Le ministre Couillard pressé d’interdire le tabac dans les restaurants et les bars

Les organismes impliqués dans la lutte antitabac ont demandé au ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Philippe Couillard, d’interdire l’usage du tabac dans tous les lieux publics et milieux de travail québécois. Cette requête a été exprimée lors d’une rencontre à huis clos, tenue le 3 juin à Québec. Elle survient alors que le gouvernement s’apprête à évaluer la Loi sur le tabac, en vue de sa révision en 2005.

« Depuis l’adoption de la loi québécoise en 1998, la majorité des travailleurs sont protégés des produits chimiques contenus dans la fumée de tabac, a indiqué le coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), Louis Gauvin, au cours du point de presse qui a suivi l’entretien avec le ministre. Cependant, il y a des catégories de travailleurs, et c’est notamment le cas de ceux qui oeuvrent dans les restaurants et les bars, qui sont encore exposés aux effets nocifs de la fumée de tabac dans l’environnement (FTE). »

Particulièrement nombreuses à devoir composer avec des milieux de travail enfumés, les femmes représentent 65 % des employés du domaine québécois de la restauration et des bars. Selon l’Enquête sur la mortalité attribuable au tabagisme au Canada et dans ses régions, la fumée des autres tue chaque année plus de 1 100 Canadiens dont 300 Québécois.

Loi sur le tabac

En vertu de l’actuelle Loi sur le tabac, les restaurateurs doivent offrir à leurs clients non-fumeurs au moins 60 % des places disponibles. Toutefois, la nature de la séparation n’étant pas spécifiée, des sections mitoyennes, sans division apparente, sont toujours tolérées.

De plus, depuis décembre 2001, tous les nouveaux restaurants, et ceux qui ont effectué des rénovations majeures, doivent interdire le tabac, à moins d’aménager une section cloisonnée et ventilée pour fumeurs. Ce n’est qu’en décembre 2009 que la totalité des restaurants du Québec devront se conformer à cette norme. Quant aux bars, si la loi n’est pas renforcée, ils pourront demeurer enfumés car aucune restriction n’est actuellement prévue.

« Les dangers de la fumée secondaire étant très clairs, a souligné M. Gauvin, il est évident que les personnes exposées à la FTE encourent d’importants risques de cancers du poumon, de troubles respiratoires et de maladies cardio-vasculaires. »

Directrice générale de la division québécoise de la Société canadienne du cancer, Nicole Magnan espère une action immédiate de la part du MSSS. « Il est impératif que le gouvernement révise la Loi sur le tabac afin de nous donner les outils nécessaires pour continuer de lutter contre cette épidémie qui tue plus de 13 000 personnes chaque année au Québec, dont plusieurs centaines de non-fumeurs », a-t-elle spécifié.

La Coalition s’attaque à la FTE

Avant l’adoption de la présente loi, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac avait milité pour une interdiction partielle dans les lieux publics. Elle a récemment redéfini ses priorités. Consciente que la situation actuelle était devenue désuète et inappropriée, elle prend maintenant position pour une interdiction totale de fumer dans l’ensemble des lieux publics et milieux de travail, incluant les restaurants et les bars.

L’opinion publique semble d’ailleurs favorable aux améliorations proposées par le groupe de pression et ses partenaires. Un sondage réalisé en mars 2004 indique que 67 % des Québécois approuvent l’idée de bannir la fumée des endroits publics de Québec et de Lévis. Dans l’Outaouais, une autre enquête a révélé que près de 70 % de la population souhaite que l’usage du tabac soit interdit à l’intérieur de ceux de Gatineau.

Selon le Journal de Montréal, même l’Association des propriétaires de bars, brasseries et tavernes aurait déjà rencontré le ministre Couillard concernant une éventuelle interdiction de fumer dans les lieux publics. « La seule chose qu’on demande, c’est une période de transition plus longue que celle des restaurants », a confié son président, Renaud Poulin, au journaliste Éric Yvan Lemay.

Lettre à la CSST

Puisque la Loi sur la santé et la sécurité du travail a pour but de protéger les travailleurs des risques de santé encourus à leur emploi, la Coalition a interpellé la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST). Dans une lettre adressée le 4 juin à son président et chef de la direction, Jacques Lamonde, elle réclame que la FTE soit inscrite sur la liste des substances toxiques du règlement sur la santé et la sécurité du travail.

Ironiquement, 17 substances cancérigènes contenues dans la fumée sont inscrites dans l’annexe des produits dont l’exposition en milieu de travail est jugée risquée pour la santé. De plus, six d’entre elles sont considérées comme étant tellement dangereuses qu’il n’y a aucun niveau d’exposition qui soit considéré comme sécuritaire.

La fumée de tabac n’est pas directement engendrée par l’exploitation d’un établissement, ou d’un appareil, elle ne figure donc pas sur la liste des substances dont l’exposition en milieu de travail est contrôlée. « Pourtant, ce n’est pas parce que la fumée secondaire n’est pas produite par les propriétaires de bars et de restaurants, qu’elle n’est pas dangereuse pour les travailleurs qui y sont exposés », faisait remarquer le Dr Marcel Boulanger, président du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), également présent au point de presse.

« La fumée dégagée par le bout incandescent d’une cigarette résulte d’une combustion incomplète à faible température. Puisque cette fumée ne passe pas par le filtre de la cigarette, elle est donc plus toxique que celle qui est inhalée par le fumeur », peut-on lire dans la missive de la Coalition envoyée à la CSST. La Colombie-Britannique, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest considèrent déjà la fumée secondaire comme un contaminant du milieu de travail. Pour sa part, l’Ontario a déjà indemnisé des victimes de la fumée secondaire.

Réactions du ministre

Conscient des risques reliés à l’exposition à la FTE, le Dr Philippe Couillard est attentif aux recommandations des groupes de santé. Selon le coordonnateur de la Coalition, Louis Gauvin, le ministre serait déterminé à mieux protéger les non-fumeurs dans leur milieu de travail et prendra en considération les demandes des groupes antitabac lorsque viendra le temps de modifier la loi.

Il reste maintenant à voir quels seront les échéanciers établis par le gouvernement pour réviser la législation.

L’ex serveuse Heather Crowe rencontre le ministre Couillard

En 2002, l’Ontarienne Heather Crowe, qui n’a jamais fumé de sa vie, apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du poumon incurable. Sa maladie est directement liée à la fumée secondaire qu’elle a dû respirer pendant les nombreuses années où elle travaillait dans des restaurants enfumés. Depuis son diagnostic, elle s’est donnée pour mission « d’être la dernière personne à mourir de la fumée secondaire dans son milieu de travail ». Afin de véhiculer son message, elle voyage d’un bout à l’autre du pays.

De passage à Montréal le 16 juillet, Mme Crowe a rencontré le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard. Elle lui a demandé de protéger tous les travailleurs de la fumée de tabac secondaire. Durant l’entretien, qu’elle a qualifié de « très positif », le ministre s’est engagé à améliorer la situation dans les bars et les restaurants. Il a aussi précisé qu’un rapport sur la réouverture de la loi devrait être déposé au mois d’octobre prochain et qu’une commission parlementaire débuterait dès janvier 2005.

Le point de presse qui suivait la rencontre avec le ministre avait lieu au Bar à vin (sans fumée) BU, situé sur le boulevard St-Laurent. Profitant de l’attention des nombreux journalistes, caméramans et photographes entassés devant la table d’honneur, Heather Crowe a invité les employés du domaine de la restauration et des bars, incommodés par la fumée secondaire, à porter plainte auprès de la Commission de la santé et de la sécurité au travail et d’en informer la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

Représentant de sérieux risques pour la santé, la fumée secondaire est la principale cause des plaintes rapportées à l’Association des travailleurs et travailleuses de la restauration et de l’hôtellerie du Québec.

À l’Assemblée nationale le 1er juin, le ministre Philippe Couillard a déposé une motion pour souligner la Journée mondiale sans tabac (qui avait lieu la veille).

Voici quelques extraits de son allocution:

M. Couillard : M. le Président, le Québec est heureux de souligner la Journée mondiale sans tabac et de s’associer aux peuples qui se mobilisent pour mettre en relief l’ampleur et la gravité des difficultés générées par le tabagisme. Nous savons que cet important problème de santé publique est la principale cause de décès évitable chez nous. En effet, chaque année, on dénombre au Québec plus de 13 000 décès liés à l’usage du tabac.

(…) Le gouvernement du Québec appuie les actions de l’OMS visant à favoriser une réduction de la consommation de tabac à l’échelle internationale et, conséquemment, à promouvoir le meilleur état de santé possible.

(…) Mais il nous faut maintenant consolider les gains réalisés au cours des dernières années, et c’est pourquoi le gouvernement entend poursuivre et accentuer les interventions de lutte contre le tabagisme, comme le propose le Plan québécois de lutte contre le tabagisme 2001-2005 et, tel que prescrit, nous entendons déposer une mise à jour de ce plan au cours de l’année 2005.

(…) Les modifications législatives envisagées visent à augmenter la protection des non-fumeurs dans les lieux publics et les milieux de travail et à prévenir le tabagisme chez les jeunes. Cette réflexion couvrira notamment les aspects de l’accessibilité et de la promotion des produits du tabac.

Josée Hamelin