Recours individuel débouté en Floride; poursuite des négociations pour un règlement global

Alors que le vent tourne de plus en plus contre les fabricants de cigarettes américains dans l’opinion publique et devant les tribunaux, R.J. Reynolds a tout de même réussi à tirer son épingle du jeu dans la très médiatisée cause Connor.

Jean Connor est morte d’un cancer du poumon en octobre 1995, à l’âge de 49 ans, après avoir fumé pendant plus de 30 ans. Sa soeur a engagé l’avocat Norwood Wilner, un spécialiste des poursuites civiles contre l’industrie, pour essayer d’obtenir des dommages et intérêts exemplaires de RJR.

La cause, qui a été entendue à Jacksonville en Floride, a été compliquée par deux facteurs. D’abord, la victime a changé de marque de cigarettes au moins 10 ans avant sa mort, et le fabricant de cette deuxième marque n’a pas été poursuivi.

Deuxièmement, elle n’a fait qu’une seule tentative sérieuse de cessation, quelques mois avant d’apprendre qu’elle avait un cancer – et cette tentative a été une réussite. L’avocat du fabricant pouvait donc plus facilement prétendre que la victime avait librement consenti au risque de cancer associé au tabagisme.

La question-clé dans ce procès semble avoir été d’ordre historique : la société R.J. Reynolds a-t-elle fait preuve de négligence en omettant au cours des années 50 et 60 d’avertir ses clients des dangers inhérents à ses cigarettes? Avec son verdict du 5 mai, le jury dans la cause Connor a répondu par la négative.

Impact mitigé sur les autres poursuites

La victoire de RJR dans la cause Connor ne devrait pas avoir d’effet important sur les poursuites civiles les plus significatives, celles engagées par les procureurs généraux de nombreux États. (Plus de la moitié des États américains ont maintenant entamé des procédures contre l’industrie.)

Dans ces poursuites, qui visent à récupérer les coûts des soins de santé reliés au tabagisme, l’épineuse question de la responsabilité individuelle des victimes devrait jouer beaucoup moins, puisqu’il s’agit de juger du tort causé aux finances publiques par les activités de marketing de l’industrie.

D’ailleurs, tout semble indiquer que les fabricants eux-mêmes sont loin de se donner gagnants. Les négociations en vue d’un règlement hors cour se poursuivent depuis quelques mois, et plusieurs des procureurs généraux impliqués dans ces pourparlers rapportent que l’industrie est prête à faire des concessions majeures.

Selon le Boston Globe du 6 mai, la dernière proposition de l’industrie comprend les éléments suivants :

  1. Un paiement de 375 milliards $ U.S. sur 25 ans en guise de compensation. (En pratique, d’après plusieurs observateurs, cela voudrait dire une hausse de prix de l’ordre de 0,50 $ le paquet.)
  2. Un système d’amendes proportionnelles au niveau du tabagisme juvénile – les marques les plus populaires auprès des adolescents seraient pénalisées.

Contrairement à la proposition présentée quelques semaines auparavant, les fabricants ne seraient pas protégés de toute poursuite ultérieure en retour du dédommagement versé aux États. Mais l’industrie cherche à obtenir une loi fédérale limitant le montant maximal de compensation à verser aux victimes individuelles.

Les chefs de file du mouvement antitabac américain sont divisés sur l’attitude à adopter face à la possibilité d’un règlement hors cour. Alors que Gregory Connolly, un pionnier de la réduction du tabagisme au Massachussetts, semble relativement optimiste, le professeur Stan Glantz de l’Université de Californie à San Francisco n’y voit qu’un piège.

Le danger, c’est que toute entente entre les fabricants et les États devra ensuite être entérinée par une loi fédérale – et au Congrès américain, l’industrie du tabac peut encore compter sur bien des alliés, entre autres à cause des millions de dollars qu’elle investit à tous les ans dans les caisses électorales de députés puissants.

Il y a donc un risque que les États cèdent la réelle possibilité de jugements s’élevant à plusieurs centaines de milliards de dollars en échange d’une loi fédérale que les fabricants promettraient de ne pas contester devant les tribunaux mais qui pourrait fort bien être diluée par les sénateurs et les représentants au point de ne plus présenter d’intérêt pour la protection de la santé publique.

Francis Thompson