Milieux de travail sans fumée – une mesure qui demande de la préparation

C’est fort probablement en milieu de travail qu’on retrouve les conflits les plus aigus sur la question de respect entre fumeurs et non-fumeurs. Les non-fumeurs peuvent à la limite éviter les bars et les restaurants si la boucane les dérange; les fumeurs parviennent sans trop de difficulté à se passer de cigarettes le temps d’un déplacement en métro ou d’une soirée au cinéma.

Mais dans les bureaux comme dans les usines, l’enjeu est beaucoup plus important, d’un côté comme de l’autre. Pour le fumeur, l’adoption d’une interdiction généralisée de fumer au travail est parfois vécue comme une remise en question douloureuse de sa dépendance à la nicotine, voire même une atteinte à son intégrité personnelle.

Pour le non-fumeur qui vit des symptômes désagréables à cause de l’exposition à la fumée secondaire (irritation des yeux, maux de tête, problèmes respiratoires, etc.), ou qui s’inquiète des conséquences à long terme sur sa santé (risques plus élevés de cancer et de problèmes cardiaques), le comportement des fumeurs peut être perçu comme une provocation.

Bien que les inquiétudes des non-fumeurs l’emportent de plus en plus souvent, entre autres à cause des recherches récentes sur les effets nocifs de la fumée de tabac dans l’environnement, les employeurs qui pensent régler la question rapidement et facilement en interdisant complètement la cigarette dans leurs établissements avec quelques jours de préavis risquent de plonger leur entreprise dans la discorde.

C’est la conclusion la plus importante à ressortir d’un déjeuner conférence pour les gestionnaires et professionnels de la santé tenu à Montréal à l’occasion de la Semaine québécoise sans fumer.

La conférence, organisée par la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux de Montréal-Centre en collaboration avec les Professionnels en ressources humaines du Québec, a démontré l’importance d’une implantation soigneusement préparée de politiques sur l’usage du tabac en milieu de travail. Ainsi, plusieurs gestionnaires ont avoué être venus s’informer parce qu’une interdiction hâtive et mal expliquée avait provoqué beaucoup de frictions dans leur entreprise entre fumeurs et non-fumeurs.

La question juridique est réglée

Le Québec est en retard sur bien des états américains et des provinces canadiennes dans l’adoption de lieux sans fumée. Néanmoins, de l’avis de Me Gilles Lavallée, avocat à Alcan et l’un des conférenciers, la plupart des questions légales entourant les interdictions de fumer au travail ont déjà trouvé réponse dans la jurisprudence québécoise.

L’employeur n’a pas le droit d’imposer des interdictions de fumer dans le but de protéger les employés fumeurs contre eux-mêmes, puisque la liberté individuelle comprend le « droit de porter atteinte à sa propre intégrité ». Le but des politiques sur l’usage du tabac doit donc être la protection des droits des autres employés – plusieurs lois obligent l’employeur à protéger la santé de ses travailleurs.

L’interdiction totale de fumer au travail semble jusqu’ici résister à toute contestation judiciaire; dans plusieurs cas on a rejeté des griefs qui prétendaient qu’il y avait là une forme de discrimination contre les fumeurs.

Par contre, selon un avis de la Commission des droits de la personne, le refus d’embaucher un fumeur à cause de sa dépendance, tout comme la tentative d’imposer une interdiction de fumer en dehors du travail, risque d’être jugé discriminatoire. (Aux États-Unis, plusieurs employeurs préfèrent embaucher des non-fumeurs dans le but de ne pas voir augmenter leurs primes d’assurance-maladie.)

L’importance de la communication

Plusieurs intervenants ont souligné l’importance de s’attaquer au problème de la fumée plutôt qu’aux fumeurs. La cigarette en milieu de travail est une question de santé et sécurité au travail et non pas une question de morale, a constaté Louise Roberge, qui est cadre chez Air Liquide et a participé à l’implantation d’une interdiction totale en 1996.

Pour que ce message central passe bien, il est important de le répéter souvent, si possible de plusieurs façons différentes, suggère Louise Labrie, conseillère en promotion de la santé à la Direction de santé publique Montréal-Centre. Une période de consultations ou même un sondage auprès des employés peuvent contribuer grandement à une transition en douceur vers des lieux sans fumée.

En tout cas, il est important d’annoncer toute nouvelle politique longtemps à l’avance, oralement et par écrit, avec une date d’entrée en vigueur précise.

Dans plusieurs entreprises, on a choisi de procéder par étapes en créant quelques zones où la cigarette est encore permise pendant une période transitoire. Pour ceux qui fument beaucoup, une telle mesure permet une adaptation moins brusque à l’idée de la « pause-cigarette ».

Car si l’interdiction de fumer au travail a tendance à diminuer l’absentéisme pour cause de maladie, il peut y avoir une baisse dans le rendement des fumeurs dans la mesure où ceux-ci passent trop longtemps dehors à s’en griller une ou deux ou trois. Là encore il faut être à la fois flexible et ferme : au début, il faut s’attendre à ce que certains fumeurs s’accordent des pauses prolongées (ce qui peut faire des jaloux chez les non-fumeurs!) avant d’apprendre à mieux gérer leur dépendance.

Les fumoirs – une solution qui coûte cher

Pour les employeurs qui ne croient pas pouvoir imposer une interdiction totale, il y a une autre solution possible à la fumée de tabac dans l’environnement : les fumoirs. Dans les édifices à bureau modernes, dans lesquels l’air intérieur est renouvelé très lentement, il faut malheureusement que l’air enfumé des fumoirs soit évacué directement vers l’extérieur, ce qui prend un système de ventilation séparé.

Selon le conférencier Maurice Beaudet, un consultant en ventilation, il faut prévoir des coûts de 300 $ à 600 $ par mètre carré pour la mise sur pied d’un tel système de ventilation; un fumoir pour 70 personnes doit mesurer au moins 100 m2. À ce prix-là, on peut s’acheter plusieurs beaux cendriers pour mettre à l’extérieur, ou payer bien des programmes de cessation!

Francis Thompson