La FDA n’a pas juridiction sur le tabac

Victoire des cigarettiers américains en cour d’appel : la Food and Drug Administration américaine a outrepassé son autorité en tentant de réglementer le tabac, a tranché une cour d’appel.

La décision risque de retarder considérablement la mise en œuvre d’un élément central de la stratégie antitabac de Bill Clinton, soit l’interdiction quasi-complète de la publicité du tabac. En plus de renforcer les mesures contre les ventes de tabac aux mineurs, le règlement de la FDA, annoncé en grande pompe en août 1996, prévoyait aussi de limiter la publicité aux seuls textes imprimés en noir et blanc et d’interdire la commandite.

Mais deux des trois juges de la Cour d’appel fédérale de Richmond, dans l’État de Virginie, cultivateur de tabac, ont statué le 14 août que le tabac est trop dangereux pour être réglementé par la FDA.

« L‘obligation de la FDA est de parvenir à un équilibre entre les risques et les bienfaits de l’utilisation d’un produit quelconque, et non de mettre en balance les risques de continuer de permettre la commercialisation d’un produit et les risques de le retirer du marché. La FDA est incapable de nommer de véritables bienfaits sanitaires découlant de la décision de laisser les produits du tabac sur le marché. Ceci ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’autres considérations de politique publique, telles que l’impact sur l’économie nationale et la possibilité de créer un marché noir, qui militent contre l’interdiction des produits du tabac. Cependant, ce genre de décision, comprenant des arbitrages entre des considérations concurrentes de politique nationale, est le genre de décision à laisser au Congrès. »

Les deux juges reconnaissent que le tabac semble constituer une « drogue » au sens de la définition donnée à ce terme dans la loi américaine sur les aliments et les drogues. Mais cette loi ne peut s’étendre au tabac sans dénaturer l’intention du Congrès américain, prétendent-ils : les critères que la législation fixe pour les drogues, appliqués normalement, entraîneraient obligatoirement une interdiction du tabac, et il est clair que le Congrès n’a jamais voulu tenter l’expérience de la prohibition de la nicotine.

Ce n’est qu’en contournant ses propres règles que la FDA a réussi à ne pas interdire le tabac lorsqu’elle a décidé qu’elle devait le réglementer, maintiennent les juges.

De plus, ils affirment que le Congrès a eu plusieurs occasions de confier la juridiction sur le tabac à la FDA, a rejeté plus d’une vingtaine de projets de loi à cet effet, et a choisi plutôt de réglementer lui-même la commercialisation du tabac.

Opinion minoritaire

Petite lueur d’espoir pour la FDA : l’un des trois juges du panel a rejeté en bloc les arguments des cigarettiers, allant même plus loin que le juge de première instance dans son appui au règlement.

D’après le juge Kenneth Hall, ses collègues ont oublié un élément central de la cause : la FDA a adopté son règlement concernant le tabac après qu’elle eut découvert des faits nouveaux sur la nature du produit. En effet, ce sont les éléments de preuves tendant à démontrer que les cigarettiers manipulent systématiquement les taux de nicotine absorbée par les fumeurs qui ont poussé la FDA à réviser sa position en 1995 et à affirmer qu’elle a juridiction sur le tabac.

Contrairement au juge de première instance, le juge Hall est d’avis que la FDA a le droit de réglementer en détail la publicité du tabac, la publicité faisant selon lui partie intégrante de la « vente » au sens de la loi sur les aliments et les drogues. (En avril 1997, le juge William Osteen, réputé très pro-tabac, avait surpris tout le monde en confirmant la juridiction de la FDA sur le tabac, tout en rejetant les restrictions touchant la publicité. La majorité des observateurs s’attendaient à l’époque à ce que les instances supérieures infirment uniquement ce dernier élément du jugement Osteen.)

Option politique ou option judiciaire?

À première vue, la décision du 14 août représente un revers de plus pour les organismes de santé américains, écorchés par la défaite de projets de loi antitabac au Sénat et une série de jugements en faveur des cigarettiers.

Mais selon David Sweanor, avocat au bureau d’Ottawa de l’Association pour les droits des non-fumeurs, cette défaite n’en est peut-être pas une. La cour d’appel donne un argument de plus à l’administration Clinton pour pousser les républicains au Congrès à adopter une loi antitabac musclée, affirme Me Sweanor.

Tant que les tribunaux semblaient donner raison à la FDA, les républicains avaient un bon prétexte pour justifier leur inaction par rapport au tabac. Maintenant, à l’approche des élections législatives de novembre, Clinton peut plus facilement invoquer l’urgence d’agir rapidement pour protéger les États-Unis de l’« épidémie pédiatrique du tabagisme », pour reprendre l’expression favorite de David Kessler, ancien chef de la FDA.

La Maison Blanche pourrait aussi opter pour la voie judiciaire et tenter de faire infirmer ce dernier jugement par la Cour suprême, quitte à laisser le champ publicitaire libre à l’industrie pendant plusieurs années supplémentaires.

Francis Thompson