Plainte contre les « légères » au Bureau de la concurrence

Des juristes et des professionnels de la santé ont joint leurs voix à celle de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), le 16 juin dernier, pour dévoiler le dépôt d’une plainte contre les trois principaux fabricants canadiens de cigarettes (Imperial Tobacco, JTI-Macdonald, Rothmans Benson & Hedges) auprès du Bureau de la concurrence du gouvernement du Canada.

Leur but? Interdire la mise en marché des cigarettes dites « douces » ou « légères ». Les plaignants souhaitent ainsi protéger la santé publique et empêcher une pratique commerciale qu’ils jugent frauduleuse.

Déplorant le fait que les deux tiers des fumeurs canadiens optent pour des marques aux appellations trompeuses, les requérants soutiennent que ces expressions induisent volontairement les consommateurs en erreur. « Lorsqu’il est appliqué à des aliments, breuvages ou boissons alcoolisées, le terme léger indique que ce produit contient nettement moins de calories, de gras, de sucre ou d’alcool que sa version régulière, explique dans un communiqué David Sweanor, avocat-conseil pour l’ADNF. En adoptant une marque légère, il est logique que les fumeurs s’attendent, eux aussi, à consommer moins des substances qu’ils désirent éviter. »

Selon le Dr Mary Jane Ashley, une des signataires de la plainte, les termes « légères » et « douces » ne donnent aux fumeurs aucun renseignement significatif quant à la quantité de goudron qu’ils inhalent. « Ceux qui adoptent une marque faible en goudron en croyant que ces cigarettes sont meilleures ou moins nocives que les marques régulières, sont victimes d’une fumisterie », déclare-t-elle.

« Une des différences existant entre les cigarettes ordinaires et les légères réside dans les trous microscopiques situés autour du filtre, lit-on d’ailleurs dans la plainte. Or, afin d’absorber la quantité de nicotine dont ils ont besoin, la plupart des fumeurs compensent en bouchant ces trous sensés diluer la fumée inhalée, ou en aspirant plus profondément ou fréquemment, ce qui rend ces cigarettes aussi nocives que les autres. »

« C’est dans les années 1970 que les appellations douces et légères sont apparues à l’échelle mondiale. À cette époque, Santé Canada a fait une grave erreur en demandant aux fabricants de réduire les taux d’émissions toxiques des cigarettes afin de les rendre moins nocives, explique Francis Thompson, analyste pour l’ADNF. Les compagnies ont alors profité de l’occasion pour tourner cette requête en campagne de marketing. Et aujourd’hui, elles allèguent que le gouvernement leur a demandé de produire de telles cigarettes. »

Selon la Loi sur la concurrence, nul ne peut promouvoir directement ou indirectement l’utilisation d’un produit en donnant au public des indications fausses ou trompeuses sur un point important. Dans le cas présent, suite à une enquête des pratiques des fabricants de cigarettes, le Bureau de la concurrence du Canada pourra, s’il y a infraction, porter des accusations civiles et/ou criminelles. « Au civil, la poursuite devra démontrer que la situation actuelle pose problème et qu’il est nécessaire de la corriger. Alors qu’au criminel, il faudra prouver que, dans les années 1970, les compagnies savaient que les cigarettes légères et douces n’étaient pas moins dommageables pour la santé que les cigarettes ordinaires », clarifie M. Thompson. Même si ce n’est qu’un hasard, il est intéressant de souligner que le Bureau de la concurrence est sous la responsabilité du ministre de l’Industrie, Allan Rock. Or, ce dernier, alors qu’il était ministre de la Santé en 2001, avait annoncé l’interdiction prochaine des appellations trompeuses.

Du côté des manufacturiers, Imperial Tobacco a promptement répliqué à la plainte, par un communiqué indiquant que le lobby antitabac « joue un jeu dangereux » en alléguant qu’il y a pratique frauduleuse. S’appuyant sur un document de 1998 aujourd’hui désuet, la compagnie prétend que Santé Canada a déjà attesté que les cigarettes à faible teneur en goudron pouvaient diminuer les risques de cancers du poumon. Imperial semble oublier que dès janvier 1999, ce même ministère émettait une mise en garde affirmant que « les produits du tabac dits légers ou doux présentent les mêmes risques de maladies débilitantes et mortelles que les autres types de produits du tabac ».

Soulignant que c’était, en partie, l’inaction du gouvernement fédéral qui les avait incités à agir ainsi dans ce dossier, les groupes de santé demeurent confiants de gagner leur cause. « En Italie, une plainte semblable a été déposée en avril 2002 et à peine 6 mois plus tard, les compagnies étaient déclarées coupables, conclut M. Thompson. On espère que dans notre cas, cela se passera aussi rapidement ».

Josée Hamelin