Les fumoirs ventilés ne protègent que les intérêts de l’industrie, selon James Repace

D’éminents experts de santé publique, réunis à Montréal le 18 mai, ont témoigné de l’inefficacité des fumoirs ventilés, dans le cadre d’une conférence sur les enjeux actuels de la lutte antitabac, organisée par l’Institut national de santé publique (INSPQ).

Alors que le Québec vient de se doter d’une loi qui réduira l’exposition de la population à la fumée secondaire, les partisans de l’industrie du tabac clament haut et fort que ces salles pour fumeurs constituent le seul compromis acceptable aux environnements totalement sans fumée.

Le Québec : champion du tabagisme passif

« De toutes les provinces canadiennes, c’est au Québec que les gens sont le plus exposés à la fumée de tabac secondaire (FTS) », a indiqué le Dr André Gervais. Pneumologue de formation, ce médecin-conseil à la Direction de santé publique de Montréal oeuvre dans le contrôle du tabagisme depuis 1976. « Alors qu’ailleurs au Canada 23 % des non-fumeurs de 12 à 19 ans vivent dans un environnement enfumé, chez nous, 32 % des jeunes de ce groupe d’âge sont contraints de respirer cette émanation toxique à la maison. »

Contrairement à ce que prétend l’industrie du tabac, a-t-il insisté, de nombreuses études crédibles ont mis en évidence les liens scientifiques entre l’exposition à la fumée secondaire et plusieurs maladies. La FTS est non seulement responsable de nombreux cas de cancer du poumon et de graves maladies cardiaques, elle cause aussi l’asthme, augmente de 94 % les risques de mort subite du nourrisson et accroît de 62 % les probabilités qu’un enfant souffre d’otites. « La plupart des ouvrages scientifiques qui soutiennent que la fumée de cigarette n’a pas d’impact sur la santé humaine ont été financés par l’industrie du tabac », précise le Dr Gervais.

Bien que la plus récente étude (La mortalité attribuable au tabagisme au Canada et dans ses régions, de Makomaski, Illing et Kaiserman) sur laquelle s’appuie les gouvernements conclue que le tabagisme passif est annuellement responsable de la mort de 350 personnes au Québec, l’extrapolation de recherches américaines révèle que c’est plutôt entre 950 et 1 625 Québécois par an que la fumée des autres tue. Une différence qui s’explique, entre autres, par le fait que les décès imputables à l’ensemble des maladies cardiovasculaires sont inclus dans cette seconde estimation.

Selon le Dr Gervais, la fumée de tabac devrait être traitée comme tous les autres produits cancérigènes, car elle représente un véritable risque pour la santé publique.

Ventilation déficiente

Expert international en matière de pollution intérieure causée par la fumée secondaire, le biophysicien James Repace est d’avis que la seule façon d’éliminer les risques du tabagisme passif consiste à éliminer la source du problème, soit la fumée, et, par le fait même, l’usage complet du tabac à l’intérieur des lieux dans lesquels elle se trouve.

Ce consultant américain et son équipe sont souvent appelés à évaluer le niveau de FTS contenu dans certains endroits publics et privés. En 1999, le Black dog pub – un bistro de Toronto – s’est muni d’un fumoir ventilé à la fine pointe de la technologie. Grâce à un système « révolutionnaire », permettant de renouveler l’air ambiant 10 fois par heure, les usagers du fumoir et autres clients de l’établissement devaient être protégés des effets néfastes de la fumée. Or, après avoir mesuré le nombre de particules en suspension dans l’air, M. Repace a calculé qu’au moins 25 000 changements d’air par heure auraient été nécessaires pour atteindre le niveau canadien de risque acceptable : soit un décès par 100 000 personnes ayant été exposées à la FTS pendant 40 ans.

À la lumière des nombreux travaux qu’il a effectués, le spécialiste de la FTS souligne que les fumoirs ne sont jamais totalement étanches, ce qui fait en sorte que la fumée se répand dans l’ensemble de l’établissement. Pour être efficaces, a-t-il illustré, ces derniers devraient être ventilés par des vents dont la force avoisinerait celle d’une tornade.

« Si la ventilation est encore perçue comme une alternative acceptable, c’est tout simplement parce que l’industrie du tabac investit des sommes d’argent considérables pour commanditer des groupes qui en font la promotion, indique M. Repace en faisant entre autres allusion à la Fair air association of Canada (Association canadienne air pour tous). La seule chose que protège véritablement les fumoirs, ce sont les intérêts économiques de l’industrie du tabac, qui tente ainsi de réduire le nombre d’endroits où l’usage de ses produits est interdit. »

Même si certains propriétaires de bars craignent que leurs établissements perdent des revenus ou ferment à la suite d’une interdiction de fumer, les exemples de lieux sans fumée sont concluants, a rappelé James Repace. « On n’a qu’à penser à la ville de New York ou aux États de la Californie et du Delaware où les revenus de l’industrie de l’hospitalité se sont considérablement accrus suite à l’implantation d’environnement sans fumée. »

Selon M. Repace, les employés du domaine de la restauration et des bars encourent plus de risques à respirer la fumée de cigarette de leurs clients que s’ils étaient quotidiennement exposés aux gaz toxiques de milliers de voitures circulant sur une autoroute à l’heure de pointe. En se basant sur les données américaines, l’exposition à la fumée de tabac secondaire serait responsable du décès d’environ 323 salariés de bars et de restaurants, chaque année au Québec.

Les alliés de l’industrie…

Très impliqué dans l’adoption du règlement municipal qui a rendu Ottawa sans fumée à l’été 2001, le Dr Robert Cushman a fait un survol des difficultés qu’il a rencontrées. « Il y a une guerre qui s’en vient et vous allez voir de nombreux soldats, mais jamais vous ne verrez l’ennemi », a ironisé le médecin-chef de santé publique de la Ville d’Ottawa, en insinuant que les fabricants de cigarettes dépêcheront des tiers pour défendre leurs intérêts au lieu de le faire eux-mêmes.

D’après son expérience, les compagnies de tabac entretiennent des liens très étroits avec les marchands qui distribuent leurs produits et les tenanciers de bars. Ainsi, lorsqu’une juridiction décide d’adopter une politique visant à restreindre l’usage du tabac dans certains lieux, plusieurs intervenants se mobilisent afin de retarder l’implantation de ces nouvelles normes.

En dernier recours : les étalages

Chercheuse à l’École de santé publique de l’Université de Sydney, Stacey Carter est venue d’Australie pour expliquer pourquoi les étalages de cigarettes constituent un outil de marketing primordial pour les compagnies de tabac.

Quelques anciens documents de l’industrie à l’appui, elle a exposé que les « murs de cigarettes » sont un des seuls moyens dont disposent les fabricants pour communiquer avec leurs clients, une fois que des lois et des règlements restreignent la promotion et l’usage de leurs produits.

« Si on veut bien encadrer le marketing du tabac, il faut absolument limiter l’étalage aux points de vente, a-t-elle fait valoir. Actuellement, les commerçants sont complices de l’image que les fabricants de cigarettes veulent donner à leurs produits. En plus d’être payés pour étaler les cigarettes dans leur commerce, ils sont récompensés par des rabais sur le prix coûtant des marques qu’ils vendent le plus. »

La demi-journée s’est terminée par une table-ronde au cours de laquelle les conférenciers ont répondu aux questions de certains intervenants.

Josée Hamelin