L’industrie freine les recours collectifs québécois

En cours d’autorisation depuis l’automne 1998, c’est à pas de tortue qu’ont progressé les deux projets de recours collectifs québécois intentés contre les trois grands fabricants canadiens de cigarettes. Toutefois, on saura peut-être d’ici la fin de l’année si, oui ou non, des procès pourront être amorcés.

Plaidé par le cabinet Trudel et Johnston (anciennement Pinsonnault Torralbo Hudon) au nom des résidants québécois devenus dépendants de la nicotine, le premier recours expose le cas de Cécilia Létourneau de Rimouski à titre de témoin victime. Conduit par la firme d’avocats Lauzon et Bélanger (nouvellement assistée par DeGranpré Chait), l’autre projet souhaite, pour sa part, indemniser les personnes souffrant d’emphysème ou d’un cancer du poumon, du larynx ou de la gorge. Le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) chapeaute ce recours, alors que Jean-Yves Blais témoigne en tant que porte-parole des victimes.

Alors qu’habituellement, une ou deux années suffisent à permettre ou non un recours collectif, cela fera bientôt cinq ans que le mécanisme de requêtes est ralenti. « Les compagnies de tabac ont utilisé toutes les procédures mises à leur disposition pour tenter d’invalider l’autorisation, ce qui a grandement retardé le processus », commente Me Philippe Trudel, de Trudel et Johnston. Des propos semblables ont été tenus par Mario Bujold, directeur du CQTS.

En ce qui concerne le recours sur la dépendance, les fabricants ont tenté de disqualifier les avocats Trudel et Johnston, prétextant qu’ils avaient déjà oeuvré pour un cabinet ayant obtenu des contrats de l’industrie. Les deux juristes ont finalement obtenu le droit de procéder, mais deux de ses trois victimes représentantes ont abandonné leur tâche.

D’autre part, les cigarettiers ont demandé que le recours du CQTS soit jugé irrecevable du fait que celui de Trudel et Johnston était alors en cours d’autorisation. Un jugement favorable à l’industrie a suspendu la requête du Conseil en février 2000, mais la Cour d’appel a renversé le verdict huit mois plus tard, spécifiant que les recours devaient être entendus en même temps.

Boudés par le Fonds d’aide

Dans un cas comme dans l’autre, les avocats ont fait une demande de financement auprès du Fonds d’aide aux recours collectifs. Essuyant des refus, ils se sont présentés devant le Tribunal administratif, lequel exigea qu’ils soient tous deux financés. Néanmoins, à la mi-juillet, le Fonds refusait toujours d’obtempérer.

À ce stade-ci, les avocats de l’industrie ont interrogé les représentants des deux requêtes et rédigé des documents de contestation. La prochaine étape sera les journées d’audience qui amèneront le juge à autoriser ou non les recours. Dans l’affirmative, les véritables procès débuteront. Selon Me Trudel, on devrait connaître la date de ces audiences d’ici la fin de l’été. La décision du juge pourra être rendue immédiatement après, ou encore en délibéré, ce qui occasionnerait un délai maximal de six mois supplémentaires.

La Colombie-Britannique en appel

Le 5 juin, pour la deuxième fois en cinq ans, la Colombie-Britannique (C-B) a subi une déroutante défaite en Cour suprême provinciale, alors qu’elle poursuivait les trois cigarettiers canadiens afin de recouvrer l’argent déboursé pour les soins de santé liés au tabac. Toujours déterminée, la province a décidé de porter le jugement en appel.

Comme ce fut le cas en 1998, lors du premier procès du genre au pays, la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé a été jugée inconstitutionnelle car elle outrepasserait la juridiction provinciale. Notons que la précédente tentative de poursuite avait été invalidée du fait qu’elle incluait des compagnies situées à l’extérieur de la C-B. Cette fois-ci, le juge a fait valoir que des personnes devenues malades en dehors de la province pourraient se faire soigner en C-B, ce qui exporterait le litige à l’extérieur des limites frontalières.

Analyste pour la Société canadienne du cancer à Ottawa, Me Rob Cunningham est surpris du jugement rendu par la cour. « La loi ressemble beaucoup à celle qui a permis aux États américains d’obtenir 245 milliards sur 25 ans en compensation pour les soins de santé, remarque-t-il. Personnellement, je ne crois pas que la loi soit inconstitutionnelle et je suis content que la Colombie-Britannique persévère. D’ailleurs, Terre-Neuve vient tout juste de référer une loi semblable à la Cour d’appel provinciale pour en examiner la constitutionnalité. »

Josée Hamelin