Emballages neutres : une révolution couleur olive

L’emballage neutre est recommandé dans les directives d’application de l’article 11 de la Convention-cadre de l’organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac. Le Québec a adhéré à cette convention en 2006, par décret.
L’emballage neutre est recommandé dans les directives d’application de l’article 11 de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac. Le Québec a adhéré à cette convention en 2006, par décret.

S’ils étaient tous vendus dans le même emballage couleur olive, les produits du tabac perdraient une partie de leur pouvoir de séduction et, donc, une partie de leurs clients. Aperçu d’une révolution à venir.

La publicité pour les produits du tabac a d’abord disparu des écrans de télévision, puis des panneaux d’affichage, des commerces et des médias imprimés. Aujourd’hui, elle est rare, mais elle fait encore partie du paysage québécois : avec leurs couleurs vives et leurs formes inusitées, les emballages des produits du tabac attirent encore les gens.

Pour les groupes de lutte contre le tabagisme, ces emballages agissent comme des panneaux publicitaires en miniature. C’est pourquoi ils ont réclamé en chœur un emballage neutre et standardisé lors de la commission parlementaire sur la santé et les services sociaux sur la mise en œuvre de la Loi sur le tabac, en août dernier.

L’Australie : un précurseur

L’Australie a été le premier pays à introduire cette mesure, en décembre 2012. Depuis, plusieurs pays songent à l’imiter (voir l’encadré L’avenir de l’emballage neutre).

Désormais, au pays des kangourous, 75 % de la surface des paquets sont occupés par un avertissement de santé. Le quart restant est neutre : il est brun olivâtre et le nom de la marque y apparaît en blanc, dans une police imposée. Les emballages ont tous la même forme, la même texture et le même mécanisme d’ouverture. Même leur colle est obligatoirement transparente et sans couleur! Les cigarettes se sont également « anonymisées » : elles ne peuvent plus porter de couleur ni de logo, hormis une imitation liège et un code alphanumérique autour du filtre. Ce code ne doit toutefois pas constituer une publicité ni donner de fausse impression sur le produit du tabac. Les marques de cigarettes ne se distinguent donc plus que de quatre façons: par leur nom de marque, leur longueur (king size ou régulière), leur diamètre (régulière ou « slim ») et le nombre d’unités par paquet (20 ou 25).

Cela fait longtemps que les avantages d’imposer un emballage neutre aux produits du tabac sont connus. En 1995, une étude commandée par Santé Canada concluait déjà que « par leur impact sur […] la connaissance et l’attitude des consommateurs, [ils] diminueraient probablement l’incidence […] d’initiation au tabagisme […] chez les adolescents […] et augmenteraient […] la cessation tabagique chez les adolescents et les adultes. » [notre traduction].

Jouer sur l’imaginaire

Ce tour de force est possible grâce au changement que ces emballages opèrent dans « l’imaginaire tabagique ». Aujourd’hui, une marque de tabac de « qualité supérieure », ou premium, donne au fumeur l’image d’un statut social élevé. De la même façon, une marque dont le paquet arbore une fleur de lys donne à ceux qui l’achètent l’impression de fumer québécois. En d’autres mots, chaque marque est associée à une « personnalité » adaptée aux désirs de sa clientèle cible.

L’emballage neutre, au contraire, ne laisse aux fumeurs que le goût du tabac. Résultat : présentées dans un emballage olivâtre, les cigarettes sont perçues comme moins satisfaisantes et de moindre qualité, rapportaient en juillet dernier Melanie Wakefield et son équipe dans le british Medical Journal. En fait, depuis que l’Australie a introduit les paquets standardisés, le gouvernement est inondé de plaintes sur la piètre qualité du tabac, rapporte le New York times!

L’adoption de l’emballage enlèverait toute personnalité aux paquets de cigarettes, incluant leurs couleurs et logos.
L’adoption de l’emballage enlèverait toute personnalité aux paquets de cigarettes, incluant leurs couleurs et logos.
Faire ressortir l’essentiel : les avertissements

L’emballage olive a un autre avantage : il met en évidence les avertissements sur les méfaits du tabac. Ainsi, les jeunes fumeuses à qui on en a fourni un « ont rapporté regarder les avertissements avec plus d’attention et penser davantage à ce qu’ils veulent dire », écrit Crawford Moodie dans le British Medical Journal. [notre traduction] En conséquence, elles ont tendance à moins fumer. La standardisation des emballages empêche aussi que les avertissements de santé perdent leur impact. En effet, les paquets plus étroits des cigarettes « slim » affichent des avis moins grands et, donc, moins percutants. Enfin, imposer un seul emballage à tous les produits du tabac rappelle qu’ils sont tous également dangereux. En clair : les cigarettiers ne peuvent plus duper les consommateurs en leur suggérant que du tabac dans un paquet d’une couleur plus claire est moins dommageable.

Bref, les emballages anonymes privent les fabricants du tabac de l’un de leurs derniers outils promotionnels. À long terme, ils diminuent aussi l’usage du tabac. Certes, pendant les deux premières années de leur implantation, les paquets génériques feraient chuter le nombre de fumeurs d’à peine 1 % et le nombre de jeunes s’initiant au tabac de 3 %, calculent Theresa Marteau et son équipe dans BMC Public Health. Par contre, au fil des années, ces jeunes qui échappent au tabac feront dramatiquement chuter le nombre de fumeurs.

L’avenir de l’emballage neutre

Pour l’instant, seule l’Australie est allée de l’avant avec l’emballage neutre. Mais plusieurs pays ont annoncé leur intention d’en faire autant. Ainsi, l’Irlande a annoncé qu’elle les introduirait sur son territoire dès 2014 tandis que la Nouvelle-Zélande et l’Écosse se sont engagées à déposer une loi à cet effet. La Grande-Bretagne, enfin, a mené une importante consultation sur ces emballages sans toutefois aller plus loin – au grand dam de plusieurs élus et groupes de pression.

Les gouvernements canadiens et québécois sont moins avancés. Pour l’instant, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) « exerce une vigie pour l’ensemble des mesures réglementaires […] développées à travers le monde […] comme […] l’emballage neutre », écrit une porte-parole. À la fin de l’été, par contre, la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale a tenu des audiences sur la mise en œuvre de la Loi sur le tabac où il a été question plusieurs fois de l’emballage neutre.

Du côté de Santé Canada, « aucune réglementation requérant l’emballage neutre […] n’est prévue. » À l’instar du MSSS, l’agence fédérale «surveille de près les réglementations sur l’emballage neutre mises en œuvre dans d’autres pays, dont l’Australie ». [notre traduction]

L’industrie réagit

On le voit, ce n’est pas pour rien si les cigarettiers se battent férocement contre l’emballage neutre. Ils l’ont d’abord contesté devant la Haute Cour de l’Australie. Selon eux, il constituait  une expropriation de leurs marques de commerce, ce qui nécessitait une compensation. Un argumentaire que la cour a rejeté en octobre 2012. « La loi sur l’emballage neutre n’est pas une loi par laquelle [le gouvernement] acquiert un intérêt dans une propriété […], écrivent les juges. [Son] objectif […] est de dissuader les gens d’utiliser des produits du tabac. » [notre traduction].

Par la voie de cinq pays (Ukraine, Indonésie, Honduras, République dominicaine et Cuba), les cigarettiers contestent aussi l’emballage neutre devant l’Organisation mondiale du commerce. Devant ce tribunal auquel n’ont accès que les États, ces cinq pays soutiennent notamment que les paquets australiens portent atteinte au droit des marques et « créent des obstacles plus restrictifs qu’il n’est nécessaire pour réaliser les objectifs déclarés en matière de santé. » En d’autres mots, ils plaident que l’Australie pourrait réduire son taux de tabagisme avec des mesures moins sévères. La cause soulève un grand intérêt puisqu’une trentaine de pays, dont le Canada, ont demandé à être entendus en tant que parties intéressées à cette affaire. Enfin, selon les cigarettiers, les emballages neutres sont plus faciles à contrefaire, ce qui favorisera la contrebande. Pour les groupes qui s’opposent à l’usage du tabac, au contraire, le combat contre le marché noir s’accommode très bien des emballages sans aucune fioriture. Le Québec, par exemple, a annoncé dans son dernier budget un timbre pour les produits du tabac qui agirait comme une marque d’identification unique, sécurisée et indélébile. Un timbre évidemment difficile à reproduire, même pour les faussaires les plus expérimentés. Et ce, indépendamment du look de l’emballage.

Anick Labelle