Les libéraux déterminés à adopter l’amendement Villeneuve à toute vitesse

Au grand dam des organismes de santé, le gouvernement fédéral s’apprête à faire adopter le projet de loi C-42 à toute vapeur et sans grandes modifications, permettant ainsi la poursuite de la publicité de commandite tous azimuts pendant deux ans supplémentaires.

Suite aux nombreuses critiques des groupes antitabac à l’égard de « l’amendement Villeneuve », les libéraux ne semblent céder que sur trois aspects.

Premièrement, la date limite pour l’interdiction complète de la publicité de commandite a été fixée au 1er octobre 2003, et les restrictions qui devaient entrer en vigueur cet automne s’appliqueront à partir du 1er octobre 2000. Dans la première version du projet de loi, le compte à rebours n’aurait été déclenché qu’après adoption d’un décret par le conseil des ministres.

Deuxièmement, les cigarettiers ne pourront ressusciter de vieux événements pour servir de support à leur publicité; seuls les événements récurrents ayant eu lieu au moins une fois dans les 15 mois précédant l’adoption de la loi C-71 (avril 1997) jouissent de droits acquis.

Enfin, selon Elinor Caplan, secrétaire parlementaire du ministre Allan Rock, « seules les activités faisant déjà l’objet de commandites au Canada bénéficient d’un droit acquis ». Pas question, donc, de se mettre à faire de la publicité pour souligner la généreuse commandite d’un rallye automobile se déroulant dans le désert australien.

Par contre, a expliqué Mme Caplan en commission parlementaire le 29 octobre, le gouvernement fédéral compte modifier son projet de loi pour le rendre « plus sensible à la nouvelle conjoncture du sport automobile », c’est-à-dire pour faciliter la vie à Jacques Villeneuve, avec son habitude de changer d’équipe et de marque de cigarettes. « Le libellé du projet de loi sera modifié pour que le critère des droits acquis s’applique tant aux participants individuels qu’à l’activité commanditée. »

Réticence à s’harmoniser avec le Québec

Contrairement à la loi québécoise adoptée en juin dernier, le projet de loi C-42 ne prévoit toujours pas de plafond de dépenses pour la publicité de commandites pendant les cinq ans qu’elle restera encore permise. Un tel plafond poserait « des problèmes de faisabilité et d’application », a affirmé Mme Caplan, sans autre précision. Du côté fédéral, il n’y a donc aucun obstacle à ce que les cigarettiers doublent ou triplent leurs dépenses publicitaires au cours des deux prochaines années.

Mme Caplan a tout de même entrouvert la porte à un amendement de dernière minute qui imposerait un plafonnement des dépenses publicitaires de l’industrie : « Nous attendrons de connaître le point de vue des témoins avant de prendre une décision », a-t-elle déclaré à l’ouverture des audiences publiques du Comité permanent de la Santé de la Chambre des Communes.

Pas de lampe magique

On pouvait tout de même douter des intentions du gouvernement d’écouter sérieusement le point de vue des organismes de santé : les invitations à venir témoigner devant les parlementaires n’ont été confirmées qu’en toute fin d’après-midi du 29 octobre. Les présentations, d’une durée maximale de cinq minutes par groupe, commençaient à 9h le lendemain à Ottawa, et les audiences publiques devaient se terminer quelques heures plus tard.

« Je n’ai pas de lampe magique pour me rendre à Ottawa! », a pesté Gilles Lépine de la Fédération québécoise pour le sport étudiant, basé à Québec. Comme plusieurs autres, M. Lépine a passé la soirée à travailler sur sa présentation pour se lever à la toute première heure et se rendre à l’aéroport.

D’autres organismes, dont l’Association pour les droits des non-fumeurs et l’Association médicale canadienne, ont carrément refusé de témoigner à moins de 24 heures de préavis, et le Comité permanent de la Santé a finalement consenti à entendre quelques témoins supplémentaires le matin du 3 novembre, avant de passer à l’étude du projet article par article.

Cette précipitation est d’autant plus étonnante du fait que le ministre Rock avait hésité pendant plus d’un an à donner suite à l’engagement préélectoral de son prédécesseur, David Dingwall, et à proposer son « amendement Villeneuve ». Même après le dépôt du projet de loi C-42 en juin dernier, M. Rock a accumulé les retards : l’adoption en deuxième lecture à la Chambre des Communes a été reportée jusqu’au 20 octobre (contrairement à ce que nous avons rapporté dans notre dernier numéro).

Chez les organismes de santé, on se demande bien sûr pourquoi le besoin de procéder rapidement est apparu seulement lorsqu’on passait à l’étape des consultations publiques.

Francis Thompson