Quand le discours antifumée se fait attendrissant

Le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), tout en misant sur une formule de base déjà éprouvée ces dernières années, a décidé d’ouvrir plus grand que jamais les vannes de l’émotion pour la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac, du 18 au 24 janvier 2009.

Seize visages bien connus de la télévision québécoise, dans autant de courts métrages de trente secondes diffusés du 10 au 24 janvier sur huit chaînes de télévision, ont servi de saisissants appels personnels en faveur de la vie et de la santé, et contre le tabagisme. S’adressant à un interlocuteur hors champ et muet, qui est tantôt un parent décédé, tantôt un enfant bien vivant, tantôt un conjoint, une maman, un papa, un ami, toujours un proche, chacune des seize personnalités, sur le ton de la confidence ou de l’amitié, remercie, félicite, supplie ou salue l’être cher. Le message est livré avec un arrière-fond sonore de piano mélancolique. La séquence des images fait alterner les couleurs chaudes et les couleurs bleutées, tête parlante et visage songeur.

Jack Hackel, qui n’en est pas à ses premières armes en matière de publicité sociétale, a signé la série de capsules-témoignages, qu’il a réalisée avec la collaboration de Janette Bertrand, qui n’en est pas non plus à ses premières audaces télévisuelles.

L’émotion en renfort de la raison

Lors de la conférence de presse annonçant le lancement de la Semaine, le 15 janvier, le directeur national de la Santé publique du Québec, le Dr Alain Poirier, a déclaré avoir eu les larmes aux yeux en visionnant les seize capsules en rafale – et il n’était pas la seule personne à réagir ainsi dans la salle -, et il s’est réjoui que les sentiments viennent en renfort des statistiques pour faciliter le changement des comportements et prévenir les maladies. Devant la presse, le Dr Poirier a aussi réaffirmé à quel point les pouvoirs publics ne peuvent pas s’opposer efficacement aux méfaits sanitaires de la pollution de l’air sans reconnaître en premier lieu les immenses ravages de la fumée du tabac et chercher la réduction du tabagisme. Car même dans un monde pollué de mille façons, les non-fumeurs s’avèrent moins souvent souffrants et s’avèrent profiter plus longtemps de la vie que leurs concitoyens qui fument.

En plus de jouir du soutien financier du ministère de la Santé et des Services sociaux et de ses agences régionales, la campagne annuelle du CQTS pour un avenir sans tabac récolte l’appui, entre autres organismes, de six ordres professionnels du monde de la santé et de trois fondations charitables associées à la prévention des maladies et au financement de la recherche scientifique. La Semaine québécoise pour un avenir sans tabac profite aussi de l’engagement et du soutien sans cesse renouvelés de plusieurs télédiffuseurs.

Sous le thème « Parce que je t’aime, je veux t’offrir un monde sans fumée », le CQTS a aussi produit des affiches, des textes pour un journal d’entreprise, des cartes de vœux, des modèles de courriels et un bandeau promotionnel animé pour un portail internautique. La porte-parole de la Semaine, la comédienne Mireille Deyglun, a réinvité la population à exprimer son amour à des personnes qui ont cessé de fumer, qui ont essayé d’arrêter, qui n’ont jamais commencé, qui évitent d’exposer les autres à la fumée, ou qui encouragent les jeunes à ne pas commencer à fumer.

Les ados deviennent accros au tabac plus vite qu’on pensait

En plus de présenter des témoignages, le CQTS avait jugé bon, pour lancer la Semaine de 2009, de faire état des progrès récents dans la connaissance du tabagisme, et d’inviter pour parler de cela l’épidémiologiste Jennifer O’Loughlin, professeure au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal et chercheuse scientifique de renommée internationale.

La chercheuse québécoise explique que depuis la publication du rapport de l’hygiéniste en chef des États-Unis en 1994, l’histoire naturelle de la consommation de cigarettes chez une personne était souvent perçue comme une progression en cinq étapes : la préparation, durant laquelle l’intérêt envers le tabac est éveillé, l’essai, l’usage irrégulier, l’usage régulier, puis, après deux ou trois ans, une dépendance physiologique à la nicotine. « Notre étude révèle au contraire que les symptômes de dépendance à la nicotine, y compris les états de manque, apparaissent rapidement [rapidement après la première bouffée de fumée de tabac], bien avant la consommation hebdomadaire et quotidienne », affirme la professeure O’Loughlin, qui a observé depuis 1999 les habitudes de vie d’une cohorte de plus d’un millier de jeunes Québécois, lesquels commençaient cette année-là leur cours secondaire.

Après la première bouffée de fumée de cigarette, il faut en moyenne 2 mois pour que survienne la première inhalation, 5 mois pour éprouver la première envie de fumer et 12 mois pour éprouver les premiers symptômes d’un manque. Le nouveau fumeur fait ses premières tentatives sérieuses d’arrêter de fumer, après seulement 3 mois en moyenne, suivant la première bouffée de fumée, et commence à avouer son manque de confiance d’y parvenir, seulement 21 mois après la première bouffée.

La consommation par le jeune d’au moins une cigarette par semaine n’est atteinte en moyenne qu’au 19e mois, et la consommation d’au moins une cigarette par jour arrive au 23e mois. On peut lire ces résultats de recherche dans un article de J. O’Loughlin, A. Gervais, E. Dugas et G. Meshefedjian, paru en juillet 2008 sur le site internautique de l’American Journal of Public Health.

Le lancement de la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac a aussi permis à la professeure O’Loughlin de rappeler des faits maintenant établis rigoureusement et qui risquent d’intéresser hautement les ados et leurs parents : les filles qui fument ne profitent d’aucun effet amincissant; les garçons qui fument, en revanche, grandissent moins que les autres garçons.

Pierre Croteau