Les sénateurs américains débattent de projets antitabac

La confusion règne toujours à Washington, où le débat entourant le projet de loi du sénateur John McCain prend des allures de foire d’empoigne, mais où un consensus semble tout de même se dégager en faveur d’une hausse importante du prix des cigarettes.

Le sénateur républicain, à qui l’on prête des ambitions présidentielles, tente depuis plusieurs mois de rallier une majorité de parlementaires autour d’une version bonifiée de l’entente dite globale intervenue en juin 1997 entre l’industrie du tabac et les procureurs généraux de la majorité des États américains.

Le projet de loi McCain prévoit des paiements de compensation de 506 milliards $ U.S. sur 25 ans, à comparer aux 368,5 milliards $ prévus dans l’entente globale. Pour y arriver, on obligerait l’industrie à augmenter ses prix de 1,10 $ U.S. le paquet d’ici l’an 2003.

Dans la version adoptée le 31 mars 1998 par le comité sénatorial sur le commerce, le projet McCain prévoyait aussi de limiter la responsabilité civile de l’industrie à 6,5 milliards $ par année, en hausse sur la limite de 5 milliards $ prévue dans l’entente globale. L’idée d’interdire les recours collectifs contre l’industrie, l’un des aspects les plus controversés de l’entente globale, n’a pas été retenue.

Par contre, le sénateur McCain tenait à ce qu’il y ait une limitation quelconque de la responsabilité civile de l’industrie, pour que celle-ci accepte de ne pas contester la constitutionnalité d’une autre mesure contenue dans son projet de loi, la quasi-interdiction de la publicité en faveur des produits du tabac.

Adopté par une majorité écrasante à l’étape du comité sénatorial (19 oui contre un seul non), le projet McCain a donné lieu à une immense campagne de relations publiques des cigarettiers américains, qui tentent de présenter la proposition du sénateur conservateur comme un autre exemple de la folie dépensière de l’État fédéral. La nouvelle héroïne de la publicité télévisée de l’industrie est une serveuse de restaurant qui se plaint d’être la cible des politiciens fédéraux, lesquels seraient en train de mettre sur pied de nouveaux programmes gouvernementaux en refilant la note aux bas salariés fumeurs.

En même temps, les cigarettiers ont engagé des centaines de lobbyistes pour faire pression sur chaque sénateur individuellement.

Ceci dit, le projet McCain est loin de faire l’unanimité à gauche et parmi les organismes de santé. Certains commentateurs vont jusqu’à prétendre qu’il fait le jeu de l’industrie, dont l’opposition au projet McCain serait un stratagème pour tromper la vigilance des sénateurs antitabac! Selon cette théorie, l’industrie du tabac est maintenant tellement impopulaire aux États-Unis qu’aucun projet de loi qu’elle appuie publiquement ne passerait la rampe.

Attaqué tant par ses collègues républicains que par l’aile gauche des démocrates, le sénateur McCain a lui-même proposé plusieurs amendements, augmentant à 8 milliards $ par année la responsabilité civile maximale de l’industrie, tout en s’opposant à une augmentation plus importante du prix des cigarettes (de 1,50 $ U.S. par paquet, plutôt que 1,10 $).

Le 21 mai, le sénateur McCain a subi un revers très important, alors qu’une alliance de circonstance entre ses opposants de gauche et de droite s’est cristallisée autour de la limitation de la responsabilité civile des cigarettiers. Les deux factions, qui ne se parlent pas en temps normal, se sont mis d’accord pour éliminer toute limitation. Pour les démocrates de gauche, le but de l’amendement était tout simplement de punir l’industrie du tabac un peu plus; pour les ultraconservateurs, l’objectif était plutôt de faire avorter le projet McCain en le durcissant au point qu’aucun républicain ne pourra l’appuyer.

L’amendement a été très bien reçu par l’incontournable duo Koop-Kessler (l’ancien Surgeon General C. Everett Koop et l’ancien chef de la Food and Drug Administration, David Kessler, qui sont parmi les porte-parole les plus crédibles de la communauté de la santé sur tout ce qui touche à l’entente globale), mais a été fortement critiqué par les procureurs généraux des États. Ils y voient une grave erreur tactique qui risque de compromettre l’adoption de toute mesure antitabac.

Du côté de la Maison Blanche, on a tenté de faire avorter l’amendement, mais on se dit tout de même prêt à appuyer le projet de loi amendé.

Le débat sur le projet McCain a repris après le congé parlementaire de la semaine du Memorial Day (le 24 mai). Il faut souligner que même s’il est adopté au Sénat, il devra encore être approuvé par la Chambre des représentants, où les ultraconservateurs autour du président de la Chambre, Newt Gingrich, ne veulent rien savoir d’une augmentation des taxes sur le tabac. M. Gingrich propose plutôt quelques mesures administratives pour combattre le tabagisme juvénile, dans le cadre d’un projet de loi de lutte aux drogues illicites.

Malgré les nombreux rebondissements dans cette histoire, la grande majorité des commentateurs s’attendent à ce que les deux chambres américaines finissent par adopter une nouvelle loi sur le tabac au cours de l’été. On s’entend pour dire que les républicains ne peuvent tout simplement pas se permettre d’être perçus comme les alliés inconditionnels de l’industrie du tabac, une perception qui leur coûterait cher lors des élections de novembre prochain.

Francis Thompson