Le monde sans fumée de Philip Morris International : une longue histoire d’hypocrisie, selon un rapport de STOP

Homme en sarrau qui compte de l'argent

En 2017, le numéro un mondial du tabac, Philip Morris International (PMI), annonçait en grande pompe qu’il s’engageait à travailler pour un monde sans fumée et à cesser, un jour, de vendre des cigarettes. La même année, il renchérissait en créant la Fondation pour un monde sans fumée (ou Fondation), un organisme prétendu indépendant. Ce printemps, l’initiative antitabac STOP a produit un rapport qui dément avec rigueur les prétentions de PMI disant vouloir créer un monde « sans fumée »

Évidemment, les critiques à l’encontre de ces promesses de PMI ne sont pas nouvelles. Des articles parus dans des revues scientifiques comme JAMA et Tobacco Control ainsi qu’une grande enquête du Huffington Post, ont déjà pointé du doigt les prétentions mensongères de la multinationale. Il en est de même pour la majorité des experts en santé publique et des groupes de lutte contre le tabagisme, incluant Info-tabac. L’initiative Stopping Tobacco Products and Organizations (STOP) vient toutefois enfoncer le clou avec son rapport intitulé Addiction At Any Cost : Philip Morris International Uncovered.

STOP : une initiative antitabac que rien n’arrête

STOPPING TOBACCO ORGANIZATIONS AND PRODUCTS

STOP est une initiative mondiale d’observation visant à lutter contre l’ingérence de l’industrie du tabac, notamment dans les pays à faible revenu. Financée par Bloomberg Philanthropies, STOP publie des rapports d’enquête mettant au jour les tactiques de lobbying et les stratégies de marketing des géants du tabac. L’initiative crée également des outils permettant aux pays de mieux lutter contre ces manufacturiers.

STOP est un partenariat entre :

  1. le Tobacco Control Research Group : un groupe de recherche de l’Université de Bath en Angleterre;
  2. le Global Center for Good Governance in Tobacco Control (GGTC) : un chef de file  parmi les opposants à l’ingérence de l’industrie du tabac dans la lutte contre le tabagisme;
  3. L’Union : un organisme jouant un rôle actif au sein de l’Initiative Bloomberg pour la réduction du tabagisme;
  4. et Vital Strategies : un organisme qui aide les gouvernements à renforcer leur système de santé publique afin de lutter contre les défis sanitaires les plus importants.
Un monde sans fumée ou un écran de fumée?

Publié en février 2020, le rapport de STOP n’y va pas de main morte : l’analyse des documents internes de 2014 de PMI, qui ont fait l’objet d’une fuite, prouve que les prétentions d’un objectif « sans fumée » de l’entreprise sont surtout une stratégie de marketing visant à atteindre les objectifs suivants :

1. Réhabiliter l’image ternie de l’industrie du tabac et la positionner comme faisant partie de la solution plutôt que du problème : Pour y arriver, PMI se targue de mettre au point des produits de tabac et de nicotine « plus sûrs » pour la santé (ex : IQOS, un produit de tabac chauffé ou HTP). Elle crée des campagnes de relations publiques « sans fumée » telles que Hold My Light, Unsmoke Your World, It’s Time, elle fait du lobbying incessant pour affaiblir la manière dont ses produits devraient être réglementés et taxés et elle tente d’influencer les politiques reliées au tabagisme en accédant à des événements internationaux de haut niveau (ex. : le Forum Économique Mondial et l’Assemblée générale des Nations Unies).

2. Augmenter la dépendance au tabac et à la nicotine : Pour ce faire, non seulement PMI crée-t-elle de nouveaux produits « plus sûrs » pour la santé, mais elle continue à commercialiser les cigarettes, à éliminer la concurrence et à recruter de nouveaux consommateurs (par exemple, les jeunes, par l’entremise d’influenceurs sur les réseaux sociaux).

3. Affaiblir la lutte contre le tabagisme : PMI tente régulièrement de faire achopper les mesures de lutte antitabac. Actuellement, aux États-Unis, l’entreprise conteste en cour les nouvelles mises en garde illustrées qui doivent apparaître sur les paquets de cigarettes d’ici 2021.

4. Donner l’impression d’une communauté de santé publique divisée : Le rapport indique que dès 1995, PMI a répondu aux multiples menaces pesant sur son succès financier et sa crédibilité en scindant la communauté de la santé publique. Comment? En interagissant, entre autres, avec des scientifiques de la lutte antitabac pour leur apporter du soutien sur des questions autres que le tabac, espérant ainsi gagner leur intérêt et leur confiance!

Réduire les méfaits ou augmenter les profits?

Le rapport de STOP met aussi en évidence le fait suivant : l’industrie du tabac met au point de nouveaux produits dits « sécuritaires », non pas pour créer un monde sans fumée, mais bien pour empêcher ses profits de partir en fumée! Il suffit de penser aux cigarettes « légères » et au snus, deux produits qui promettaient de réduire les risques à la santé et d’offrir des solutions de rechange à l’arrêt tabagique, mais qui ont surtout permis à l’industrie de faire des profits substantiels.

De nos jours, l’industrie joue la même carte avec les cigarettes électroniques et les HTP. Pourtant, un doute plane toujours autour de leurs effets sur la santé et de leur efficacité comme outils de désaccoutumance. À ce propos, 65 % des Canadiens qui utilisent la cigarette électronique sont aussi des fumeurs… et les jeunes vapotent de plus en plus!

Comme autre preuve que tout ceci n’est qu’une question de profit, PMI a lancé IQOS sur les marchés où les ventes de cigarettes étaient en baisse et où la réglementation est plus importante. C’est ainsi que le produit est vendu dans plus de 700 points de vente au Québec, alors qu’il est à peine commercialisé en Afrique. Heureusement, dans le cadre de sa Stratégie pour un Québec sans tabac 2020-2025, le gouvernement québécois a adopté des mesures pour réduire l’accessibilité de ce type de produit.

De surcroît, le rapport de STOP indique que, même si les cigarettes électroniques et les HTP représentent encore une faible part du marché global de la nicotine (3 % de sa valeur en 2008; 7 %, en 2018), ces produits  permettent aux géants du tabac de freiner la baisse de leurs ventes totales. Il n’est donc pas étonnant que l’une des stratégies préférées de l’industrie pour étendre ce nouveau marché consiste à cibler les jeunes dans ses campagnes de marketing.

Une Fondation sans bien fondé

Ce n’est pas tout : PMI pousse plus loin l’hypocrisie dans la façon dont elle exploite sa Fondation pour un monde sans fumée. Depuis sa création en 2017, cette dernière se proclame une organisation scientifique indépendante ainsi qu’une partisane de la lutte antitabac. Pourtant, selon le rapport, le conflit d’intérêts est flagrant, puisqu’elle est entièrement dépendante de PMI sur le plan financier, qu’elle investit davantage dans les relations publiques que dans la science, qu’elle manque de transparence et, enfin, qu’elle collabore avec les organisations liées à l’industrie du tabac en vue de saper les efforts mondiaux de lutte contre le tabagisme.

La Fondation a d’ailleurs réussi à faire son chemin… jusqu’au Canada. À titre d’exemple, cette année, trois Canadiens (médecins et professeurs universitaires) faisaient partie du panel du Global Forum on Nicotine, un événement international organisé par la Fondation – ce qui suscite des doutes quant au financement de ces experts.

Heureusement, la Fondation ne semble pas se faire trop d’alliés : le rapport de STOP démontre qu’elle peine à établir des relations avec des scientifiques crédibles de la lutte antitabac, à publier ses études dans des revues reconnues et à garder son personnel clé. Sans compter que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rapidement publié une déclaration disant qu’elle ne s’associerait pas à la Fondation, et que les gouvernements et la communauté de la santé publique devraient suivre son exemple. En 2019, des centaines d’experts mondiaux de la santé publique ont publié une lettre ouverte allant dans le même sens.

PMI « sans fumée » pour Prétentions Malhonnêtes et Illogiques

En somme, les revendications de PMI voulant qu’elle abandonne les cigarettes et cherche à créer un avenir sans fumée sont un pur exercice de relations publiques destiné à lui permettre d’accéder aux divers milieux politiques et de protéger ses intérêts. Après tout, la réalisation de ses ambitions d’un monde « sans fumée » ferait mourir l’entreprise elle-même! En effet, PMI n’aurait probablement plus aucun consommateur d’ici quelques décennies si l’on se fiait  au slogan de sa dernière campagne de relations publiques, Unsmoke : « si vous ne fumez pas, ne commencez pas; si vous fumez, arrêtez; si vous n’arrêtez pas, changez [pour les cigarettes électroniques ou les HTP] »! Ce message dénote un objectif d’affaires complètement illogique et donc, assurément malhonnête. Par conséquent, à la lecture du rapport de STOP, il va de soi que les gouvernements, les professionnels et les groupes de santé doivent continuer à surveiller de très près les faits, les gestes et les prétentions de Philip Morris International et de sa Fondation.

Catherine Courchesne