Un poison qui a bon goût

menthol

Un consensus se dessine dans les États à travers le monde : il faut interdire au plus vite les produits du tabac aux arômes de menthe, de rhum ou de pêche parce qu’ils nuisent grandement à la lutte contre le tabagisme.

Il n’y a pas de doute : les produits du tabac aromatisés ont bien des défauts. En plus de masquer l’âcreté du tabac, ils banalisent un produit dangereux et attisent la curiosité des jeunes. Les produits avec une saveur de menthe nuiraient même particulièrement à l’arrêt tabagique! Deux études – une canadienne et une américaine – rappellent que, malgré leurs saveurs « amusantes », les produits du tabac aromatisés sont dangereux. En somme, que les groupes de santé publique ont raison d’en réclamer l’interdiction!

Le menthol : une incitation à l’initiation

En juillet, une évaluation scientifique préliminaire de la Food and Drug Administration (FDA) concluait qu’ « il est probable que les cigarettes mentholées posent un risque supérieur à la santé publique que les cigarettes non mentholées. » [notre traduction] Le principal défaut du menthol, ce sont ses propriétés anesthésiantes et rafraîchissantes. Elles diminuent l’irritation causée par la fumée du tabac, ce qui favorise l’initiation au tabagisme et renforce la dépendance. Résultat : les fumeurs qui optent pour des cigarettes mentholées ont vraisemblablement plus de mal à se libérer du tabac.

En 2011, pas moins de 100 millions de cigares et cigarillos ont été vendus au Québec. C’est 388 % de plus qu’en 2000, dénonce la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

Une étude canadienne montre quant à elle que le tabac aux arômes de pêche, de café latte ou de pomme attire les jeunes à coup sûr. Au Québec, 55 % des élèves de la sixième année à la 5e secondaire qui ont fumé au cours des 30 derniers jours ont opté pour un produit aromatisé, indique l’Enquête sur le tabagisme chez les jeunes 20102011 du Centre pour l’avancement de la santé des populations Propel, à l’Université de Waterloo. C’est le taux le plus élevé au pays.

Les données sur l’usage du menthol chez les jeunes sont encore plus inquiétantes. En effet, seulement 2 % des fumeurs canadiens choisissent des cigarettes mentholées, selon Santé Canada, mais 24 % des jeunes de la 3e à la 5e secondaire, secondaire, selon l’enquête de Propel! Ces données illustrent le « rôle crucial joué par les saveurs et les aromatisants ajoutés auprès de ceux qui expérimentent ou s’initient au tabagisme », estimaient en octobre, dans un communiqué de presse conjoint, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT) et la Société canadienne du cancer – Division du Québec (SCC).

L’Alberta : une pionnière

Au Canada, l’Alberta fait figure de pionnière sur ce dossier. En novembre, la province de l’Ouest a adopté en troisième lecture la Tobacco Reduction (FlavouredTobacco Products) Amendment Act [Loi sur la réduction du tabagisme (produits du tabac aromatisés)]. La loi interdirait toutes les saveurs caractérisantes dans les produits du tabac sauf, éventuellement, le menthol. En novembre, l’Ontario a aussi déposé un projet de loi qui prohiberait le tabac aux saveurs de fruits et de bonbons.

Au Québec, la Loi sur le tabac n’interdit aucun arôme pour l’instant. Cela pourrait toutefois changer bientôt. En effet, la Commission de la santé et des services sociaux a récemment tenu des audiences sur la révision de la loi. Or, quasiment tous les élus qui y siègent se sont montrés sensibles à la question des saveurs dans les produits du tabac. Leur rapport final recommande que « l’attrait des non- fumeurs pour les produits du tabac, en particulier les jeunes, se dissipe. »

Canada : une loi à parfaire

Au niveau canadien, la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes interdit depuis 2010 les arômes dans certains produits du tabac. Malheureusement, cette loi ne touche pas au menthol, qui a bénéficié d’une clause grand-père. Elle a un autre défaut : elle ne concerne que les cigarettes, les cigares de plus de 1,4 gramme et les feuilles enveloppant le tabac, laissant de côté les cigarillos, la chicha et le tabac sans fumée. Résultat : les cigarillos ont perdu leur filtre et gagné quelques grammes et se sont transformés en cigares aromatisés! Il est simple de boucher ces deux trous dans la loi canadienne, selon la CQCT. « La loi liste précisément les additifs interdits : il suffit d’y ajouter le menthol et d’étendre l’interdiction à l’ensemble des produits du tabac », explique Flory Doucas, codirectrice de l’organisme.

76% des Québécois appuient l’interdiction des saveurs dans les produits du tabac

D’autres pays l’ont fait. Au Brésil, par exemple, quasiment tous les additifs devraient disparaître des produits du tabac en 2014, incluant les saveurs et les édulcorants. Ce n’est pas rien : en moyenne, les additifs composent 10 % de la masse d’une cigarette, estiment les Brésiliens! L’Union européenne a également agi sur ce dossier. Si sa nouvelle directive relative aux produits du tabac est adoptée, tous les arômes donnant au tabac « un parfum ou un goût reconnaissable autre que celui du tabac » seront interdits, incluant le menthol.

Ce qui est certain est que, si le Canada ou le Québec se décident à aller de l’avant, les Québécois seront derrière eux : pas moins de 76 % d’entre eux approuvent l’interdiction des saveurs dans les produits du tabac, indique un sondage mené en 2013 par la SCC. La balle est dans le camp des élus.

Anick Perreault-Labelle