Que faire avec les mégots?

Mégots

Non seulement les mégots de cigarette sont-ils considérés comme des déchets toxiques, mais ils représentent aussi l’un des détritus les plus courants, notamment sur les plages et sur les trottoirs. Que faire avec eux?

Tandis que la France veut obliger les cigarettiers à payer pour la collecte et la mise au rebut des mégots, certaines municipalités, dont Montréal, collaborent avec la compagnie américaine TerraCycle pour les recycler. Est-ce là de bonnes initiatives? Mais avant tout, pourquoi ce « petit déchet » dérange tant?

Petit mégot, gros déchet

Chaque année, environ 5700 milliards de cigarettes sont grillées sur terre et plus d’un million de tonnes de mégots sont jetés dans les rues. C’est beaucoup, beaucoup trop! En fait, selon l’Organisation mondiale de la Santé, jeter un mégot de cigarette au sol est un comportement polluant banalisé. Le problème est que de nombreux fumeurs pensent que les filtres sont biodégradables, alors qu’ils sont en acétate de cellulose, un type de plastique prenant au moins 10 ans pour se dégrader complètement.

Les filtres en plastique ont été inventés dans les années 1950 pour bloquer certaines toxines. Ils en ont toutefois augmenté d’autres en modifiant la façon dont le tabac brûle, tout comme ils incitent les fumeurs à aspirer plus fréquemment. Conséquence? Avec les cigarettes filtrées, le taux de cancer du poumon causé par le tabagisme sans filtre a diminué, mais le taux d’un autre type de cancer du poumon (adénocarcinome) a augmenté. Ainsi, les filtres n’améliorent pas la santé des fumeurs et aggravent l’environnement.

La lutte contre les mégots

Face au fléau environnemental qu’est le mégot, de nombreuses initiatives voient le jour. Par exemple, en décembre 2018, l’Union européenne s’est dotée d’une législation pour interdire les produits en plastique à usage unique les plus communs, dont les mégots de cigarettes. Selon cette législation, l’industrie du tabac devra prendre en charge une partie des frais de gestion et de nettoyage de ses déchets, ainsi que des coûts liés aux mesures de sensibilisation. L’alliance Rethink Plastic, qui regroupe des ONG pour un avenir sans plastique, voit d’un bon œil cette nouvelle responsabilité attribuée aux cigarettiers. Toutefois, elle critique le fait que ces derniers devront négocier leur contribution avec chaque État, par l’entremise d’accords volontaires. Ainsi, contribueront-ils autant qu’il est souhaité et souhaitable?

Le bras de fer se poursuit également au niveau étatique. En France, la secrétaire d’État auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire veut inscrire, dans la loi sur l’économie circulaire, un article obligeant notamment les cigarettiers à gérer leurs déchets. Selon le principe de la responsabilité élargie du producteur, les géants du tabac devront contribuer financièrement à la création d’un éco-organisme chargé de trouver des solutions pour collecter les mégots, et de mener des opérations de sensibilisation, de nettoyage et de recyclage. S’ils acceptent le principe, ils craignent une « taxe mégot » ainsi qu’une augmentation du prix du paquet de cigarettes. C’est pourquoi ils ont d’abord refusé de collaborer, estimant que c’était aux fumeurs délinquants de payer, au moyen d’amendes, par exemple. Cela dit, des associations environnementales comme GreenMinded demandent que le gouvernement français aille plus loin, en obligeant les cigarettiers à supporter la totalité du fardeau financier de la gestion des mégots.

Du côté de la Belgique, la région de Bruxelles a récemment demandé aux compagnies de tabac de régler les frais liés à la collecte des mégots, comme elles le font déjà en Flandre et se sont engagées à le faire en Wallonie. L’industrie a confirmé sa collaboration, mais les détails de l’entente restent encore à venir. Du moins, le premier groupe d’opposition bruxellois, le groupe MR, demande une résolution plus ambitieuse visant le recyclage des mégots, un processus exploité par des compagnies comme MéGo et TerraCycle.

TerraCycle : panacée ou supercherie?

TerraCycle est une entreprise américaine, experte dans le traitement des déchets dits « non-recyclables ». Créée en 2001 par Tom Szaky et Jon Beyer, elle a d’abord fait son nom en vendant des engrais. Elle s’est ensuite spécialisée dans la collecte et le recyclage de déchets comme des sacs de croustilles et des mégots de cigarettes. Les déchets collectés sont réutilisés, compostés, recyclés ou upcyclés (détournés de leur fonction originale). Pour leur part, les matières brutes des mégots de cigarettes sont récupérées pour être intégrées dans la fabrication de produits de plastique tels que des palettes et du mobilier urbain extérieur.

L’entreprise américaine TerraCycle
L’entreprise américaine TerraCycle noue des partenariats avec des municipalités, comme Montréal, afin de récolter et recycler les mégots.

Les programmes de recyclage sont financés par les compagnies participantes qui se disent soucieuses de l’environnement et de leur réputation! Le premier programme de recyclage des mégots a vu le jour en 2012, notamment avec les compagnies Santa Fe Natural Tobacco Co et Imperial Tobacco Canada. TerraCycle noue également des partenariats avec des municipalités afin d’apporter des solutions zéro déchet. À Montréal, le programme Mégot Zéro de la Société pour l’action, l’éducation et la sensibilisation environnementale de Montréal (SAESEM), en est un exemple. Le programme consiste à l’implantation de cendriers recycleurs sur les domaines public et privé. Les mégots recyclés sont ensuite envoyés à un entrepôt de TerraCycle. Éline Bonnemains, coordonnatrice du programme, souligne que la collaboration avec TerraCycle va bon train, et que l’entreprise fait un suivi régulier et une analyse fine des données de collecte des mégots.

Toutefois, il n’existe aucune donnée indépendante sur les activités de TerraCycle. Info-tabac a fait des démarches en ce sens afin de savoir, entre autres, qui vérifiait les opérations de la compagnie et quelle quantité de mégots était recyclée, mais en vain. Ce manque de transparence de TerraCycle est pour le moins inquiétant et démontre à quel point rien n’est parfait dans l’univers du recyclage. Il suffit également de penser à la récente saga des bouteilles de vin non consignées de la SAQ, qui rappelait que seulement la moitié du verre récupéré au Québec est recyclé, le reste se retrouvant dans des sites d’enfouissements…

De plus, bien que les activités de TerraCycle soient vues par certains comme une plus-value pour la planète, la compagnie a de nombreux détracteurs au sein des groupes de santé, de la communauté scientifique et d’organismes environnementaux. Les principales critiques sont :

  1. le plastique fabriqué à partir des mégots est de piètre qualité et nocif pour la santé
  2. produire des objets de plastique ne constitue pas une avancée environnementale
  3. il manque de données sur la viabilité et l’efficacité du processus de recyclage
  4. avec TerraCycle, l’industrie du tabac se donne une image pro-environnementale
  5. investir dans des campagnes de lutte contre le tabagisme est plus rentable que d’investir uniquement sur le plan environnemental, puisque moins il y a de tabagisme, moins il y a de problèmes de santé et de pollution.
Et la position de l’industrie du tabac dans tout ça?

Le principal discours de l’industrie du tabac est que les déchets de cigarettes appartiennent aux fumeurs. C’est pourquoi elle préfère de loin encourager, par exemple, l’utilisation de cendriers portatifs. Malheureusement, des études ont révélé que ces derniers sont peu utilisés, les fumeurs se disant notamment dégoûtés par leur odeur. L’industrie a également tenté de développer des filtres biodégradables, avec plus ou moins de succès…. De plus, il semblerait que les filtres biodégradables pourraient encourager les fumeurs à les jeter par terre!

Le mot de la fin… et la fin du mégot?

En somme, recycler les mégots, c’est bien beau, mais il n’en reste pas moins que le meilleur déchet est celui non produit. C’est pourquoi la pollution causée par les mégots est une autre bonne raison de cesser de fumer et de soutenir la lutte contre le tabagisme.

Catherine Courchesne