Ottawa devient une ville sans fumée

Créée en janvier dernier de la fusion de onze municipalités, la nouvelle ville d’Ottawa vient d’interdire le tabagisme dans tous ses lieux publics, incluant les restaurants, les bars, les salles de bingo et les clubs privés, dès le 1er août 2001. L’administration du maire Bob Chiarelli se devait de faire son nid rapidement sur ce sujet, puisque la plupart des villes fusionnées avaient déjà adopté des règlements bannissant le tabac dans leurs restaurants pour le 31 mai 2001, certaines incluant aussi leurs bars.

À la suite d’une vigoureuse campagne d’appui, menée notamment par les services de santé publique d’Ottawa et son médecin hygiéniste en chef, le Dr Robert Cushman, le conseil municipal a, le 25 avril, unanimement opté pour l’interdiction rapide et complète. Rappelons que lors des élections de novembre 2000, une coalition antitabac avait placé des annonces dans des journaux, recommandant des candidats en faveur de l’air pur, dont le futur maire Chiarelli.

Le département de marketing et des communications de la ville d’Ottawa a lancé, le 14 mai, une importante campagne pour « encourager la communauté à soutenir Ottawa sans fumée et à en profiter ». Fait cocasse, ce département est dirigé par Marie-Josée Lapointe, auparavant porte-parole du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac!

Comportant maintenant 790 000 habitants, la capitale canadienne suit l’exemple de la région de Waterloo, à l’ouest de Toronto, qui interdit l’usage du tabac dans tous ses endroits publics depuis le 1er janvier 2000. Incluant principalement les villes de Kitchener et de Waterloo, cette région avant-gardiste regroupe 418 000 habitants. L’administration d’Ottawa a bien étudié l’expérience de ces deux villes, en particulier pour neutraliser la résistance prévisible des tenanciers et des clients de bars. Une bataille judiciaire est d’ailleurs déjà entamée.

Restaurants torontois

La ville de Toronto fait aussi un pas de géant dans la protection des non-fumeurs. Depuis le 1er juin, elle interdit le tabac dans ses restaurants, sauf pour les sections fumeurs cloisonnées et ventilées, lesquelles ne peuvent pas excéder 25 % des places. En principe les bars ne doivent pas, eux non plus, disposer plus de 25 % de places fumeurs, mais l’érection des cloisons n’y sera obligatoire qu’au 1er juin 2004. Les salles de bowling s’intègrent dans l’étape actuelle, avec les restaurants, tandis que les salles de billard partagent l’échéancier des bars.

Deux régions voisines de Toronto, celles de Peel et de York, ont adopté une réglementation presque identique. Signalons que la vaste majorité des restaurateurs de région métropolitaine optent pour des aires totalement sans fumée, ne voulant pas débourser pour des sections fumeurs fermées. Y compris ceux d’Ottawa, près de 5 millions d’Ontariens additionnels auront donc droit à la restauration sans fumée dès cet été.

Colombie-Britannique

La protection des non-fumeurs dans le secteur de la restauration a jusqu’ici été privilégiée surtout en Ontario et en Colombie-Britannique. Dans cette dernière province, le Workers’Compensation Board, l’équivalent de la CSST au Québec, vient d’adopter un règlement, entrant en vigueur le 10 septembre 2001, qui étendra aux restaurants et aux bars l’interdiction de fumer déjà établie dans les autres lieux de travail. L’usage du tabac sera limité aux locaux fermés et ventilés, dont les employés en devoir n’ont accès qu’en cas d’urgence ou lorsque la fumée y est totalement retirée (donc pas de service aux tables). Pour leur part, les villes de Victoria et de Vancouver avaient déjà banni le tabac dans leurs restaurants et dans leurs bars, à l’instar de la Californie.

Des progrès sont aussi visibles en Alberta. À Edmonton, depuis le 1er mai, les restaurateurs doivent choisir entre, soit bannir totalement le tabac, soit interdire la présence des mineurs. En outre, les établissements fumeurs, pour adultes, doivent désigner au moins 50 % de leurs places comme étant « non-fumeurs ». Plus de 85 % des restaurants ont opté pour un environnement sain, accueillant pour toute la famille. Constatant que cette politique a aisément satisfait les restaurateurs et leurs clientèles, la ville de Calgary envisage de partager cette ligne indulgente, laquelle entraîne quand même une amélioration pour la grande majorité des usagers. Terre-Neuve a également choisi cette voie : à compter du 1er janvier 2002, tous les endroits publics accessibles aux mineurs devront bannir le tabagisme.

Implications au Québec

L’émergence des restaurants et des bars sans fumée au Canada anglais peut donner l’espoir aux Québécois d’avoir accès à des lieux similaires avant les échéances prescrites par la loi (décembre 2009 pour les sections fumeurs cloisonnées dans les restaurants; rien de prévu pour les bars). Interrogé par la Presse canadienne, le maire de Hull, Yves Ducharme, croit que tôt ou tard, la vague antitabac atteindra le Québec, « d’ici deux ou trois ans, peut-être avant ». Pour sa part, le conseiller municipal Claude Bonhomme souhaite que cette ville, voisine d’Ottawa, puisse obtenir de Québec le droit d’interdire le tabac dans ses bars et ses restaurants, de manière à éviter une invasion de fumeurs ontariens. Comme on le sait, les municipalités québécoises ont perdu ce pouvoir avec l’adoption de la Loi sur le tabac, en juin 1998.

L’éventualité d’exempter Hull ne sourit guère au ministère de la Santé du Québec, qui n’a « absolument pas l’intention, pour l’instant, de modifier la loi à cet effet », a indiqué l’agente d’information Dominique Breton, après consultation auprès du cabinet de la ministre Maltais. Pourtant, un sondage Ad Valorem, mené en mars pour le compte de la station CJRC auprès de 500 résidents de l’Outaouais, révèle que 58 % d’entre eux étaient en accord avec la réglementation d’Ottawa; 56 % favorisaient de semblables restrictions pour leurs propres municipalités québécoises.

Un autre sondage, effectué cette fois en avril à la demande du Ottawa Sun, auprès de 427 résidents d’Ottawa, indique que 32 % de ceux-ci iront plus souvent dans les restaurants et les bars après l’interdiction de fumer, 54 % aussi souvent et 9 % moins souvent. « Ce sondage démontre qu’il y a là un large marché qui n’était pas exploité. Voilà donc de belles possibilités d’affaires pour ces commerces », a déclaré le conseiller Alex Munter du quartier de Kanata, à Ottawa.

Denis Côté