Pour un meilleur remboursement des TRN

Remboursement des TRN

Alors que le Québec veut réduire son taux de tabagisme de 8 % d’ici 2025, l’accès aux médicaments qui soutiennent la cessation tabagique demeure inadéquat. Des professionnels de la santé dénoncent la situation au nom de leurs patients.

Imaginez un médicament qui aide à traiter la première cause de maladie et de décès évitables, mais dont l’usage est limité par des politiques gouvernementales. Telle est la réalité des aides pharmacologiques à l’arrêt tabagique. Fin janvier, une cinquantaine de médecins généralistes, de médecins spécialistes, d’infirmiers et de spécialistes de la cessation tabagique ont dénoncé cette situation dans une lettre adressée à la Dre Lucie Opatrny, sous-ministre adjointe du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Leur réclamation? Que les règles de remboursement des aides pharmacologiques à l’arrêt tabagique tiennent compte des données probantes afin de mieux soutenir les fumeurs.

Un soutien efficace, des règles désuètes

Le counseling et les aides pharmacologiques constituent des aides inestimables pour se libérer de la nicotine. À elle seule, l’utilisation d’une thérapie de remplacement de la nicotine (TRN) ou du bupropion double presque la probabilité qu’un fumeur se sèvre du tabac, selon une méta-analyse publiée par Cochrane, en 2013; la varénicline triple quasiment cette probabilité! Le Québec a été l’un des premiers territoires nord-américains à rembourser ces médicaments et demeure aujourd’hui l’un des leaders canadiens dans ce dossier. Néanmoins, le programme québécois autrefois novateur est aujourd’hui désuet. Non seulement va-t-il à l’encontre des données scientifiques, mais il empêche l’utilisation optimale des médicaments et exacerbe même les inégalités sociales de santé. En fait, ce programme pourrait être jugé non éthique, estime la cinquantaine de professionnels de la santé et leur signataire principal, le pneumologue Sean Gilman, directeur du programme de cessation tabagique du CUSM. Est-ce le cas?

À elle seule, l’utilisation d’une thérapie de remplacement de la nicotine augmente de 84 % la probabilité qu’un fumeur se sèvre du tabac, selon Cochrane. Avec la varénicline, cette probabilité triple presque!

Aujourd’hui, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) rembourse les TRN et le bupropion pendant 12 semaines consécutives, une fois par année, à condition qu’ils soient prescrits par un professionnel de la santé. La varénicline est quant à elle remboursée pendant 24 semaines. De plus, si le fumeur interrompt son traitement une seule fois pendant cette période, il doit attendre une année complète avant que le même médicament lui soit de nouveau remboursé. Enfin, la RAMQ rembourse seulement les timbres, les gommes et les pastilles, laissant les inhalateurs et les vaporisateurs aux frais des patients.

Selon les signataires, il n’existe aucune autre classe de médicament prescriptible qui cesse d’être remboursée à moins que le patient l’utilise de manière ininterrompue pendant une courte période. Ils réclament donc que les TRN, le bupropion et la varénicline soient remboursés sans aucune restriction de fréquence ou de durée d’utilisation, ni de dose maximale de nicotine.

Les réalités de la dépendance au tabac

Cette demande correspond à la fois à la réalité des fumeurs et aux plus récentes données probantes. De fait, il faut en moyenne 30 essais pour se libérer définitivement du tabac, selon une étude canadienne récente. Or, au Québec, il est impossible d’obtenir le remboursement de la même aide pharmacologique plus d’une fois par année, alors « qu’il est de la plus haute importance de mettre à profit la motivation d’un fumeur à arrêter et de l’encourager à faire plusieurs tentatives au cours [d’une] année », écrivent les signataires. Il est aussi impossible de voir ces traitements remboursés plus de 12 semaines, même si un médecin le juge nécessaire. Enfin, les règles actuelles entravent l’adoption d’une nouvelle approche clinique qui requiert des durées de prescriptions plus longues puisqu’elle invite les fumeurs à utiliser des aides pharmacologiques tout en réduisant leur consommation de tabac.

Et que dire du prix des traitements! Une combinaison standard de TRN coûte environ 150 à 185 $ par mois, font valoir les signataires. Il va sans dire que les règles actuelles exacerbent les inégalités sociales de santé : elles nuisent particulièrement aux fumeurs moins nantis qui sont, paradoxalement, proportionnellement plus nombreux à dépendre du tabac. « C’est surtout cette iniquité entre nantis et défavorisés qui nous a poussés à écrire au Ministère », explique le Dr Gilman.

Soutenir les fumeurs : une économie pour l’État

En définitive, le Québec gagnerait à se laisser guider par les données probantes et à établir des règles plus souples. Comme le rappelle les signataires, les aides pharmacologiques à l’arrêt tabagique coûtent beaucoup, beaucoup moins cher que les soins apportés à une personne atteinte d’un cancer ou d’un accident cardiovasculaire. Le Québec amasse chaque année près d’un milliard de dollars grâce à sa taxe spécifique sur le tabac, mais ne consacre que 13 M$ au remboursement des TRN. « Étant donné que ce sont les fumeurs qui paient ces taxes, il est incompréhensible que le gouvernement les force à payer pour des traitements nécessaires à leur sevrage », conclut la lettre des experts.

À l’heure actuelle, le MSSS a chargé l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux d’examiner les données mises de l’avant dans la lettre. Il ne reste plus qu’à souhaiter une réponse rapide, au nom des 1,3 million de Québécois qui fument encore, et de leurs médecins.

Individualiser les traitements pharmacologiques
Le Dr Milan Khara
Le Dr Milan Khara n’hésite pas à individualiser le soutien pharmacologique qu’il apporte aux fumeurs, même si cela ne respecte pas les recommandations de Santé Canada.

Pour traiter la dépendance au tabac de ses patients, le Dr Milan Khara ne respecte pas toujours les recommandations de Santé Canada. Ce médecin, responsable médical de la Clinique de cessation tabagique de l’Hôpital général de Vancouver, ainsi que formateur des professionnels de la santé, a expliqué sa philosophie lors de la 11eédition de la Conférence annuelle d’Ottawa, en janvier.

« Sans aucune aide pharmacologique, 85 % des fumeurs reprennent le tabagisme au bout de huit jours, a-t-il rappelé. En revanche, les doses ou les durées de traitement recommandées par Santé Canada ne répondent pas nécessairement à leurs besoins. » Pour certains d’entre eux, le succès réside dans une plus forte dose de varénicline ou de l’ajout de ce médicament à des thérapies de remplacement de la nicotine (TRN). D’autres ont simplement besoin de prendre des TRN pendant plus de 12 semaines pour se libérer du tabac. « Plutôt que de les sevrer brusquement de leur TRN au bout de 12 semaines, sans se poser de question, c’est mieux de leur demander à quel point cette TRN leur a été utile, s’ils éprouvent encore de fortes envies de tabac et ajuster le traitement en conséquence », a expliqué le médecin. De même, réduire en vue d’arrêter est une approche qui convient à certains, mais qui est malheureusement sous-utilisée, a-t-il ajouté. « Certains fumeurs trouvent menaçant d’abandonner le tabac d’un coup sec, le jour où ils commencent à porter un timbre; leur demander de le porter en observant simplement ce qui se passe leur convient mieux », a-t-il dit.

En somme, les prescriptions hors norme sont utiles dans la lutte contre le tabagisme. En rédiger demande toutefois certaines précautions. « Il faut bien connaître les produits, baser ses décisions sur un rationnel médical et scientifique solide, et garder une trace de l’usage et des effets du médicament », a énuméré le Dr Khara. Tout cela pour le plus grand bien des patients.

Anick Labelle