On mange et on boit sans fumée à Ottawa

Malgré quelques grincements de dents fort prévisibles de la part de certains fumeurs et de plusieurs tenanciers de bars, l’interdiction totale de fumer dans tous les endroits publics se déroule très bien à Ottawa.

Dès le 1er août, date d’entrée en vigueur du règlement, tous les restaurants et la plupart des bars ont retiré les cendriers, leurs employés rappelant la consigne aux rares fumeurs fautifs. Quelques établissements licenciés ont toutefois attendu la fin de la période de clémence, le 4 septembre, pour se conformer aux directives.

En revanche, environ 200 commerçants, regroupés sous le vocable de Pub and Bar Coalition of Ontario (PUBCO), s’opposent au règlement en Cour, alléguant que la municipalité outrepassait ses compétences en interdisant totalement de fumer. Fin août, en première instance, le juge Gérald Morin a rejeté cette requête en donnant raison à la municipalité; un représentant du gouvernement de l’Ontario avait d’ailleurs témoigné en faveur du règlement. « Ce jugement n’est pas important seulement pour la ville d’Ottawa, a déclaré le maire Bob Chiarelli. Il aura un impact à travers le pays. Nous avons établi un précédent qui aura des retombées. »

Quant au Dr Robert Cushman, médecin hygiéniste en chef d’Ottawa, il a dû intervenir régulièrement dans les médias, soulignant les méfaits de la fumée de tabac, surtout chez les personnes les plus exposées comme les employés de bar. À l’opposé, des tenanciers ont répété qu’il valait mieux des employés enfumés que des employés au chômage. Selon un avocat du PUBCO interrogé par le Toronto Star, les bars d’Ottawa auraient perdu en moyenne 16 % de leur chiffre d’affaires depuis le 1er août. Côté restauration par contre, tout est au beau fixe, l’association locale ayant même appuyé le règlement municipal. D’après un sondage de Corporate Research Group réalisé en août, 58 % des citadins étaient en faveur de cette interdiction complète (37 % contre, 5 % sans opinion), comparativement à 46 % en avril.

Du 4 septembre au 4 octobre, les huit inspecteurs n’ont émis qu’une cinquantaine de contraventions, 97 % des établissements se conformant au règlement. Une vingtaine de petits bars de quartier permettraient encore le tabac, selon Linda Anderson du service municipal des inspections.

Intérêt à Gatineau

Ayant bénéficié des conseils du Dr Cushman, la commission municipale Hull en Santé souhaiterait que le progrès accompli à Ottawa puisse traverser la rivière et créer une brèche au Québec. Cependant, outre une prévalence supérieure à celle d’Ottawa, ce projet fait face à deux obstacles importants. D’abord, la ville de Hull fusionnera avec quatre municipalités au 1er janvier 2002 pour former une cité d’environ 225 000 habitants, du nom de Gatineau; toute proposition doit donc attendre l’arrivée de la future administration. De plus, Gatineau devra éventuellement obtenir un amendement à la loi québécoise sur le tabac qui, depuis 1998, enlève aux municipalités le droit de réglementer son usage, contrairement aux autres provinces.

Rappelons qu’au Québec, à compter du 17 décembre prochain, les nouveaux restaurants, ou ceux rénovés à plus de 50 %, devront cloisonner et ventiler leur section fumeur (d’un maximum de 40 % des places) s’ils tiennent à en offrir une.

Ailleurs au pays

À l’autre bout du pays, les tenanciers ruraux de bars et de restaurants de Colombie-Britannique ont pour leur part réussi à faire retarder l’entrée en vigueur de l’interdiction provinciale de fumer dans ce type d’établissements, du 10 septembre 2001 au 30 avril 2002. D’ici là, une commission formée de cinq députés reconsidérera la pertinence du règlement du Workers’Compensation Board. C’était la première fois en 70 ans que le gouvernement renversait un règlement du WCB. Ce recul a été fortement critiqué dans les milieux de la santé et dans les médias.

À Calgary le 1er octobre, le Conseil municipal a refusé la proposition d’imiter le règlement déjà en place à Edmonton, soit l’interdiction de fumer dans les restaurants accessibles aux personnes mineures. À l’approche des élections, le Conseil a décidé de simplement prohiber la présence d’enfants dans les sections fumeurs (pas nécessairement cloisonnées), cela à compter du 1er janvier. En été 2002, les futurs élus devront réévaluer cette politique qui a choqué les organismes de santé.

Selon une compilation de la Société canadienne du cancer, 39 villes ou régions canadiennes interdisent déjà de fumer dans leurs restaurants dont 21 dans leurs bars. Les provinces les plus avancées sont la Colombie-Britannique et l’Ontario. « Il est de plus en plus facile d’adopter ce genre de règlements. C’est pourquoi on assiste à un effet boule de neige. Dans un proche avenir, tous les Canadiens auront des lieux de travail sans fumée », estime Rob Cunningham de la Société.

Denis Côté