Santé Canada mettra fin aux cigarettes dites « légères »

Le gouvernement canadien entend bannir les appellations trompeuses sur les paquets de cigarettes, telles que « légères » et « douces ».

Le ministre de la Santé Allan Rock a dévoilé cette intention au congrès de l’Association médicale canadienne à Québec, le 13 août. Le ministre avait notamment déclaré, vers la fin de son allocution : « Ne nous trompons pas! Il n’y a rien de léger ou doux dans les mensonges de l’industrie du tabac. C’est pourquoi je réitère aujourd’hui mon engagement à tenir l’industrie responsable et je passerai à l’étape suivante. J’annonce aujourd’hui que nous proscrirons ces étiquettes trompeuses. » Le mécanisme, les normes et l’échéancier de cette interdiction restent à définir; un comité consultatif d’experts a remis ses recommandations à ce sujet à la mi-septembre.

Le ministre Rock avait tiré une première salve lors de la Journée mondiale sans tabac, le 31 mai dernier. Il rendait alors public une lettre envoyée aux fabricants de cigarettes leur proposant de retirer volontairement de leurs marques et de leurs paquets « tout élément descriptif qui prête à confusion comme légère, douce, spéciale, médium ». Cette demande était renforcée par une annonce pleine page publiée dans les quotidiens canadiens, titrée « Un défi pour l’industrie du tabac ».

La lettre de monsieur Rock rappelle que la mise en marché des cigarettes dites « légères » fut une manoeuvre de l’industrie pour que les gens croient, à tort, qu’ils peuvent commencer ou continuer à fumer en encourant moins de risques pour leur santé. Et, fait amusant, le ministre évoque cette citation datant de 1985 de l’actuel président d’Imperial Tobacco, Bob Bexon, alors au département de marketing : « Nous devons considérer les légères comme une option de rechange pour les fumeurs qui veulent soit arrêter de fumer, soit diminuer leur consommation. »

Aucune norme gouvernementale ou interne de l’industrie n’encadre l’utilisation des termes « légères » ou « douces », contrairement à ce qui prévaut dans les secteurs de l’alimentation ou de la bière. Les cigarettes légères d’une marque peuvent avoir des teneurs plus élevées en nicotine ou en goudron que les régulières d’une autre marque. De plus, la recherche a démontré que les fumeurs compensent souvent les teneurs inférieures (obtenues par des machines à fumer standard) en modifiant leur comportement, par exemple en prenant de plus fréquentes ou plus amples bouffées, en retenant davantage la fumée ou en bouchant les minuscules orifices de ventilation du filtre.

Seuls le Brésil et l’Union Européenne ont déjà interdit les termes rassurants; cette mesure est toutefois inscrite dans le projet actuel de Convention-cadre internationale pour la lutte antitabac.

65 % des fumeurs concernés

Les deux annonces de M. Rock, en mai et en août, furent amplement couvertes par les médias, puisque le changement prévu modifiera sensiblement le commerce des cigarettes et qu’il mettra fin à une tromperie persistante de l’industrie. Seulement 34 % des fumeurs canadiens achètent des cigarettes régulières, selon l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac réalisée l’an dernier pour Santé Canada; 42 % préfèrent des « douces » ou « légères » alors que 23 % se rabattent sur les « extra » ou « ultra douces » (ou « légères »). Les cigarettes aux termes rassurants ont donc la faveur de 65 % des fumeurs. Plus du quart des fumeurs des provinces anglophones (28 %) optent pour les appellations les plus apaisantes, comme les « ultra légères » ou les « extra douces », comparativement à seulement 12 % au Québec.

Position de l’industrie

Les deux principaux fabricants canadiens ont rendu public leurs réponses écrites au défi de Santé Canada. Le vice-président de Rothmans Benson & Hedges, Robert J. Carew, a écrit au ministre Rock le 16 août. Il indiquait notamment que des études ont conclu que les cigarettes à rendement moins élevé de goudron réduisaient le risque pour la santé, et d’autres avançant qu’un goût plus doux ne créait pas de confusion chez les consommateurs. En bref, RBH souhaitait maintenir les marques de type légères « tant que les recherches n’auront pas démontré que ces produits ne sont pas associés à une réduction du risque ». M. Carew suggère plutôt d’ajouter deux nouveaux messages de santé aux 16 existants, tel que « La cigarette sans danger n’existe pas ».

La position d’Imperial Tobacco est plus constructive. Elle est présentée par une lettre du président Bob Bexon, datée du 4 septembre et dévoilée 20 jours plus tard. Après avoir résumé les efforts de l’industrie pour discuter du problème des cigarettes légères avec Santé Canada, M. Bexon suggère au gouvernement de lui proposer un nouveau système d’information, ne reposant plus sur les qualificatifs « légères » et « douces » mais qui serait aussi efficace pour choisir les marques à apport réduit en goudron. Ce système devrait être standard pour l’industrie et être implanté dans un laps de temps suffisant pour éduquer les fumeurs.

Enfin, le géant canadien du tabac serait d’accord pour informer ses clients que la cessation totale est préférable pour la santé à l’usage des produits à apport inférieur de goudron. Il refuse toutefois d’indiquer que ces cigarettes, actuellement qualifiées de « légères », sont aussi nocives que les régulières. Autrement dit, Imperial Tobacco aimerait laisser entendre que l’adoption des cigarettes à apport inférieur en goudron représenterait toujours un choix sanitaire se situant entre les régulières et l’arrêt tabagique.

M. Bexon parle d’une part, d’un système adopté sur une base volontaire, mais d’autre part, d’un système standard pour toute l’industrie (canadienne). Il n’indique pas comment un tel standard pourrait être imposé à toute l’industrie… sur une base volontaire.

Appui de 70 % des Canadiens

Selon un sondage Environics dévoilé le 22 août par le Globe and Mail, 70 % des Canadiens, incluant 52 % des fumeurs, appuient le projet d’élimination des termes « légères » et « douces » sur les paquets. Concernant les nouveaux avertissements illustrés, 58 % des répondants les ont vus et parmi ceux-ci, 70 % les approuvent. « Apparemment, beaucoup de fumeurs veulent que le gouvernement fédéral leur donne une motivation définitive pour écraser. C’est encourageant de constater qu’ils veulent modifier leurs habitudes », a déclaré le vice-président du Groupe Environics, Chris Baker.

Notoriété d’Allan Rock

Plusieurs observateurs ont remarqué que cette bataille contre les cigarettes légères contribue à la notoriété d’Allan Rock en vue d’une éventuelle course à la chefferie du Parti Libéral. La même constatation un peu cynique fut faite, l’an dernier, lors de l’instauration énergique des nouveaux avertissements sanitaires sur les paquets. Quoi qu’il en soit, le milieu de la santé ne peut que se réjouir de cette motivation supplémentaire, démontrant que la lutte antitabac est un domaine porteur pour un politicien.

Juste sur le plan éducatif à court terme, les récents efforts de Santé Canada et ceux d’organisations spécialisées comme les Médecins pour un Canada sans fumée et l’Association pour les droits des non-fumeurs, ont contribué à faire comprendre la fourberie des appellations rassurantes. « Les fumeurs ont été bernés pendant 25 ans », titrait par exemple la une de La Presse du 30 mai, en préparation de l’annonce fédérale du lendemain. Aux nouvelles TVA, les plus écoutées au Québec, l’animateur vedette Simon Durivage admettait le 13 août, en amorce d’émission, avoir lui-même été trompé comme ancien fumeur de cigarettes légères.

Lorsque le mécanisme d’interdiction sera arrêté, Allan Rock aura alors une troisième occasion de faire la manchette au sujet de ces appellations trompeuses.

Denis Côté