Voir le monde tel qu’il est : majoritairement non-fumeur et défavorable au tabac!

Et si, pour prévenir le tabagisme chez les jeunes, on leur rappelait que, comme les autres Québécois, la majorité d’entre eux sont défavorables au tabagisme? C’est ce que fait la Direction de santé publique de la Capitale-Nationale et ses partenaires dans un projet pilote basé sur l’approche des normes sociales.

On l’oublie parfois, mais ce ne sont pas uniquement nos préférences personnelles qui dictent nos choix. On prend plusieurs décisions pour correspondre aux normes et aux attentes que l’on perçoit dans notre milieu et chez nos pairs. Le processus est tout à fait normal, surtout chez les adolescents. Mais il a parfois des effets pervers : il nous amène à adopter des comportements ou des attitudes contraires à qui l’on est ou à ce que l’on souhaite. Lorsqu’un jeune décide de fumer, de boire ou de s’adonner aux jeux d’argent parce que « tout le monde le fait » ou que « c’est cool », cela a des conséquences dramatiques.

Valérie Houle
« L’approche des normes sociales invite les jeunes à réfléchir sur qui ils sont, ce qu’ils veulent et ce qui les influence, sans les juger. » – Valérie Houle, agente de planification, de programmation et de recherche au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale.

Ce sont ces phénomènes complexes d’influences et de formation de l’identité que met à jour INSPiRe (Intervention sur les normes sociales associées aux produits du tabac, aux boissons énergisantes, à l’alcool, aux drogues illicites et aux jeux d’argent en milieu communautaire jeunesse). Ce projet pilote veut aider les jeunes âgés de 11 à 14 ans à ajuster leurs perceptions des normes et attentes qui affectent leurs comportements afin qu’ils soient mieux outillés pour déterminer qui ils sont réellement et ce dont ils ont envie.

Les normes sociales : mettre l’accent sur le milieu

INSPiRe est un projet pilote orchestré par six partenaires : la Direction de santé publique de la Capitale-Nationale, le Centre Solidarité Jeunesse, le Centre québécois de lutte aux dépendances et trois maisons de jeunes. À son cœur, on trouve l’approche des normes sociales. Contrairement à d’autres démarches en prévention, celle-ci met l’accent sur l’environnement plutôt que l’individu et sur les comportements sains plutôt que ceux à risque. « Les campagnes de prévention traditionnelles attirent souvent l’attention sur la minorité de jeunes qui ont un comportement à risque comme la consommation de tabac, d’alcool, de drogues ou de boissons énergisantes, explique Valérie Houle, agente de planification, de programmation et de recherche au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale. Même s’il y a une part de plaidoyer là-dedans, ça peut laisser croire que les jeunes se font offrir de l’alcool ou du tabac à tous les coins de rue alors que, dans les faits, ce n’est pas le cas; dans les faits, la majorité des jeunes ne consomment pas ces produits. »

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Les perceptions faussées des jeunes

C’est ce que pensent les jeunes puisqu’ils surévaluent la prévalence des comportements à risque. C’est ce que montre un sondage mené par Valérie Houle et son équipe auprès d’environ 550 jeunes de 11 à 14 ans dans le cadre du projet INSPiRe. « Ce sondage sert avant tout à faire réfléchir les jeunes et les intervenants, dit Mme Houle. Sans avoir la rigueur d’une enquête, il montre indéniablement une tendance. » En quelques mots, environ 10 % des jeunes disent pratiquer chacun des comportements à risque étudiés (consommation de tabac, d’alcool, de drogues ou de boissons énergisantes, ce qui correspond à peu près à la réalité. Par contre, ils estiment qu’environ 60 % des autres jeunes adoptent ces comportements, ce qui est une nette exagération. « C’est la même chose du côté des attitudes : alors que les adolescents sont généralement défavorables aux comportements à risque, ou tout au moins partagés, ils croient que les autres y sont favorables », ajoute la coresponsable du projet. Elle ne sait pas vraiment ce qui explique ce phénomène. « Peut-être que les comportements à risque sont plus visibles que les comportements sains », propose-t-elle. Ceux qui les adoptent en parlent aussi peut-être davantage. Un jeune qui boit de l’alcool, par exemple, aura plus tendance à se vanter aux autres qu’il en a « viré toute une en fin de semaine » que son camarade de classe qui a visionné un film en famille…

« Ces perceptions erronées des jeunes affectent leurs comportements, dit Mme Houle. L’influence des normes perçues est très bien documentée. » En effet, il est plus probable qu’un adolescent fume, boive ou fasse une mise dans un jeu de hasard s’il croit que cela est normal parmi ses pairs ou que son milieu familial y est favorable. À l’inverse, s’il réalise que la plupart des gens autour de lui n’adoptent pas ces comportements, voire les désapprouvent, il réalisera qu’il peut lui aussi avoir de saines habitudes de vie sans en être gêné.

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Valérie Houle et son équipe ont questionné les jeunes sur les comportements à risque. Ce sondage non scientifique montre qu’ils sont relativement peu nombreux à adopter ces comportements même s’ils les croient très répandus chez les jeunes de leur âge.

« Contrairement à ce que craignent certains, cette approche ne favorise pas le conformisme, précise Valérie Houle. Elle invite les jeunes à réfléchir sur qui ils sont, ce qu’ils veulent et ce qui les influence, sans les juger. » Bref, comme INSPiRe l’indique dans son sous-titre, il s’agit de parler des jeunes autrement.

Trois ateliers

Concrètement, INSPiRe regroupe trois outils qui sont autant d’occasions pour faire réfléchir les jeunes. Deux d’entre eux ont été développés par le Centre québécois de lutte aux dépendances : l’atelier Platamort sur le tabac et l’atelier du Programme d’activités de prévention des toxicomanies APTE, qui aborde l’influence du milieu de vie. Le troisième outil, l’atelier Soyons critiques, est tiré du Guide d’activités Bien joué! du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (autrefois l’Agence de santé et des services sociaux de Montréal). Il propose aux jeunes de faire une analyse critique de publicités. « INSPiRe a regroupé ces produits déjà existants sous le chapeau des normes sociales, ce qui leur permet d’aller un peu plus loin », explique Mme Houle.

L’agente de planification avait en tête l’approche par les normes sociales depuis ses débuts en santé publique, il y a une quinzaine d’années. Elle a vu l’occasion d’en parler quand le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a invité les milieux communautaires à proposer des projets innovateurs en prévention du tabagisme chez les jeunes, en janvier 2014. « Tout est allé très vite, raconte-t-elle : nous déposions notre projet en mars, il était accepté en juin et nous le présentions aux groupes communautaires en décembre. » Dès janvier 2015, 19 maisons de jeunes et Antre-classe se sont engagés dans INSPiRe. « Ce projet a mobilisé rapidement beaucoup de monde. Ça fait 12 ans que je travaille en santé publique, et j’ai rarement vu cela. »

Les perceptions faussées… des intervenants

Le projet comme tel s’étale sur une année scolaire. Le premier volet touche les intervenants. Trois ateliers font le tour de leurs propres perceptions et croyances sur les comportements à risque. « C’est ce que recommandent les meilleures pratiques : puisque ce sont eux qui transmettent les messages aux jeunes, ils doivent bien connaître leurs propres perceptions, savoir avec quelles questions ils sont moins à l’aise et avoir les bonnes informations en main. » Quand l’équipe de Valérie Houle a présenté INSPiRe aux intervenants, en décembre 2014, elle a eu la surprise d’entendre certains d’entre eux dire qu’il s’agissait de choix personnels et que ces comportements étaient acceptables dans certaines situations. « En plus d’entraîner de beaux échanges, cela nous a confirmé l’importance de travailler sur leurs croyances et perceptions », dit la coresponsable du projet.

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Le projet INSPiRe invite les jeunes à réaliser des affiches portant sur la véritable prévalence des comportements à risque chez leurs pairs.

Dès octobre, l’équipe va sonder à nouveau les intervenants et les jeunes sur leurs perceptions et attitudes des comportements à risque. L’idée est de voir à quel point cela a changé dans ces milieux. « On ne s’attend pas à des résultats mirobolants parce qu’un an c’est très court pour effectuer de tels changements, dit Mme Houle. Mais on espère minimalement que les évaluations de la prévalence seront plus justes. » Un rapport sera déposé auprès du MSSS en janvier.

Les milieux, eux, poursuivront leur travail. À l’heure actuelle, les jeunes qui participent au projet sont probablement en train de réaliser des publicités pour faire connaître à leurs camarades la véritable prévalence du tabagisme ou de la consommation d’alcool chez les jeunes. Par ailleurs, de nouveaux milieux se lancent déjà dans le projet INSPiRe. Avec un peu de chance, l’approche des normes sociales continuera à faire des petits.

Anick Labelle