Trois fumeurs sur quatre envisagent d’arrêter

Étude Léger Marketing – Société canadienne du cancer auprès de 3700 fumeurs québécois
Les statistiques sont claires : entre 1999 et 2009, le nombre de fumeurs au Québec a diminué d’environ 30 %. Quelque 1,5 million de Québécois continuent tout de même de fumer, malgré les efforts mis de l’avant pour qu’ils cessent. Que faut-il donc leur dire pour qu’ils écrasent pour de bon?

Un sondage web de Léger Marketing, mené auprès de 3700 volontaires, parmi les fumeurs québécois, pour le compte de la division québécoise de la Société canadienne du cancer (SCC), montre que ce « noyau dur » est plus malléable que certains le pensent. La preuve : 72 % d’entre eux songent sérieusement à arrêter. Ils ont d’ailleurs essayé quatre fois dans leur vie, en moyenne, de se débarrasser du tabac. Un quart d’entre eux ont tenu bon pendant au moins un an.

Dépendants… d’une mauvaise habitude?

L’Étude sur les fumeurs au Québec : portrait et stratégies, rendue publique en juin, dévoile d’autres informations surprenantes. Par exemple, la plupart des fumeurs ne croient qu’à moitié qu’ils sont dépendants d’une drogue. Certes, 74 % d’entre eux se disent très ou assez dépendants de la cigarette; mais à peine 22 % qualifient celle-ci de drogue! La majorité la voit plutôt comme une habitude (53 %), un plaisir (14 %) ou un choix (10 %). Ainsi, à peine 14 % des fumeurs qui ont déjà abandonné le tabac disent qu’ils ont repris à cause des symptômes du sevrage. La plupart estime plutôt avoir recommencé en raison d’une situation stressante (39 %) ou d’un manque de volonté (38 %). Or, la sensibilité au stress est justement l’un des symptômes du sevrage. Cette méconnaissance du potentiel addictif (ou toxicomanogène) de la cigarette n’est pas étonnante, sachant que le tabac n’est jamais inclus dans les campagnes antidrogues aux côtés de la marijuana ou de l’ecstasy.

Cette mauvaise compréhension de la dépendance nuit aux tentatives d’arrêt tabagique, croit Richard Messier, vice-président Stratégie Conseil de Léger Marketing. Il ne viendrait à l’idée de personne qu’un cocaïnomane ou un alcoolique puisse se débarrasser seul de sa toxicomanie… Pourtant, seulement un fumeur sur cinq fait appel à une aide extérieure lorsqu’il essaie d’arrêter, qu’il s’agisse d’un médecin, d’un psychologue, d’un groupe d’entraide ou de la ligne J’arrête. La majorité (54 %) d’entre eux se tourne plutôt, en solo, vers les produits pharmacologiques comme les timbres de nicotine.

Pour Richard Messier, cela démontre que les fumeurs voient leur arrêt tabagique comme un combat qu’ils doivent mener seuls. « Ils ont intégré le discours de l’industrie, analyse-t-il : pour eux, fumer est avant tout un choix personnel et leur mauvaise habitude relève plus d’une absence de volonté que de la nicotine. »

« Les fumeurs qui appellent à la ligne J’arrête croient qu’ils n’arrivent pas à arrêter seulement par manque de volonté, renchérit Suzanne Clermont, agente principale de ce service offert par la SCC. Cela engendre un grand sentiment d’incapacité. Quand ils se rendent compte de l’emprise de la cigarette sur leur cerveau et des stratégies pour s’en débarrasser, ils reprennent confiance en eux et la cessation devient plus facile. » Bref, les fumeurs savent qu’il est difficile d’arrêter de fumer, mais ils ne savent pas vraiment pourquoi…

Il y a d’autres raisons pour lesquelles les ex-fumeurs en devenir préfèrent les produits pharmaceutiques au soutien d’un humain, nuance Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé. « D’une part, les compagnies pharmaceutiques ont un budget publicitaire beaucoup plus élevé que les groupes d’entraide ou la ligne J’arrête; d’autre part, la solution proposée par ces compagnies – avaler une pilule – est tentante parce qu’elle semble facile », dit-il.

Changer le message contre le tabac…
Dans cette annonce télé du Ministère, cette dame semble satisfaite des conseils obtenus à la ligne J’arrête, au 1 866 527-7383.

Face à cette méconnaissance de la toxicomanie qu’est le tabagisme, Richard Messier conclut que les messages qui se concentrent sur la nocivité du tabac ratent au moins partiellement leur cible. En effet, la majorité des fumeurs savent que le tabac est un produit toxique. Seulement 11 % croient qu’il ne présente que peu ou pas de danger tandis que 22 % pensent que c’est le cas de la fumée secondaire. Bref, pour Richard Messier, « parler de la nocivité du tabac a beaucoup contribué à faire baisser le taux de tabagisme ces dernières années et contribue sûrement aux tentatives de cessation d’aujourd’hui, mais il ne convainc pas le fumeur qui essaie d’arrêter de maintenir son arrêt tabagique, malgré les difficultés ».

Au mieux, dit-il, les publicités antitabac actuelles visent le fumeur plutôt que l’ex-fumeur qui essaie de composer avec les symptômes du sevrage. « Vous voulez arrêter de fumer? », débute la publicité pour la ligne J’arrête… Selon Richard Messier, au contraire, ces messages devraient plutôt se concentrer sur la dépendance engendrée par le tabac et les difficultés du sevrage.

« Nos résultats montrent que le désir d’arrêter de fumer est présent : en moyenne, les fumeurs ont fait quatre tentatives d’arrêt, rappelle-t-il. Le problème est que, en moyenne, ils évaluent leurs chances de réussite à 6,3 sur 10. » En somme, dit-il, les fumeurs qui tentent d’arrêter doivent se faire rappeler qu’ils sont dépendants et que c’est normal qu’ils aient du mal à abandonner leur dose.

… ou simplement l’améliorer?

Les groupes pro-santé ont une interprétation légèrement différente des résultats de Léger Marketing. Il est faux de prétendre que tous les messages destinés aux fumeurs portent sur la nocivité du tabac, souligne Mario Bujold. « Les publicités pour les services J’arrête ou les produits de remplacement de la nicotine abordent moins la nocivité du tabac que les bienfaits de la cessation et les moyens pour y arriver », illustre-t-il.

Richard Messier veut cibler les fumeurs qui ont arrêté de fumer, poursuit-il, mais ces derniers ne représentent qu’une minorité des fumeurs. « La majorité d’entre eux n’en sont qu’au stade de la réflexion, c’est-à-dire qu’ils songent à arrêter, dit Mario Bujold. Or, c’est à eux que les messages contre le tabac s’adressent en priorité. »

« Les mises en garde sur les paquets de cigarettes n’ont pas été modifiées depuis 2001, ajoute Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. C’est donc normal qu’elles aient perdu une partie de leur effet dissuasif. Mais les recherches montrent que des mises en garde plus visibles et faisant appel à des témoignages d’ex-fumeurs, comme celles devant entrer en vigueur au Canada en 2012, auront un impact plus important. » Bref, pour elle, il ne faut pas changer radicalement les messages sur la nocivité du tabac, mais seulement les améliorer.

Cela dit, l’étude réalisée par Léger Marketing apporte plusieurs points positifs. « Elle va nous aider à mieux comprendre les fumeurs et, donc, à améliorer les messages pour les convaincre de cesser de fumer », ajoute Mario Bujold. Sans abandonner le discours sur les méfaits du tabac, cela pourrait mener à des spots publicitaires pour la ligne J’arrête qui débutent par « Vous voulez arrêter de fumer ou… vous venez de le faire? », afin de pousser encore plus de fumeurs à écraser.

On peut obtenir une copie de cette étude en écrivant à : prevention@quebec.cancer.ca

Cinq types de fumeurs

[Source : Léger Marketing, Étude sur les fumeurs au Québec : portrait et stratégies, juin 2011]

1) Optimiste (45,6 % des fumeurs)

123 cigarettes par semaine en moyenne (un peu plus d’un demi-paquet par jour)

99 % se disent très ou assez dépendants à la cigarette

89 % envisagent sérieusement d’arrêter

Accordent 8,3 sur 10 à l’importance d’arrêter de fumer et 5,9 sur 10 à leur capacité d’y arriver

2) Invétéré (18,4 % des fumeurs)

169 cigarettes par semaine en moyenne (un paquet par jour)

97 % se disent très ou assez dépendants à la cigarette

68 % envisagent sérieusement d’arrêter

Accordent 6,6 sur 10 à l’importance d’arrêter de fumer et 3,5 sur 10 à leur capacité d’y arriver

3) Modéré (13,8 % des fumeurs)

61 cigarettes par semaine en moyenne (environ huit par jour)

57 % se disent très ou assez dépendants à la cigarette

84 % envisagent sérieusement d’arrêter

Accordent 7,7 sur 10 à l’importance d’arrêter de fumer et 7,5 sur 10 à leur capacité d’y arriver

4) Occasionnel insouciant (12,5 % des fumeurs)

Moyenne de 4 cigarettes par semaine

3 % se disent très ou assez dépendants à la cigarette

74 % envisagent sérieusement d’arrêter

Accordent 7,4 sur 10 à l’importance d’arrêter de fumer et 9,1 sur 10 à leur capacité d’y arriver

5) Occasionnel conscientisé (9,7 % des fumeurs)

Moyenne de 15 cigarettes par semaine ou deux par jour

32 % se disent très ou assez dépendants à la cigarette

71 % envisagent sérieusement d’arrêter

Accordent 7,4 sur 10 à l’importance d’arrêter de fumer et 7,9 sur 10 à leur capacité d’y arriver

Anick Perreault-Labelle