Quand les accords commerciaux nuisent à la santé

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La signature d’un nouveau traité de libre-échange pourrait compromettre l’adoption de futures mesures de lutte contre le tabagisme.

Ses négociations sont secrètes et il propose de restreindre le pouvoir réglementaire des États. Le Partenariat transpacifique (PTP) a bien des défauts. En fait, ce traité de libre-échange que le Canada s’apprête à signer en inquiète plusieurs, dont ceux qui luttent contre le tabagisme.

Le PTP (ou Trans-Pacific Partnership [TPP]) propose de créer un espace de libre-échange entre 12 pays côtiers du Pacifique, incluant le Canada, les États-Unis, le Pérou, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie, le Vietnam et Singapour. Cet accord négocié derrière des portes closes inquiète les groupes de santé publique pour plusieurs raisons. D’abord, il passe vite sur l’élimination des barrières tarifaires, devenues rares, et s’attaque plutôt à l’harmonisation des lois et règlements nationaux. Or, « cela réduit la marge de manœuvre des pays qui souhaiteraient renforcer leurs lois et règlements en adoptant une loi sur l’emballage neutre, par exemple », analyse Ashley Schram, doctorante en santé des populations à l’Université d’Ottawa, qui étudie les liens entre le commerce international et les maladies non transmissibles.

Des gouvernements doublement affaiblis

Du point de vue des groupes de santé publique, cet accord a un autre grand défaut. Pour régler les désaccords entre les États et les entreprises étrangères établies sur leur territoire, il propose un « règlement des différends entre investisseurs et États » (RDIE) (Investor-State Dispute Resolution [ISDR]). Ce mécanisme limite lui aussi la capacité d’action des gouvernements. « Il permet à une entreprise de poursuivre un État si certaines de ses actions – comme l’adoption d’une nouvelle loi – altèrent la valeur de son investissement ou de ses profits futurs », dit Ashley Schram.

C’est par la voie d’un tel règlement que Philip Morris International conteste, en Uruguay, une nouvelle loi imposant des avertissements de santé sur 80 % des emballages des produits du tabac. Même si le gouvernement gagne, ces procédures lui auront coûté des millions de dollars en frais d’avocat. Sans compter que cette bataille juridique servira d’avertissement à tous les États qui songent à adopter des lois plus sévères contre le tabac. « L’industrie le sait et utilise de plus en plus les accords commerciaux pour invalider les lois sur le tabac », dit Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer.

« L’industrie utilise de plus en plus les accords commerciaux pour invalider les lois sur le tabac. » – Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer

Urgent : exclure le tabac de l’accord

Pour éviter ces effets pervers, la Malaisie a proposé que le PTP exclue nommément l’industrie du tabac. Les cigarettiers, évidemment, ont protesté. Selon eux, cela pourrait mener à l’exclusion d’autres produits controversés, comme l’alcool ou les boissons sucrées. Cela n’est pas impossible. Mais le tabac diffère grandement de ces produits. D’abord, lui seul tue un usager sur deux lorsqu’il est utilisé tel que recommandé par le manufacturier. Le tabac est aussi le seul produit faisant l’objet d’un traité international, la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la Santé pour la lutte antitabac. La majorité des 12 pays qui négocient le PTP l’ont d’ailleurs tous signée ou ratifiée. Malheureusement, il y a peu de chances que la solution malaisienne soit retenue. « Néanmoins, il faut demeurer vigilant et s’assurer que le PTP ne nuise pas à l’adoption de nouvelles mesures de lutte contre le tabac », insiste Rob Cunningham. Des négociations à suivre de près.

Anick Perreault-Labelle