Les pays en développement sont plus affectés par la mondialisation du tabagisme

Un nombre record de 5 740 participants ont assisté à la 13e édition de la Conférence mondiale sur le tabac ou la santé (World Conference on Tobacco or Health, WCTOH), qui s’est tenue au Centre des congrès de Washington, du 12 au 15 juillet. Même si tous reconnaissent que la lutte contre le tabagisme doit maintenant s’opérer à l’échelle mondiale, l’événement a levé le voile sur les écarts de développement qui affectent la capacité des pays à lutter efficacement contre cette pandémie.
Écarts financiers Nord-Sud

Le thème de cette année – « Bâtir notre capacité à faire un monde sans tabac » – témoigne de l’évolution des besoins. Pour les acteurs oeuvrant à la réduction du tabagisme, les manques à combler vont maintenant bien au-delà de l’absence d’outils législatifs. Selon une enquête menée auprès des congressistes, la difficulté à trouver du financement serait le plus grand obstacle au contrôle du tabac, et ce, tant dans les pays industrialisés que dans ceux qui le sont moins. Cependant, plusieurs conférenciers ont fait remarquer que la plupart des sommes disponibles se trouvent dans des pays développés. Alors que les pays économiquement défavorisés ne commencent qu’à ressentir les conséquences du tabagisme, le plaidoyer sur l’importance de mieux les outiller pour y faire face a valu des applaudissements à la présidente de l’Alliance pour la Convention-cadre, la Malaisienne Mary Assunta.

Les frais pour assister à des rencontres comme la WCTOH limitent l’accès à certains intervenants. Plus de 70 % des congressistes des pays défavorisés ne sont que peu ou pas rémunérés pour leur travail, 28 % étant des bénévoles. « Les trois dernières WCTOH ont eu lieu dans des villes où le coût de la vie est très élevé », a déploré Mme Assunta. L’obstacle financier s’est d’ailleurs reflété sur la provenance des congressistes alors que les trois quarts venaient de pays riches, dont 40 % des États-Unis seulement.

« Un monde sans tabac n’est peut-être pas pour demain, mais il ne s’agit plus d’une impossibilité, a affirmé Patricia A. Lambert, avocate-conseil au ministère de la Santé d’Afrique du Sud. Cependant, il faut comprendre que les effets de la mondialisation seront davantage ressentis dans les pays en développement. »

Tendances planétaires

Les tendances actuelles indiquent que ces pays continueront à souffrir du tabagisme. En dépit des progrès sociaux et de l’amélioration du niveau de vie, qui laisseront plus de revenus aux femmes, ces dernières seront ciblées par les cigarettiers, causant une augmentation sans précédent du tabagisme féminin. Si rien ne change d’ici 2020, plus de 70 % des décès liés au tabac surviendront dans les pays en développement. À elle seule, la cigarette tuera plus de 10 millions de fumeurs par an, projette l’Atlas du tabac, dont la nouvelle édition révisée a été lancée lors de la WCTOH.

Dans les pays défavorisés, le niveau d’expertise et la disponibilité d’infrastructures de recherche sont nettement inférieurs à ceux des pays riches. Pourtant, des études locales sont nécessaires pour convaincre les autorités du bien-fondé des mesures antitabac. « Les données utilisées ici sont souvent extrapolées d’études occidentales, ce que les populations orientales trouvent peu convaincant », a exposé un chercheur indien au Réseau global de recherche sur le tabac, qui a conduit l’enquête menée auprès des participants de la conférence.

Sensibiliser les professionnels de la santé

Autant ici qu’ailleurs, l’implication des professionnels de la santé favorise la réussite du sevrage nicotinique et de la lutte contre le tabagisme en général. Mais, dans certains pays émergeants comme la Pologne, la prévalence de l’usage du tabac des médecins est le double de celle de la population. Dans ces États, les efforts pour sensibiliser la communauté médicale ont commencé modestement, mais s’accélèrent grâce aux succès obtenus. « J’ai commencé par déclarer ma propre maison sans fumée, a témoigné le pneumologue pakistanais Javaid A. Khan, et je me suis engagé davantage par la suite. » Sa présentation a été suivie par celle de la Dre Elif Dagli, qui travaille à sensibiliser ses collègues pédiatres en Turquie, en évoquant le rôle social particulier qu’ils exercent et leur pouvoir sur les enjeux sanitaires. « En tant que médecin, si tu crois que ta responsabilité s’arrête aux limites de l’hôpital, tu fais une grossière erreur. »

C’est justement dans le but de sensibiliser les oncologues que la tenue de la WCTOH a été jumelée cette année à celle du congrès annuel de l’Union internationale contre le cancer. Près du quart des participants de la conférence sur le cancer ont assisté aux deux événements.

Défis actuels

Certains enjeux actuels ont fait l’objet de débats animés pendant la conférence. La promotion de produits du tabac moins nocifs ou de nicotine sans tabac, la commandite de l’industrie pharmaceutique et la transformation des compagnies de cigarettes en organismes sans but lucratif, en sont quelques exemples.

Il a également été question de l’adaptation des stratégies de marketing de l’industrie du tabac au niveau de l’indice de développement humain. « Dans les pays où la lutte contre le tabagisme est plus avancée, les cigarettiers tentent d’afficher une image réformée et positive, tandis que de l’autre côté du globe, ils font plutôt voir le tabac comme un vecteur de développement économique et non pas comme un problème », a expliqué le Dr John Seffrin, président de la 13e WCTOH et directeur de la Société américaine du cancer.

Nouveautés en ligne

Tandis que l’Alliance pour la Convention-cadre lancera prochainement une base de données électronique sur la surveillance de la mise en oeuvre du traité, le nouveau programme de formation en ligne www.TobaccoAcademy.org enseignera gratuitement, dès cet automne, les principaux enjeux relatifs au contrôle du tabagisme.

De son côté, la communauté virtuelle internationale Globalink, qui regroupe maintenant 5 500 membres, deviendra, en 2007, une association des professionnels de la lutte antitabac. Une nouvelle section de reportages audio, sous la direction du Français Philippe Boucher, a également été ajoutée à son site Web.

Programme chargé, organisation réussie

La Conférence, qui s’étalait sur quatre jours et qui regroupait plus de 850 présentations, a été qualifiée « d’immense succès » par les deux co-présidents de son comité organisateur – le Dr Dileep Bal, directeur médical du Département de santé d’Hawaï, et Yussuf Saloojee, directeur général du Conseil national contre le tabagisme d’Afrique du Sud. Toutefois, en raison du trop grand nombre d’ateliers offerts simultanément, plusieurs salles avaient l’air vides et certains orateurs ont eu à discourir devant une poignée de personnes.

Par ailleurs, une invitation spéciale, accompagnée d’une bourse, était offerte par la conférence à plus de 100 journalistes et intervenants des pays en voie de développement. Des jeunes militants ont également reçu une aide financière pour assister à une formation visant à parfaire leurs habiletés.

Chaque conférence se termine par une déclaration qui fixe les objectifs à atteindre avant la prochaine édition. L’intégration du contrôle du tabac aux efforts d’élimination de la pauvreté, la poursuite de la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) et le soutien aux populations défavorisées ont composé l’essentiel de la Déclaration de Washington.

Rendez-vous à Mumbai en 2009

La prochaine édition de la WCTOH se tiendra à Mumbai (anciennement Bombay), pôle de l’économie et de l’industrie cinématographique de l’Inde. Le coût de la vie moins élevé favorisera la participation d’un plus grand nombre d’intervenants des pays en développement.

Participation record

Ayant lieu environ tous les trois ans depuis 1967, la WCTOH est la rencontre mondiale des intervenants, chercheurs, militants, cliniciens, parlementaires, bénévoles, journalistes, juristes et fonctionnaires impliqués dans le contrôle du tabagisme. Elle permet l’échange de connaissances et la création de réseaux d’entraide.

Participation aux conférences mondiales
  • 1ère –1967, New York (E-U), 500 participants
  • 2e –1971, Londres (R-U), 400
  • 3e –1975, New York (E-U), 500
  • 4e –1979, Stockholm (Suède), 550
  • 5e –1983, Winnipeg (Canada), 1 100
  • 6e –1987, Tokyo (Japon), 660
  • 7e –1990, Perth (Australie), 1 000
  • 8e –1992, Buenos Aires (Argentine), 1 200
  • 9e –1994, Paris (France), 1 200
  • 10e –1997, Beijing (Chine), 2 000
  • 11e –2000, Chicago (E-U), 4 500
  • 12e –2003, Helsinki (Finlande), 1 500
  • 13e –2006, Washington (E-U), record de 5 740
  • 14e –2009, Mumbai (Inde)
Prix Luther L. Terry

Des prix soulignant la contribution exemplaire de certains intervenants et organismes sont remis lors de chaque conférence. Ils portent le nom de Luther L.Terry, un ancien Surgeon General américain, dont le rapport de 1964 – qui identifiait et dénonçait les méfaits du tabagisme – a servi de fondement à plusieurs mesures antitabac. La liste des lauréats est disponible via les liens Internet du bulletin Info-tabac.

Volet francophone

Des 35 Québécois inscrits à la conférence, sept ont animé des présentations. Celles-ci ont, pour la plupart, eu lieu dans le cadre du volet francophone, dont l’organisation était partagée par Sylviane Ratte, responsable du programme tabac à l’Institut national du cancer de France, et le Dr Fernand Turcotte, professeur de santé publique et fondateur du Microprogramme en contrôle du tabagisme de l’Université Laval. La tenue de sessions hispanophones et francophones était initialement prévue comme alternative à la traduction simultanée, qui fut finalement offerte lors de certaines plénières. « En dépit d’une distribution de plus de 2000 prospectus, tant ici qu’en Europe, nous n’avons pas vu autant de nouvelles figures que ce que nous espérions », a regretté le Dr Turcotte.

Le format de ces présentations en français, réparties sur plusieurs jours, sera probablement revu lors de la prochaine édition. « Que les francophones soient à l’écart pour presque toute la conférence ne favorise pas les échanges avec le reste du monde, a soulevé le professeur Gérard Dubois, président de l’Alliance contre le tabac de France. Une journée seulement aurait été bien, car nous avons aussi une conférence internationale francophone (CIFCOT) pour discuter de ces enjeux. »

In memoriam

Les organisateurs de la Conférence ont rendu un hommage posthume à l’ex-directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, le médecin sud-coréen Lee Jong-Wook (1945-2006) – décédé subitement le 22 mai dernier – dont le successeur sera nommé en novembre 2006. On a aussi souligné l’apport à la lutte antitabac de l’épidémiologiste britannique Sir Richard Doll (1912-2005), qui a contribué à établir le lien de causalité entre le tabagisme et le cancer du poumon, de même que la détermination de l’avocate et professeure américaine Ruth Roemer (1916-2005), qui a inspiré la CCLAT en revendiquant, dès 1982, la création d’outils législatifs pour combattre le tabagisme à l’échelle mondiale.

Julie Cameron