Pour une loi encore plus forte

La version originale du projet de loi no 44  proposait une révision en profondeur de la Loi sur le tabac. Grâce aux amendements qui ont été adoptés en commission parlementaire, ce projet législatif va encore plus loin et crée un précédent. Une belle victoire pour le Québec et la santé des Québécois!

Cela faisait dix ans que la Loi sur le tabac québécoise n’avait pas été retouchée. Une révision en profondeur était donc de mise. C’est d’ailleurs ce qu’a proposé Lucie Charlebois, ministre déléguée à la Santé publique, avec son projet de loi no 44 ou Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme. Bonne nouvelle : ce projet de loi a été bonifié à la suite du travail de la Commission de la santé et des services sociaux et crée un précédent. Les 13 élus qui y siègent ont rédigé la version définitive du projet de loi en y intégrant de nombreux amendements proposés par les groupes de santé. C’est cette version qui sera soumise au vote de l’Assemblée nationale, probablement avant Noël. Aperçu des amendements les plus importants.

Info-tabac 110 Lucie Charlebois

Une première : une superficie minimale pour les mises en garde

Un amendement majeur concerne les mises en garde apparaissant sur les produits du tabac. En somme, si la loi est adoptée, ce sont les paquets qui s’adapteront aux mises en garde et non le contraire. En effet, les avertissements devront désormais occuper au minimum 4648 millimètres carrés de la surface des emballages du tabac. Ils devront aussi apparaître sur une surface plate, et ne pourront pas être retirés. Au final, cela signifie vraisemblablement la fin des emballages étroits des cigarettes minces et extraminces, des emballages aux coins biseautés et des « paquets tiroirs » dont l’enveloppe extérieure comportant la mise en garde peut être facilement retirée.

Une autre première : l’interdiction des programmes de performance
Info-tabac 110 Yves Servais
Yves Servais, directeur général de l’Association des marchands épiciers du Québec, n’a jamais dénoncé les ententes liant les cigarettiers et les commerces qui vendent des produits du tabac, même si celles-ci ne conviennent pas toujours aux marchands.

À la fin de l’été, une réalité méconnue a été dévoilée lors des auditions publiques sur le projet de loi no 44 : les « programmes de performance » proposés aux commerçants par les cigarettiers. En gros, ces contrats offrent aux commerçants des rabais pouvant aller jusqu’à 7 $ sur une cartouche de cigarettes. En échange, les détaillants doivent notamment baisser leurs prix (pour faire profiter leurs clients de cette réduction plutôt que de gonfler leurs profits) et s’astreindre à un certain volume de ventes. Impossible de tricher, les cigarettiers ont des inspecteurs pour s’en assurer.

Cela va de soi : ces ententes entraînent une baisse du prix du tabac et encouragent les ventes, ce qui favorise le tabagisme et va à l’encontre de l’objectif québécois de réduire la consommation de tabac. Pire : ces « programmes de performance » mécontentent un bon nombre de détaillants, comme l’a reconnu, lors des auditions publiques sur le projet de loi no 44, le directeur général de l’Association des marchands épiciers du Québec. Heureusement, grâce à un amendement, ces contrats seraient désormais interdits, ce qui constituerait une première canadienne, voire nord-américaine. Concrètement, si le projet de loi est adopté, les fabricants et distributeurs de produits du tabac ne pourront plus offrir aux commerçants des avantages liés « à la vente d’un produit du tabac ou à son prix de vente au détail. »

Établissements de santé 100 % sans fumée

Info-tabac 110 projet loi 44 sans fumée

D’autres amendements touchent les établissements de santé. Ainsi, l’un d’eux abaisse de 40 % à 20 % la proportion maximale de chambres « fumeurs » offerte par les établissements agissant à titre de milieu de vie (par exemple, les centres de réadaptation). Par contre, les élus n’ont pas retenu une autre des propositions des groupes de santé : supprimer les fumoirs dans l’ensemble du réseau, sauf dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée. Pourtant, les fumoirs empestent à des mètres à la ronde, nuisent à la santé de ceux qui les nettoient et servent parfois aux employés alors qu’ils sont censés être réservés aux usagers.

Cela dit, un amendement exige que tous les établissements de santé et de services sociaux et ceux d’enseignement postsecondaire mettent en œuvre une politique visant à établir un environnement sans fumée. Plusieurs espèrent que les administrateurs du réseau de la santé se donneront un échéancier serré pour que leurs établissements et leurs terrains deviennent sans fumée, voire qu’ils commencent à intervenir systématiquement auprès des patients qui fument. Ces pratiques sont déjà une réalité au Centre universitaire de santé de l’Université McGill (CUSM) et au Centre jeunesse de Montréal, entre autres. Avec raison : le tabac représentant un facteur de risque majeur dans plusieurs maladies, du diabète au cancer.

Plus d’endroits sans fumée
Info-tabac 110 parcs enfants
Des terrains de jeux pour enfants et des parcs sans fumée sont l’une des demandes des groupes de santé.

La première mouture du projet de loi no 44 interdisait l’usage du tabac sur les terrasses des bars et des restaurants, dans les véhicules en présence d’enfants et à neuf mètres de toute porte d’un édifice accueillant le public. Les discussions en commission y ont ajouté de nouveaux lieux. Si la loi est adoptée, il sera désormais interdit en tout temps de fumer sur le terrain des écoles primaires et secondaires, les terrains de jeu pour enfants et les terrains sportifs, incluant l’aire des spectateurs. La règle des neuf mètres prend aussi de l’ampleur : si l’Assemblée nationale donne son accord, il sera interdit de fumer non seulement à moins de neuf mètres des portes, mais aussi des prises d’air et fenêtres pouvant s’ouvrir de tout édifice public. Avec cette nouvelle loi, le gouvernement du Québec se donne aussi le pouvoir réglementaire d’interdire le tabac dans d’autres lieux extérieurs. Et pourquoi pas? Créer des lieux sans tabac est l’un des meilleurs moyens d’en dénormaliser l’usage et de protéger chacun de la fumée secondaire.

Par contre, la loi permettra encore de fumer à l’intérieur des garderies en milieu familial aux heures où il n’y pas d’enfants. Les groupes de santé réclamaient plutôt une interdiction en tout temps du tabac, comme en Ontario. En effet, la fumée ne disparaît pas des lieux avec l’arrivée des enfants. Elle se transforme en fumée tertiaire qui s’incruste dans les murs et les meubles, les rendant nauséabonds et nocifs.

La cigarette électronique mieux encadrée

D’autres amendements touchent spécifiquement la cigarette électronique. Mentionnons que les magasins spécialisés qui vendent ce produit devront transmettre leur nom et adresse au gouvernement dans les 30 jours suivant leur ouverture. Cela leur permettra notamment d’être exemptés de certaines règles. Par exemple, les marchands pourront étaler leurs produits et accessoires. Ils n’auront toutefois pas le droit d’admettre des mineurs dans leur établissement.

Un recul : les points de vente des produits du tabac
Info-tabac 110 dépanneur café
De plus en plus de commerces contournent la Loi sur le tabac en vendant des produits du tabac dans un lieu où il est possible de consommer des aliments.

Un amendement, enfin, représente un recul dans la lutte contre le tabagisme, estiment les groupes de santé. La loi actuelle interdit la vente de tabac dans les commerces possédant un permis de vente d’alcool ou de restauration. L’Association canadienne des dépanneurs en alimentation (ACDA) a toutefois demandé – et obtenu – l’assouplissement de cette règle qui est plus ou moins respectée. En effet, de plus en plus de dépanneurs incluent désormais un comptoir pour les viennoiseries ou pour les sandwichs qui est souvent exploité par une autre grande chaîne. Le projet de loi no 44 propose donc d’interdire la vente de tabac seulement là « où est exercée principalement l’activité de restaurateur. » (c’est nous qui soulignons) Sans être contre cet assouplissement, les groupes de santé auraient aimé qu’il soit plus limité. En clair : qu’il ne permette la vente de tabac que dans les commerces sans tables ni chaises adjacentes au comptoir des sandwichs.

Le projet de loi no 44 a été déposé le 5 mai puis étudié à la fin de l’été lors d’auditions publiques de la Commission de la santé et des services sociaux (CSSS). Fin septembre, les élus l’ont adopté en deuxième lecture puis, à la mi-novembre, la CSSS en a terminé l’étude article par article. Cette nouvelle mouture du projet de loi devrait être présentée à l’Assemblée nationale d’ici la mi-décembre où elle a d’excellentes chances d’être adoptée.

Anick Labelle