Traiter plusieurs dépendances à la fois prévient les rechutes

On hésitait naguère à intégrer le tabagisme dans les programmes de traitement des toxicomanies, car on craignait un effet pervers. Des centres de réadaptation avaient même l’habitude d’offrir des cigarettes en guise de récompense pour un bon comportement, ou pour calmer un patient. Or, au Réseau de santé Horizon (RSH), établi au Nouveau-Brunswick, la réadaptation des alcooliques et autres toxicomanes va de pair avec l’abandon du tabac.

Depuis mai 2008, on ne peut fumer dans aucun local, ni à quel que endroit que ce soit sur le terrain extérieur du RSH à Saint John. Malgré l’accueil mitigé reçu par cette initiative, les résultats sont essentiellement positifs, aux dires de Kelly Evans, ancienne directrice de zone du programme sur les accoutumances et la santé mentale du RSH.

« Les personnes affectées de [plusieurs] accoutumances ont besoin qu’on traite tous les aspects de leur propension à la dépendance, a-t-elle expliqué dans un exposé présenté à la la conférence Approches cliniques – Nouvelles tendances en matière d’abandon du tabac, tenue à Ottawa les 22 et 23 janvier derniers. « Si on ne tient pas compte de la dépendance des patients à la nicotine, on les rend encore plus sujets aux rechutes qu’ils ne l’étaient », souligne Mme Evans.

Kelly Evans à la conférence d’Ottawa sur l’abandon du tabac, en janvier dernier

Ceux qui s’opposent à ce que l’on s’attaque à la dépendance au tabac lors d’un traitement de l’abus d’alcool ou d’une autre dépendance soutiennent que les clients ne veulent pas que l’on traite leur tabagisme, qu’une telle démarche rend plus stressant leur désir initial, soit cesser de boire ou de prendre de la drogue. Les interdictions de fumer ne feraient que « rendre plus misérables des personnes qui le sont déjà », en plus d’exiger du temps du personnel, de permettre l’émergence de conflits, et de se heurter à une faible motivation chez les patients.

Mais peut-on faire autrement? Dans une étude parue en 2008 dans le Harm Reduction Journal, une équipe de recherche, dirigée par Victoria Wapf, rapportait qu’à l’Hôpital psychiatrique universitaire de Zurich, les fumeurs sont presque trois fois plus nombreux parmi les patients traités à la méthadone qu’au sein de la population en général en Suisse. De plus, quatre patients sur cinq (78,6 %) sont touchés par la codé­pen­dance. Une telle prévalence de la codé­pen­dance est courante dans la clientèle de tous les types de programmes de réadaptation, selon Kelly Evans. Compte tenu des divers méfaits sanitaires du tabagisme, la dépendance au tabac est l’une des causes du haut taux de mortalité chez ce groupe de patients. Il faut donc y voir, souligne l’intervenante.

Au Québec, la Maison l’Alcôve, à Saint-Hyacinthe, a donné suite à une suggestion de Santé Canada d’intégrer la désaccoutumance au tabac aux programmes de réadaptation des alcooliques et autres toxicomanes. Une politique d’intervention appelée J’Tabac maintenant a été mise en place. Tabac, alcool, drogues, jeux de hasard et d’argent, un ouvrage publié par les Presses de l’Université Laval, dresse un portrait de l’intervention, amorcée en 2003. Le portrait figure dans un chapitre intitulé Intervenir sur le tabagisme en milieu de thérapie sur les dépendances à l’alcool et aux drogues.

« L’importance d’intégrer une politique de renoncement au tabac est liée à trois objectifs », explique Marc Caya, directeur des programmes à la Maison l’Alcôve. « D’abord, on cherche à aider le patient à cesser de fumer; deuxièmement, on veut l’informer sur les effets nocifs du tabagisme; enfin et surtout, on tient à lui montrer le lien néfaste entre le tabagisme et les autres substances psychotropes. »

Conséquence des politiques d’abandon du tabac : on constate que les clients auprès desquels on est intervenu au sujet du tabagisme ont été plus nombreux à s’être abstenus de prendre de l’alcool dans les 6 à 12 mois suivant leur traitement. C’est aussi ce qui ressort d’une étude menée par Prochaska, Delucchi et Hall, de l’Université de Californie. Publié dans le Journal of Consulting and Clinical Psychology en 2004, l’article examine l’efficacité des politiques d’abandon du tabagisme intégrées aux programmes de traitement de l’alcoolisme et autres toxicomanies, en faisant l’analyse documentaire approfondie de dix-neuf expériences d’intégration menées entre 1999 et 2003. Les chercheurs ont constaté que, chez les personnes ayant suivi une cure de désaccoutumance à l’alcool ou à une autre drogue, une augmentation considérable de l’abstinence à long terme était associée à la présence de mesures visant aussi l’abandon du tabac.

Pas de fumée, plus de demande

Des clients de partout au Nouveau-Brunswick demandent maintenant à se rendre à l’établissement de Saint John du RSH, justement parce qu’il offre un environnement sans tabac à une clientèle qui ne fume pas; et ils précisent désormais qu’ils souhaitent aussi soigner leur dépendance au tabac. Ils signalent en outre qu’ils se sentent davantage en sécurité, car ils n’ont plus à sortir seuls dans le noir, le soir, pour aller fumer dehors ou dans un fumoir isolé.

« Le secret consiste à utiliser la TRN de façon efficace. Comme nos clients sont tous dépendants de la nicotine, il est bien plus sécuritaire et facile de les sevrer progressivement de la nicotine plutôt que de les contraindre de cesser à froid », signale Kelly Evans dans une allocution intitulée Smoking Cessation and Policy Linkage in Challenging Situations, présentée à la conférence d’Ottawa. « Pour que le processus fonctionne, il nous faut du leadership et l’engagement de tous ceux qui sont touchés. »

Loto-Québec en ligne

Depuis juin 2006, les vidéopokers (situés dans les bars) sont sans fumée au Québec. Mais dès l’automne 2010, les amateurs pourront jouer en ligne, fumer et boire à domicile, à la suite de l’arrivée de Loto-Québec sur Internet (annoncée en février).

Joey Strizzi