Tous les arguments seront permis

Les avocats des fumeurs qui poursuivent Imperial Tobacco Canada, JTI-Macdonald et Rothmans Benson & Hedges, par l’entremise de deux recours collectifs, pourront utiliser tous les arguments qu’ils jugent appropriés pour tenter de prouver que les cigarettiers sont responsables des torts causés à leurs clients.

Dans une décision rendue le 2 mars, la juge Carole Julien, qui devait se pencher sur les moyens préliminaires (une étape précédant le procès), a statué qu’aucune affirmation ne devait être retranchée de leurs plaidoyers, du moins pour l’instant…

C’est plus d’une soixantaine d’allégations que les compagnies de tabac voulaient voir disparaître de l’argumentaire de chacun des groupes, sous prétexte qu’elles étaient « non pertinentes », imprécises ou basées sur du « ouï-dire ». Elles exigeaient également que la source de certaines déclarations soit révélée, ce qui leur aurait donné un accès immédiat aux expertises qui seront présentées en preuve. Mais la juge a préféré s’en tenir à l’échéancier établi.

« Les cigarettiers ont essayé par tous les moyens possibles d’aller chercher des éléments qui auraient pu leur donner un levier pour éviter d’avoir à se défendre sur certains aspects de notre requête introductive d’instance », a indiqué le directeur du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), Mario Bujold, dont l’organisme est responsable du recours des victimes de maladies causées par le tabagisme. La « requête introductive d’instance » constitue en quelque sorte le canevas des plaidoiries présentées lors du procès. Seuls les arguments qui y sont contenus pourront être amenés devant le tribunal.

Avocate au cabinet Lauzon Bélanger, qui défend les intérêts de ce groupe, Careen Hannouche se réjouit qu’aucune affirmation n’ait été radiée : « Ce jugement vient dire aux compagnies de tabac que notre recours est sérieux et qu’il s’appuie sur une preuve étoffée. »

Immunité controversée

Selon les cigarettiers, les déclarations de leurs représentants devant les comités du Parlement fédéral bénéficient de « l’immunité parlementaire », c’est-à-dire qu’on ne peut s’en servir contre eux. Toutefois, comme l’écrit la juge, les compagnies ont elles-mêmes fait référence à des segments de ces déclarations, lors de l’autorisation des recours.

Puisque la Cour d’appel fédérale devra bientôt déterminer qui peut se prévaloir de cette immunité – qui ne visait, de prime abord, que les députés et élus – la magistrate reporte sa décision d’utiliser ou non ces témoignages à une étape ultérieure.

Progression « satisfaisante »

Environ une fois par mois, les avocats et la juge se rencontrent pour discuter de l’avancement des travaux. Malgré la bonne volonté de chacun, les parties ne s’entendent pas toujours sur l’échéancier. Selon les avocats des fumeurs qui intentent les recours, la mise en état du dossier sera complétée en 2007. Selon ceux des fabricants, elle devrait être prolongée jusqu’au 30 octobre 2008, ce qui repousserait le début du procès à 2009.

Rappelons qu’en raison des nombreuses interventions des cigarettiers, il a fallu plus de six ans pour que ces recours soient autorisés, alors que généralement, un tel processus ne prend qu’une année ou deux. Même si la juge affirme, dans sa décision, que le dossier progresse d’une façon satisfaisante, le directeur du CQTS croit que les manufacturiers vont tout faire pour essayer de retarder les choses.

Requêtes rejetées

À l’automne dernier, les cigarettiers ont, encore une fois, tenté de bloquer les recours. Dans une requête en irrecevabilité datée du 17 novembre, Imperial Tobacco Canada a prétendu qu’elle ne devait pas être visée par la poursuite collective des victimes d’emphysème, de cancers du poumon, du larynx ou de la gorge, parce que le représentant de cette cause, Jean-Yves Blais, n’a jamais consommé les cigarettes qu’elle fabrique. Les avocats du recours sur la dépendance ont reçu une requête similaire de JTI-Macdonald qui prétextait que la porte-parole de ce groupe, Cécilia Létourneau, n’avait pas « l’intérêt requis pour poursuivre JTI-Macdonald » puisqu’elle n’a fumé que des cigarettes manufacturées par Imperial Tobacco Canada. Ces requêtes ont toutes les deux été rejetées.

Josée Hamelin