Les fumeurs adolescents voudraient se départir de leur habitude

Enquête sur les jeunes : les fumeurs adolescents sont loin d’être des inconditionnels de la cigarette, révèle un sondage commandité par le ministère de la Santé et des Services sociaux.

En effet, la grande majorité des fumeurs réguliers chez les élèves québécois de secondaire sont des fumeurs malgré eux et font des tentatives de cessation, a confirmé l’enquête du Groupe Everest, réalisée en avril-mai 1996.

Dans notre dernier numéro, nous avons parlé brièvement du résultat le plus inquiétant de cette enquête, soit la remontée spectaculaire du tabagisme juvénile, qui est passé de 19 % à 38 % entre 1991 et 1996 chez les élèves de secondaire.

Le rapport complet de l’enquête Everest est maintenant disponible et permet d’apporter quelques précisions. Ainsi, il est frappant de constater le nombre d’adolescents qui sont en rébellion contre leur propre dépendance à la nicotine.

Chez les fumeurs réguliers – ceux qui ont fumé tous les jours au cours de la semaine précédant le sondage – 72 % ont fait au moins une tentative de cessation au cours de la dernière année, et 30 % ont fait au moins trois tentatives. Parmi les fumeurs occasionnels, seuls 46 % disent avoir fait une ou plusieurs tentatives.

Sur le plan des perceptions, il existe aussi un grand écart entre les deux groupes. Les fumeurs réguliers sont très conscients de leur dépendance : au total, 77 % disent que cesser de fumer est soit « très difficile » (45 %), soit « difficile » (32 %).

Du côté des fumeurs occasionnels, tout comme chez les adolescents non-fumeurs, on croit beaucoup moins à la dépendance : 53 % des fumeurs occasionnels et 47 % des non-fumeurs prétendent que cesser de fumer est « un peu difficile » ou « pas du tout difficile ».

Préoccupation principale : la santé

Beaucoup de professionnels de la santé ont proposé que les campagnes antitabac visant les jeunes mettent moins l’accent sur les effets de santé à long terme du tabagisme, qui seraient moins susceptibles d’influencer les adolescents à cause de leur sentiment d’invulnérabilité. Il faudrait plutôt s’attaquer aux effets à court terme, comme la mauvaise haleine et le gaspillage d’argent.

Qu’en disent les jeunes? Parmi les non-fumeurs, 41 % disent qu’ils le sont par souci de leur santé. Parmi les fumeurs, la santé est l’argument numéro un qui pourrait les inciter à cesser de fumer – 29 % chez les fumeurs réguliers, et 19 % chez les fumeurs occasionnels. (Le facteur numéro deux, cité par 17 % des fumeurs réguliers et 14 % des occasionnels, serait une « décision personnelle » ou le « goût d’arrêter ».)

Le hic, c’est que très peu de jeunes choisissent de devenir fumeurs; on décide plutôt de fumer de temps en temps pour tomber ensuite dans la dépendance. Tant que les enfants de 11 et 12 ans ne comprendront pas pleinement le danger de la dépendance, les campagnes de sensibilisation aux méfaits sanitaires de la cigarette risquent d’être inefficaces.

Les cigarettiers l’ont d’ailleurs compris il y a au moins 20 ans. « Quel qu’ait pu être l’attrait de la cigarette à 11, 12 ou 13 ans, la plupart des jeunes de 16 ou 17 ans regrettaient de fumer pour des raisons de santé et parce qu’ils se sentaient incapables d’arrêter de fumer quand ils le voulaient, écrivaient déjà en 1977 des chercheurs engagés par Imperial Tobacco. Quand les jeunes ont atteint l’âge de 16 ans, leurs copains ne font plus pression sur eux pour qu’ils commencent à fumer. En fait, ceux qui fument déplorent souvent de voir des jeunes de 11 ou 12 ans fumer… » (Kwechansky Marketing Research Inc. 1977, Projet « 16 », rapport pour Imperial Tobacco Ltée.)

L’âge de l’initiation en baisse?

Dans l’enquête du Groupe Everest, on note que le pourcentage de fumeurs chez les jeunes en secondaire III à V est demeuré à peu près constant entre 1994 et 1996, mais qu’il y a eu des hausses fulgurantes en secondaire I et II. En secondaire I, le pourcentage de fumeurs est passé de 12 % en 1991 à 18 % en 1994 et à 32 % en 1996.

Une grande partie de la hausse de prévalence entre 1994 et 1996 est sans doute attribuable à la baisse des taxes de février 1994; on sait que les jeunes adolescents sont plus sensibles au prix de la cigarette, puisqu’ils disposent de beaucoup moins d’argent que leurs aînés. On peut présumer que la généralisation de la contrebande en 1992-1993 avait déjà commencé à faire baisser le prix moyen des cigarettes dans cette catégorie d’âge.

Mais on peut aussi se demander dans quelle mesure ce qui semble être une remontée du tabagisme chez les adolescents québécois n’est pas en fait le reflet d’une baisse de l’âge de l’initiation. Dans plusieurs pays industrialisés, on a en effet constaté que la première cigarette vient de plus en plus tôt dans la vie des enfants, comme s’ils voulaient symboliquement accéder à la vie adulte aussi rapidement que possible. (Santé Canada avait noté le même phénomène en 1994 dans son Enquête sur le tabagisme chez les jeunes.)

Selon cette hypothèse, un certain nombre de jeunes qui, à une autre époque, se seraient mis à fumer à 14 ou 15 ans, s’y mettent maintenant à 11 ou 12 ans, ce qui donnerait faussement l’impression que les adolescents en général sont plus portés à fumer.

Il ne faudrait pas trop se consoler si c’était effectivement le cas, puisqu’on sait aussi que plus on commence jeune, plus il est difficile de cesser de fumer et plus les risques de santé sont élevés.

Francis Thompson