

Lors du rassemblement, Renaud Poulin a même cité le travail du lobby antitabac en exemple : « Les groupes antitabac sont bien organisés, a-t-il indiqué. Ils ont réussi à faire du projet de loi 112 une priorité gouvernementale. Il faut faire comme eux et ce n’est pas parce que la loi est adoptée qu’on ne peut pas faire changer les choses. »

Manifestation

« L’harmonie est possible entre fumeurs et non-fumeurs dans les débits de boisson. Solution – Ventilation », disait l’immense affiche jaune des manifestants pro-tabac. Sur la rue, les passants se demandaient s’il s’agissait d’une campagne pour fumeurs ou non-fumeurs. Au bureau du premier ministre, un ruban interdisant le passage était installé avant même l’arrivée du cortège.

Parmi les employés présents, la plupart étaient là pour « préserver leur emploi ». Ils craignent que la future interdiction de fumer ne fasse fermer les établissements dans lesquels ils travaillent, un sentiment que leurs patrons entretiennent également, ou attisent dans certains cas. Peu avant que la manifestation ne s’achève, M. Sergakis a lancé : « On n’arrêtera pas de se battre, il va falloir que le gouvernement négocie avec nous! »

Déclarations trompeuses

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac déplore que des déclarations trompeuses aient été utilisées pour inciter les propriétaires de bars à s’opposer à la loi. Selon elle, il ne fait aucun doute que le « Comité contre la loi 112 anti-tabac » effraye les gens pour en rallier le plus possible à sa cause.

Par exemple, dans sa publicité annonçant la manifestation du 29 novembre, le Comité allègue qu’à Ottawa « 60 bars sur 210 ont fermé » dans l’année qui a suivi l’interdiction de fumer. Or, selon Statistique Canada, la ville comptait 127 bars après l’implantation du règlement, soit cinq de plus que l’année précédente. De plus, une étude d’impact économique réalisée par la firme d’expertise comptable KPMG révèle que les ventes dans les restaurants et les bars d’Ottawa sont demeurées relativement constantes.

Le comité fait état de « 2 500 emplois perdus » dans la ville de New York en raison du règlement antitabac. Pourtant, le Department of Health and Mental Hygiene annonçait que six mois après l’interdiction de fumer, les reçus de taxes des bars et des restaurants ont augmenté de 12 %, comparé à la même période l’année précédente. En outre, ce secteur a généré 10 000 nouveaux emplois.

Ancien directeur des opérations d’une chaîne de restaurants et président de la section d’Ottawa de l’Association ontarienne des restaurants, hôtels et motels, Guy Schryburt croit qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. « Partout où l’on songe à interdire de fumer, des groupes soutenus par l’industrie du tabac sèment la panique chez les employés et les exploitants, en particulier chez les tenanciers de bars. Ils prédisent des impacts économiques catastrophiques, mais selon notre expérience, la réalité est toute autre. »

Même si les contestataires prétendent que la loi québécoise est révolutionnaire, le coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Louis Gauvin, affirme qu’il n’en est rien. « Les interdictions de fumer dans les lieux publics deviennent de plus en plus la norme à travers le monde. D’ailleurs, le Québec est la huitième province canadienne à bannir la cigarette des bars et des restaurants », fait-il remarquer.

Position du ministère

Chef du Service de lutte contre le tabagisme au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, Lise Talbot confirme que la loi entrera en vigueur, tel que prévu, le 31 mai 2006. Des publicités télévisées, diffusées du 5 décembre au 7 janvier, avaient d’ailleurs pour mandat de le rappeler à la population. Selon un sondage réalisé par le Ministère, plusieurs personnes croyaient que la loi serait appliquée à partir du 1er janvier, tel que le prévoyait l’ébauche de la législation, avant d’être modifiée en commission parlementaire.

Afin qu’ils soient au courant des nouvelles règles bientôt en vigueur, les exploitants recevront une lettre d’information du ministère. De plus, le Service de lutte contre le tabagisme a produit un guide à l’intention des directeurs d’école et travaille à l’élaboration d’une trousse de renseignements destinée aux détaillants.

Mme Talbot indique qu’elle s’occupera des propriétaires récalcitrants si des problèmes se posent, et pas avant. Elle rappelle par ailleurs que la ligne sans frais (1 877 416-8222) demeurera en opération afin de permettre aux gens de formuler une plainte, s’ils sont témoins d’une infraction.

Monchoix.ca : une voix qui a peu d’écho

Malgré ses nombreux efforts pour mobiliser l’opinion publique et recruter des partisans, monchoix.ca – qui compterait actuellement 23 000 membres au Canada, dont 7 300 au Québec – demeure peu connu.

Lorsque des journalistes parlent de ce groupe « voué » à la défense des fumeurs, plusieurs rappellent qu’il puise son financement auprès de l’industrie du tabac. Après avoir émis quelques communiqués de presse quasi-ignorés, l’organisme a décidé de s’offrir des publicités et publi-reportages pour faire passer ses idées.

Sa toute dernière invention, la Tournée monchoix.ca, consiste en une série de spectacles, souvent présentés dans des bars enfumés, où se produisent des artistes de la scène musicale « underground ».

Monchoix.ca affirme que « ses spectacles sont gratuits, comme le geste que s’apprête à poser le gouvernement du Québec en ce qui concerne la Loi sur le tabac ». Même gratuits, ces concerts ne font pas courir les foules. La majorité des spectateurs se compose de quelques membres et de curieux déjà dans l’établissement avant que la représentation ne débute.

Néanmoins, la vice-présidente et porte-parole québécoise de monchoix.ca, Arminda Mota, semble avoir de bons contacts. Les émissions Bons Baisers de France et Tout le monde en parle – dont les cotes d’écoute sont enviables – l’ont déjà reçue sur leurs plateaux. Toutefois, l’entrevue de Mme Mota, qui figurait au programme de l’émission Tout le monde en parle du 11 décembre, n’a pas été diffusée, vraisemblablement coupée au montage.

Josée Hamelin