Le Ministère se lance dans le contrôle de la vente aux mineurs

Par un communiqué émis le 21 juin, le ministre québécois Roger Bertrand a dévoilé la destination des fonds additionnels antitabac, obtenus dans le sillon de la récente hausse des taxes. Une somme de 2,5 millions servira à l’engagement de 25 nouveaux inspecteurs qui oeuvreront à l’interdiction de la vente aux mineurs, de même qu’à une campagne de sensibilisation des adultes impliqués dans cet approvisionnement illicite.

Cependant, cet investissement ne devrait guère contribuer à la prévention du tabagisme puisqu’il s’agit là d’activités qu’exercent avec soin Santé Canada et… l’industrie du tabac. Pour le Québec, l’organisme fédéral compte déjà, depuis quelques années, une vingtaine d’inspecteurs, basés à Longueuil et à Québec, qui veillent au respect d’une loi canadienne similaire et antérieure à la loi provinciale. Leur vigilance a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs reportages montrant des détaillants qui se plaignaient d’avoir été piégés par des adolescents agissant comme de faux acheteurs. Santé Canada ferait donc trop bien son travail, selon certains, en utilisant de jeunes agents doubles.

Quant à l’industrie du tabac, elle subventionne une importante campagne de sensibilisation appelée Opération carte d’identité, visant supposément à décourager la vente aux mineurs. Cette campagne a toutefois été vertement dénoncée par des organismes antitabac. On l’accuse d’être improductive; elle a même été interdite en Saskatchewan.

Dispendieuse et peu efficace

Bien qu’elle fasse en principe consensus en Amérique du Nord, l’interdiction de la vente aux mineurs n’aurait guère d’impact sur le tabagisme juvénile, selon une compilation de neuf études réalisée par des chercheurs de l’Université de Californie et publiée dans la revue Pediatrics de juin dernier. La prévalence du tabagisme des jeunes a peu de liens, sinon aucun, avec le taux de conformité des détaillants de leurs régions respectives, rapporte l’article. La conclusion des trois chercheurs est lapidaire : « Compte tenu des minces ressources disponibles pour la lutte contre le tabagisme, et des coûts élevés du contrôle de la vente aux mineurs, les intervenants devraient abandonner cette voie et diriger leurs fonds disponibles vers d’autres actions dont l’efficacité est démontrée. »

L’entrée en force de Québec dans la surveillance de la vente aux mineurs va d’ailleurs à l’encontre des recommandations de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac qui, dans une lettre de septembre 2001, demandait précisément au Ministère de ne pas investir dans ce secteur. « Notons que réduire la vente de tabac aux mineurs est un objectif très différent de la réduction du tabagisme chez les jeunes. Interdire la vente aux mineurs mise uniquement sur la source des produits du tabac et ne diminue en rien le désir des jeunes de fumer. C’est pour cette raison que nous ne la considérons pas une priorité », écrivaient ses dirigeants, Heidi Rathjen et Louis Gauvin.

Au Québec, le montant de 2,5 millions $ correspond à trois fois les contributions combinées du Ministère à la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac, au Défi « J’arrête, j’y gagne! » et à la Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac.

Concernant toujours le tabagisme juvénile, le communiqué gouvernemental révélait qu’une somme additionnelle de 3 millions allait être consacrée à « la réalisation de projets spécifiques en prévention auprès de cette clientèle. » Cet investissement important risque aussi d’être tièdement accueilli. La Coalition soutenait plutôt que « les campagnes d’éducation qui englobent le tabagisme adulte ainsi que les normes sociétales entourant le tabac offrent les meilleures chances d’avoir un impact sur les jeunes. » Bien qu’en accord avec des interventions limitées auprès des jeunes, le regroupement antitabac a surtout des réserves sur leur emphase : « Lorsqu’on définit l’épidémie des maladies causées par le tabac comme le problème du tabagisme chez les jeunes, on risque de renforcer l’acceptabilité sociale de l’usage du tabac par les adultes. »

Protection

Dans un autre domaine plus prometteur, la protection des non-fumeurs, 1,5 million servira à l’engagement de 20 inspecteurs additionnels qui renseigneront les gestionnaires de certains secteurs problématiques, notamment la restauration, sur les modalités de la Loi sur le tabac, dans le but d’en améliorer la conformité. Même s’ils pourront émettre des contraventions, ces agents vont privilégier la sensibilisation, a indiqué Chantal Maltais, chef des inspecteurs. Avec les engagements annoncés, l’équipe du Service de lutte contre le tabagisme, dirigée par Lise Talbot, comptera une centaine de personnes en 2003, dont 70 inspecteurs, et son budget sera de 25 millions.

Denis Côté