Non, il ne faut pas légaliser le snus là où il est interdit. Oui, sucer du snus suédois est moins nocif que de fumer le tabac

Un produit qui consiste en sachets de tabac à sucer peut-il servir de substitut aux produits du tabac fumés, avec plus de succès auprès des accros de la nicotine que la nicotine offerte en gommes, en pastilles, en timbres transdermiques, et en vaporisations à inhaler par le nez ou la bouche?

Voilà grosso modo une question grave et sans réponse claire que pose le Collège royal des médecins (Royal College of Physicians) de Londres, au terme d’une vaste recension commentée d’articles scientifiques sur la réduction des méfaits du tabac parue en octobre 2007.

Le tabac en sachets, sachets que l’on place entre la gencive et la lèvre et que l’on suçote pendant des heures, est vendu depuis une trentaine d’années en Suède et en Norvège, des pays où on l’appelle le snus (mot prononcé snousse). Mais le produit est peu connu ailleurs sur le globe, et est interdit dans l’Union européenne (UE), sauf en Suède. La Norvège, elle, ne fait pas partie de l’UE, contrairement au Royaume-Uni.

Dans l’hypothèse d’un recrutement futur des adeptes du snus dans les rangs de jeunes qui n’auraient pas touché au tabac autrement, on assisterait à un recul en matière de santé publique, et cela en gros pour deux raisons, peut-on conclure à la lecture du rapport du Royal College of Physicians (RCP).

Le snus n’est pas inoffensif

Premièrement, le suçage de sachets de tabac donne lieu à une absorption de nicotine par le corps, et pourrait donc entretenir chez le consommateur une dépendance vis-à-vis de cette drogue.

La nicotine n’est pas en elle-même cancérogène, comme le rappelle le RCP. Toutefois, les sources de nicotine les plus universellement connues, publicisées, attirantes et accessibles demeurent les cigarettes, les cigarillos, les cigares et le tabac en vrac, produits dont on sait trop bien les méfaits sanitaires. Ce serait une tout autre histoire si les accros de la nicotine n’avaient le choix qu’entre du snus, d’une part, et d’autre part, des pastilles, gommes, timbres et vaporisations, produits que les médecins anglais jugent très favorablement et englobent sous le nom de nicotine médicinale.

Deuxièmement, le tabac, qu’il soit fumé, prisé, chiqué ou sucé, contient naturellement des nitrosamines. Dans le tabac, il en existe quatre types dont deux sont reconnus comme cancérogènes. Et la façon la plus sûre d’en éviter l’absorption par le corps n’est sûrement pas de se mettre du tabac dans la bouche.

Le cancer du pancréas a été observé deux fois plus souvent chez les consommateurs de snus que chez les personnes ne touchant pas au tabac, lors d’une étude menée de 1978 à 1992 auprès d’ouvriers de la construction en Suède, étude citée parmi plusieurs autres par le RCP.

Aux États-Unis, on peut aussi trouver sur le marché, en toute légalité, des produits de tabac à se mettre en bouche, vendus sous divers noms. La teneur de ces tabacs en nitrosamines cancérogènes varie cependant, et une autre enquête citée dans le rapport du RCP révèle que cette teneur est généralement plus élevée que dans le snus suédois, où elle a diminué depuis vingt ans, car le tabac du snus suédois est désormais pasteurisé avant d’être ensaché.

Aux États-Unis, la consommation des produits du tabac sans fumée était en lent déclin jusqu’à ces dernières années, et elle reste énormément moins répandue qu’en Scandinavie. Au Canada, où Imperial Tobacco Canada a introduit son snus du Maurier en septembre 2007, la taxe d’accise fédérale applicable au produit est passée de 0,46 à 2,89 $ par paquet le 1er juillet dernier, ce qui rendra le snus plus cher que les cigarettes, selon la compagnie.

Mais c’est moins nocif que de fumer

La même étude suédoise mentionnée plus haut n’a pas seulement mesuré l’incidence du cancer du poumon et du cancer du pancréas chez les ouvriers de la construction suçant régulièrement du snus et chez ceux qui ne consommaient aucune forme de tabac : elle a aussi mesuré l’incidence de ces maladies chez leurs camarades qui fumaient.

Alors que le cancer du poumon frappait 10 fois plus souvent les ouvriers qui fumaient que ceux qui ne touchaient pas au tabac, ce même cancer ne frappait pas plus les adeptes du snus que les ouvriers ne touchant pas au tabac.

Quant à l’incidence observée du cancer du pancréas chez les fumeurs, elle ne fut pas 2 fois, mais 3 fois plus grande que chez les ouvriers ne touchant pas au tabac. Dans ce cas, le risque était donc moins grand de consommer le snus suédois que de fumer.

Après avoir passé en revue une série d’études scientifiques, le Royal College of Physicians affirme : « Contrairement à la consommation de cigarettes, la consommation de snus ne cause pas de cancer du poumon, de bronchopneumopathie chronique obstructive et plusieurs autres graves effets néfastes sur la santé associés au tabagisme. Par conséquent, bien qu’indubitablement plus risqués que la nicotine médicinale, les produits du tabac sans fumée, et particulièrement ceux à basse teneur en nitrosamines, sont substantiellement moins risqués que le tabac fumé. »

Incohérence et contexte européen

À la question de savoir si la disponibilité accrue du tabac sans fumée fera en sorte que les non-fumeurs commenceront à l’utiliser, le RCP répond que « Les données provenant de Suède suggèrent que c’est improbable. Un petit pourcentage de jeunes commencera à en consommer mais les risques pour la société sont bien moindres qu’avec le tabagisme. La personne qui se met à consommer du tabac sans fumée pourrait aussi être celle qui se met à fumer. »

Malgré cela, le RCP ne réclame pas la levée de l’interdit européen de 1992 sur le snus et souhaiterait davantage d’études. Reste que le RCP ne réclame pas non plus d’interdire le tabac à chiquer et le tabac à priser, des produits dont l’usage est une cause fréquente de cancer de la bouche, et qui sont permis dans toute l’Union européenne, bien que peu populaires (voir Note 1).

Cette réglementation européenne incohérente force à se demander si l’interdiction du snus par l’UE en 1992, à l’époque où l’entrée de la Suède dans l’Union était en discussion, répondait surtout aux inquiétudes des experts en santé publique, ou à celles de fabriques allemandes et néerlandaises de cigarettes peu désireuses de voir l’industrie suédoise surgir sur le marché européen avec un substitut à la fois « nouveau » et déjà commercialement rodé.

Nul besoin du snus selon les MCSF

Au fil des dernières décennies, sans snus, le Canada a mieux réussi que la Suède et la Norvège à réduire le phénomène tabagique, font valoir les Médecins pour un Canada sans fumée (MCSF).

En 1980, la Suède était indiscutablement en avance sur le Canada, au chapitre des taux de prévalence du tabagisme quotidien et occasionnel dans la population des deux sexes.

En 2006, le bilan canadien pouvait se comparer fièrement au suédois, au vu des données des MCSF. Le Canada était parvenu à faire diminuer un tout petit peu moins que la Suède la prévalence du tabagisme quotidien chez les hommes, de sorte qu’il restait plus élevé au Canada. Par contre, la prévalence du tabagisme occasionnel dans les deux sexes et la prévalence du tabagisme quotidien des femmes étaient rendues plus basses au Canada qu’en Suède. Quant à la Norvège, elle était en retard sur le Canada en 1975 et l’écart dans les taux de tabagisme s’est creusé à l’avantage du Canada depuis lors.

Dans la mesure où les gains faits au Canada s’accompagnent d’un sevrage des personnes dépendantes à la nicotine et d’un maintien des non-fumeurs hors de cette dépendance, les gains réalisés contre le tabagisme seraient aussi moins fragiles. Et réalisés sans les coûts du snus.

Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le recul du tabagisme en certains pays a résulté de l’application d’un ensemble de politiques cohérentes : éducation du public sur les méfaits du tabac, protection des non-fumeurs et restriction de l’espace où il est permis de fumer, réglementation de la publicité et des ventes de tabac pour le débanaliser, taxation dissuasive, et accès à de l’aide et à de la nicotine médicinale pour faciliter le renoncement au tabac.

Pour les MCSF, le courage politique pèse plus que la disponibilité d’un produit particulier quand il faut combattre efficacement une toxicomanie.

Pierre Croteau

Note [1] : Peu populaires notamment parce que ces produits poussent le consommateur à cracher souvent, ce qui n’est pas le cas avec le tabac pasteurisé en sachets.