Orienter les fumeuses enceintes vers les TRN

« Je suis tout à fait à l’aise de dire à mes patientes de porter un timbre de nicotine ou de s’acheter de la gomme », affirme le Dr Greg Davies, titulaire de la Chaire de médecine foeto-maternelle de l’Université Queen’s, située à Kingston, en Ontario.

Le professeur de médecine et clinicien ajoute que « la chose n’est pas du tout indiqué sur les modes d’emploi pour l’instant. Ce n’est néanmoins qu’une question de temps pour que s’établisse un consensus quant aux avantages de la thérapie de remplacement de la nicotine (TRN) comparativement à ses risques ».

JOEY STRIZZI

Lors d’un exposé présenté en janvier à la Deuxième conférence annuelle d’Ottawa : Approches cliniques – Nouvelles tendances en matière d’abandon du tabac, le Dr Davies a émis l’avis que la nicotine médicinale est beaucoup moins nocive que la fumée du tabac, d’où l’intérêt de rendre les TRN disponibles aux femmes enceintes.

Les inquiétudes suscitées par une thérapie de remplacement de la nicotine durant la grossesse s’expliquent par le caractère tératogène de la nicotine en tant que telle et par des interrogations sur la corrélation entre la TRN et certaines anomalies congénitales, dont les becs-de-lièvre et l’atrophie des membres. Or, le Dr Davies est d’avis qu’on ne dispose d’aucune preuve concrète de relation de cause à effet et que, le cas échéant, les risques seraient minimes comparativement aux risques de la fumée et aux avantages du recours à la TRN. Il n’est pas le seul à penser de la sorte.

Déjà, en 1999, l’Ontario Medical Association publiait une déclaration de principes suggérant de recourir aux thérapies de désaccoutumance au tabac pour aider les femmes enceintes qui ne parviennent pas à y renoncer sans aide. L’association affirmait que le timbre de nicotine et la gomme étaient moins dangereux que la cigarette pour la santé de la future mère et de son fœtus.

Entre-temps, à partir de janvier 2008, Santé Canada, qui s’était jusqu’à alors prononcé contre le recours à la nicotine médicinale par les femmes enceintes, a assoupli sa position après avoir examiné le résultat des recherches de Neil Benowitz et de son équipe en 2000, puis de Benowitz avec Dalia Dempsey en 2001, recherches dont les conclusions encouragent le recours à la TRN par les « femmes enceintes incapables d’arrêter de fumer, après douze semaines de grossesse, afin de réduire les dommages que pourrait causer à la mère et au fœtus l’inhalation de fumée. » Il semble cependant que bon nombre de professionnels de la santé au Canada continuent d’hésiter à recommander une TRN à une femme enceinte.

Selon l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada publiée en 2008 par Statistique Canada, approximativement 8,8% de femmes canadiennes ayant eu une grossesse dans les cinq années précédentes avaient fumé pendant cette grossesse, et ce taux atteignait 22% chez celles qui avaient de 20 à 24 ans.

Au Québec, la situation est pire, puisque 27,6 % des femmes enceintes entre 2004 et 2009 ont fumé au cours de leur grossesse. Selon l’Institut de la statistique du Québec, 87 600 enfants sont nés au Québec en 2008 et 40 % des nouveau-nés sont exposés aux effets nocifs du tabac, ce qui accroît les risques de maladies de plus de 35 000 bébés.

Les risques du tabagisme durant la grossesse

Les études passées en revue par le Dr Davies, lors de son allocution à Ottawa intitulée Smoking Cessation Strategies in Pregnancy, démontrent qu’il y a deux fois plus de risques de fausse couche, d’obésité infantile, de mortinaissance et de grossesse ectopique, et un risque triplé de problèmes de placenta prævia ou d’hyperactivité avec déficit de l’attention (TDAH), quand la mère fume durant la grossesse. Le risque de mort subite du nourrisson (MSN) est huit fois plus élevé, selon le Dr Davies.

Les naissances prématurées sont plus fréquentes chez les mères qui fument ou qui exposent leur fœtus à la fumée secondaire, et ces bébés pèsent 250 g de moins que ceux dont la mère est non fumeuse. Leur poids peut d’ailleurs être jusqu’à 350 g inférieur si la mère fume plus de 20 cigarettes par jour, souligne encore Greg Davies. Ce dernier mentionne qu’il est également plus courant de voir un risque de complications placentaires, ainsi que des problèmes neurologiques ou de cancérogenèse trans­pla­centaire, dans les cas où il y a tabagisme durant la grossesse.

Avantages de la TRN

« La TRN permet d’éviter les fortes doses de nicotine de même que la présence de 4 000 autres composés nocifs compris dans la cigarette, affirme le Dr Davies. En conséquence, elle présente des avantages évidents à mes yeux. » Selon ses recherches, les risques accrus disparaissent presque totalement si la femme cesse de fumer dans le premier trimestre de sa grossesse. Une étude intitulée Nicotine Gum for Pregnant Smokers: a Randomized Controlled Trial publiée dans la revue Obstetrics and Gynaecology en 2008 par l’équipe de la Dre Cheryl Oncken, constate que les fumeuses qui ont recours à la gomme à mâcher à la nicotine durant la grossesse fument en moyenne huit cigarettes de moins par jour, d’où une augmentation de 250 g du poids du bébé à la naissance, de même qu’une amélioration de près d’une semaine complète de l’âge gesta­tionnel. Or, il s’agit là de deux importants paramètres servant à prévoir le bien-être néo-natal.

Étude danoise en renfort

Analysant les données recueillies à l’échelle nationale, la Dre Katrine Strandberg-Larsen et ses collègues de la Syddansk Universitet, à Copenhague, ont compilé l’information sur le recours à la TRN et le tabagisme liée à 87 032 grossesses uniques. En tout, 2 % des femmes ont affirmé avoir eu recours à un moment donné à la nicotine de remplacement durant leur grossesse. De ce nombre, 14 % n’ont pas fumé pendant la totalité de leur grossesse, 30 % ont cessé de fumer en cours de grossesse, et 56 % ont continué de fumer (mais pas toujours autant).

Sur l’ensemble des 87 032 grossesses, on a assisté à 495 cas de mortinais­sance, dont seulement 8 chez des utilisatrices de TRN. Les mères qui ont utilisé une TRN présentaient un risque 43 % moindre de mortinaissance, une fois les autres facteurs de risque pris en compte. Même chez les mères qui ont continué de fumer tout en recourant à la nicotine médicinale, le risque a été réduit de 17 % par comparaison aux fumeuses qui n’ont utilisé de TRN à aucun moment.

En comparaison, les fumeuses qui n’ont pas eu recours à la TRN durant la grossesse présentaient un risque 46 % plus élevé d’avoir un bébé mort-né que les fumeuses qui ont eu recours à la nicotine médicinale. « En fin de compte, le meilleur avis à donner à une femme enceinte est de cesser de fumer, mais si elles sont incapables [de se priver de nicotine], je recommanderais alors d’utiliser des TRN », conclut le Dr Davies.

Joey Strizzi