Quoique bien respectée, la Loi sur le tabac demeure contestée par certains tenanciers de bars

Même si elle affiche un excellent taux de conformité, la Loi sur le tabac est toujours contestée devant la Cour supérieure par l’Union des tenanciers de bars du Québec (UTBQ) et son président, Peter Sergakis. L’association, fondée en mars dernier pour les besoins du litige, a déposé une demande d’injonction le 25 juillet, afin que l’interdiction de fumer dans les débits de boisson soit suspendue pendant les procédures judiciaires –injonction qui doit d’ailleurs être débattue incessamment.

Les inspecteurs du Service de lutte contre le tabagisme ont effectué 7 532 visites et remis seulement 30 constats d’infraction entre le 31 mai et le 16 juillet. « Cependant, 232 établissements ont été qualifiés de « milieux à risque », précise Nathalie Pitre, responsable des relations avec les médias au ministère de la Santé, c’est-à-dire que des délits y ont été observés par des aides-inspecteurs n’ayant pas le pouvoir d’émettre de constats d’infraction. » De plus, 179 avis de non-conformité, portant principalement sur l’affichage, ont été attribués.

Lors de la conférence de presse annonçant sa demande d’injonction, l’UTBQ a prétendu que la loi a fait chuter les revenus de ses membres d’environ 30 % et qu’elle a entraîné le licenciement de centaines d’employés. Or, un formulaire, disponible sur son site Internet, permet aux tenanciers de fournir des renseignements sur leurs pertes éventuelles. « Si vous prévoyez une fermeture causée par la nouvelle Loi sur le tabac », cochez ici, suggère une de ses directives. Bien que M. Sergakis ait qualifié de « sérieux » les chiffres présentés au cours de ladite conférence, Info-tabac – qui s’est fait montrer la porte juste avant la période des entrevues individuelles – n’a pas été en mesure de savoir si c’est de ce même questionnaire dont ils proviennent.

De son côté, le président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec (CPBBTQ), Renaud Poulin, estime qu’il est encore trop tôt pour mesurer le véritable impact de la Loi sur le tabac : « Jusqu’à maintenant, on a remarqué un déplacement de la clientèle vers les bars avec terrasse, mais c’est à l’automne, lorsque les fumeurs devront sortir à l’extérieur par temps froid, que le vrai test se fera. »

Selon lui, c’est surtout au niveau des revenus provenant des appareils de loterie vidéo que le bât blesse. La chute se situerait entre 12 et 15 % depuis le 31 mai. Pour ce qui est de la vente d’alcool, les membres de la CPBBTQ ont enregistré une baisse d’environ 6 %. M. Poulin précise cependant qu’il faut tenir compte de la diminution des ventes de boissons alcoolisées que connaît l’industrie des bars depuis les huit dernières années et du fait que l’été est habituellement une période plus creuse.

Par ailleurs, la Corporation n’a eu vent d’aucune fermeture d’établissement ni de mises à pied liées à l’entrée en vigueur de la loi. Invité à commenter l’écart qui sépare les pertes déclarées par l’UTBQ à celles compilées par son association, Renaud Poulin explique que les 700 membres qu’il a sondés ont été choisis de façon aléatoire. « Puisqu’elle incite les propriétaires insatisfaits à s’indigner contre la loi, il possible que l’UTBQ ne regroupe que des tenanciers ayant subi des pertes majeures, ce qui n’est pas représentatif de l’ensemble des bars », précise-t-il. Il ajoute que les gens ont souvent tendance à gonfler les chiffres lorsqu’on sollicite leurs impressions plutôt que leurs états financiers comparés à ceux de l’année précédente. À ce propos, M. Poulin évoque l’exemple de Terre-Neuve où les tenanciers de bars ont estimé que l’interdiction de fumer de juillet 2005 avait fait diminuer leurs ventes d’alcool de 15 à 20 % alors que leurs fournisseurs chiffraient la baisse à 6 %.

« Au Québec, je doute que les pertes reliées à la vente d’alcool s’élèvent à 30 %, signale le président de la CPBBTQ, parce que les grandes brasseries nous disent que leurs ventes ont reculé de 5 à 8 %. » Confiant de voir la situation s’améliorer, M. Poulin songe tout de même à solliciter une nouvelle rencontre avec le ministre de la Santé, Philippe Couillard, si ses prévisions s’avèrent inexactes.

Pour sa part convaincu que les bénéfices sociaux de la Loi sur le tabac dépassent largement les inconvénients qu’elle peut causer à certaines personnes, le ministre Couillard n’a pas l’intention de l’affaiblir. Lors d’un point de presse tenu le 8 août, il a indiqué que partout où des législations similaires ont été adoptées, il y a eu une période d’adaptation pour les bars mais que la situation s’est rétablie par la suite.

Poursuite en diffamationRenaud Poulin et la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec ont intenté une poursuite de 250 000 $ à l’endroit de Peter Sergakis et de l’Union des tenanciers de bars du Québec pour diffamation. On reproche à ce dernier d’avoir déclaré, sur plusieurs tribunes, que M. Poulin aurait été « acheté » par le ministère de la Santé et des Services sociaux pour une somme de 300 000 $. « En tenant ces propos mensongers publiquement, […] Peter Sergakis s’est attaqué directement, intentionnellement et malicieusement à l’honnêteté et à l’intégrité du co-demandeur Renaud Poulin et a fait supporter à celui-ci de même qu’à la […] CPBBTQ, un blâme public qu’ils ne méritaient aucunement », indique la requête. Bien qu’il ait manifesté son intention de se défendre, Peter Sergakis a refusé de commenter le dossier, lors de sa conférence de presse du 25 juillet.

Première rentrée sans fumée

Alors que la cigarette n’est plus permise dans les bars et les restaurants depuis près de trois mois, les commission scolaires québécoises vivent actuellement leur toute première rentrée sans fumée. Afin de prévenir l’adoption du tabagisme chez les jeunes et de les protéger de la fumée secondaire, Philippe Couillard a décidé de bannir l’usage du tabac du terrain des écoles primaires et secondaires lorsqu’il a révisé la Loi sur le tabac. Depuis le 1er septembre, il est interdit d’y fumer tant pour le personnel que pour les élèves, aux heures où ces derniers sont présents. De plus, fournir du tabac à un mineur dans les locaux et dans la cour de ces maisons d’enseignement est maintenant proscrit.

Une personne prise à fumer sur le terrain d’une école s’expose à une amende allant de 50 à 300 $. Pour les élèves, le montant maximal est fixé à 100 $. L’établissement où l’infraction est constatée doit, quant à lui, débourser entre 400 et 4 000$.

Selon l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire de 2004, c’est à l’école (lors des récréations et des pauses) et pendant la fin de semaine que les jeunes fument le plus. D’après la même étude, le milieu scolaire serait aussi propice aux échanges et à la vente de cigarettes entre fumeurs.

Il faut préciser que la Fédération des commissions scolaires du Québec en avait surpris plusieurs en se positionnant contre l’interdiction de fumer sur le terrain des écoles secondaires lors de la consultation (printemps 2005) qui a mené au renforcement de la loi. Préoccupée par la gestion générée par l’application de cette mesure, elle appréhendait plusieurs complications.

Afin de faciliter la transition, le ministère de la Santé et des Services sociaux a produit le Guide de mise en oeuvre d’une stratégie pour un terrain d’école sans tabac, destiné aux directions d’écoles et aux commissions scolaires. Il suggère notamment d’informer clairement les élèves, leurs parents et le personnel des nouvelles règles à suivre, mais aussi de les intégrer dans le processus d’implantation.

Par exemple, à l’école St-Marc-des-Carrières (près de Portneuf), une quinzaine de jeunes fumeurs ont revendiqué que des moyens de cessation soient mis à leur disposition. Puisqu’il n’existe actuellement pas de programme d’arrêt tabagique spécialement conçu pour les 12 à 17 ans, la direction a fait appel au CLSC qui – avec la Direction de santé publique de la Capitale-Nationale – les a informés et soutenus tout au long de leur démarche.

Quant aux cégeps et aux universités, la vente de cigarettes est maintenant proscrite à l’intérieur de leurs murs. De plus, l’usage du tabac y est interdit à l’extérieur, dans un rayon de neuf mètres des portes. Ces règles s’appliquent également aux centres d’éducation des adultes ainsi qu’aux centres de formation professionnelle.

Une « bonne chose » pour les restaurants

Puisque plusieurs d’entre eux avaient déjà banni la cigarette, l’interdiction de fumer a été bien acceptée dans les restaurants. L’Association des restaurateurs du Québec (ARQ), qui tâté le pouls de ses membres au début août, indique que 76 % d’entre eux considèrent l’entrée en vigueur de la loi comme une « bonne chose » et seulement 13 % comme une « mauvaise chose ». En 2003, 69 % étaient en faveur d’une interdiction totale de fumer dans les restaurants. Réalisé sur une base volontaire auprès de 538 propriétaires, le sondage actuel révèle que la loi a eu peu d’impact sur le chiffre d’affaires et l’achalandage des restaurants. D’ailleurs, le vice-président aux affaires publiques de l’ARQ, François Meunier, affirme ne pas vouloir revenir en arrière et assure que son association ne demandera pas de modification législative.

Josée Hamelin