Six organismes réclament l’interdiction totale de la publicité

À la mi-décembre, six organismes impliqués dans la lutte antitabac ont réclamé du gouvernement fédéral qu’il interdise totalement la publicité du tabac. Leur sortie coïncidait avec le 10e anniversaire de la publication d’un plan directeur de Santé Canada préconisant entre autres cette mesure. « En ce qui concerne la publicité, on estime qu’une interdiction générale est la mesure la plus efficace pour atteindre les objectifs de la politique fédérale », indiquait ce document.

Au Canada, une loi bannit la plupart des publicités de tabac depuis avril 1997. Elle permet toutefois la publicité « informative » des marques de cigarettes dans les publications dont le lectorat est formé d’au moins 85 % d’adultes, dans les lieux interdits aux mineurs, et par des envois postaux destinés à une clientèle majeure. Les cigarettiers contestent cette loi devant les tribunaux, sous prétexte que sa formulation est si sévère qu’elle équivaut à une interdiction totale de leur publicité. Les groupes antitabac croient, au contraire, que la loi est si vague qu’elle pourrait ouvrir la porte à un important retour de la promotion des cigarettes. Les six groupes de santé requièrent du gouvernement fédéral qu’il mette fin à l’incertitude en bannissant clairement toute publicité du tabac, comme l’ont fait la France, la Pologne, l’Islande, l’Afrique du Sud et la Thaïlande.

Cour suprême

Rappelons qu’en septembre 1995, la Cour suprême avait rendu inopérantes de larges sections de la loi fédérale de 1988, laquelle bannissait théoriquement toute la publicité du tabac. Se basant sur une preuve étayée cinq ans plus tôt (en Cour supérieure du Québec), le plus haut tribunal au pays avait statué (à cinq contre quatre) qu’il n’était pas suffisamment démontré qu’une interdiction totale était nécessaire à la protection de la santé publique. Puis en 1996, le gouvernement canadien a rejeté la position du Plan directeur de Santé Canada, pourtant émise trois mois après le jugement de la Cour suprême. Par le dépôt d’une nouvelle législation (adoptée l’année suivante), il a préféré maintenir un espace restreint pour la publicité du tabac.

Selon Sally Brown, directrice de la Fondation des maladies du cœur du Canada, le gouvernement et ses alliés disposent maintenant d’études plus convaincantes qu’en 1990. « La preuve étudiée par la Cour suprême date de 15 ans. Elle ne constitue qu’une fraction de la justification actuelle d’une interdiction totale », considère-t-elle. En plus de l’accumulation des études démontrant le lien entre la prévalence du tabagisme et la publicité des cigarettes, les groupes soulignent deux développements majeurs. En décembre 2002, le juge André Denis, de la Cour supérieure du Québec, avait catégoriquement rejeté l’ensemble des contestations de l’industrie du tabac au sujet de la loi fédérale adoptée en 1997. Le magistrat a même évoqué qu’une interdiction totale de la publicité du tabac serait maintenant mieux défendable, à la lumière des éléments qui lui ont été exposés.

Convention-cadre

Sur le plan international, la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) requiert une interdiction totale de la publicité du tabac dans les cinq années suivant la ratification du pays adhérant, sauf si cela entre en contradiction avec la constitution de ce pays. Or, selon Cynthia Callard, directrice de Médecins pour un Canada sans fumée, cette obligation constitue un autre élément qui devrait conforter la Cour suprême en faveur d’une interdiction totale. « Au Canada, le seul obstacle qui empêche la Convention-cadre de l’OMS et la Cour suprême de protéger la santé publique, c’est la négligence d’Ottawa à renforcer ses lois sur le tabac », déclare Mme Callard. Ayant ratifié le traité mondial en novembre 2004, le Canada aurait donc jusqu’en 2009 pour bannir l’ensemble de la publicité du tabac, en admettant que sa constitution ne l’en empêche pas.

En plus de la Fondation des maladies du cœur et de Médecins pour un Canada sans fumée, les organismes qui pressent le gouvernement fédéral sont l’Association pour les droits des non-fumeurs, l’Association pulmonaire du Canada, la Société canadienne du cancer et le Conseil canadien pour le contrôle du tabac. Ils considèrent que la liberté d’expression garantie par la charte des droits canadienne ne s’applique pas à la publicité du tabac. Selon eux, le gouvernement devrait utiliser un renvoi devant la Cour suprême pour valider à l’avance un bannissement entier. Ottawa pourrait aussi légiférer à cet effet, en laissant l’industrie du tabac contester à nouveau la loi, laquelle se retrouverait vraisemblablement encore un jour devant le plus haut tribunal canadien.

Denis Côté